L’approche traditionnelle de l’enseignement

L’APPROCHE TRADITIONNELLE DE L’ENSEIGNEMENT 

Leonhard & House · (1972) définissent l’enseignement comme étant l’activité d’une personne qui stimule et oriente l’apprentissage de ses élèves en organisant et en menant leurs expériences d’apprentissage. À ma connaissance, la théorie musicale a toujours été enseignée de façon traditionnelle: la matière est divisée par sujets et chaque sujet est présenté par l’enseignant sous forme d’énoncés et de définitions qui doivent être assimilés par l’élève (rôle passif). Pour vérifier les connaissances acquises, l’élève doit, par la suite, se soumettre à une série d’exercices écrits, ennuyeux et répétitifs, qui, bien souvent ne permettent pas de faire des liens avec les diverses connaissances déjà acquises et surtout avec l’essence même de la musique.

Dans tous les traités de théorie, on expose la matière sensiblement de la même manière, c’est-à-dire: énoncés théoriques et exercices écrits correspondants. Rien d’étonnant que la théorie musicale ait la réputation d’être austère et rebutante. Je vois immédiatement les élèves « grimacer » quand on leur parle d’un cours de théorie. Lorsque j’étais étudiante, j’en faisais tout autant car les cours de théorie étaient donnés avec cette approche traditionnelle: l’enseignant ayant recours presque exclusivement à la séquence règleexercice et ce, sans références musicales. Bertrand (1 990) décrit l’enseignement traditionnel comme étant un transvasement des connaissances d’un contenant dans un autre contenant, c’est-à-dire de l’esprit de l’enseignant dans l’esprit de l’élève. Dans cette conception de l’éducation, l’étudiant n’est pas proprement associé à l’action de formation. Il ne coopère que par son acquiescement, sa docilité et sa bonne volonté. Les objectifs que l’étudiant est censé poursuivre sont fixés de l’extérieur, les travaux qu’il accomplit sont prévus et déterminés par un autre que lui, c’est-à-dire par le professeur. L’étudiant répète; il prépare, en vue d’un contrôle éventuel, la preuve de son savoir acquis. (P. 198)  .

C’est cette situation qui prévaut encore aujourd’hui dans l’enseignement de la théorie musicale. Les éléments théoriques sont complètement extirpés de leur contexte musical comme d’un lieu impropre à leur étude. Les élèves sont toujours aussi passifs durant les cours: ils jouent le rôle de spectateur dans une pièce où le seul acteur est l’enseignant. L’élève, ne participant pas activement à son propre processus d’apprentissage, souffre d’un manque évident d’intérêt et de motivation.

Étant en contact avec d’autres professeurs de théorie de mon institution et de d’autres établissements d’enseignement musical, j’ai constaté l’existence du même problème et parfois de façon plus aiguë que dans ma classe. J’ai également rencontré ce problème lorsque j’étais étudiante dans les écoles de musique, CEGEP et universités. Aujourd’hui, en tant qu’enseignante, je vis un sentiment d’insatisfaction, m’amenant à remettre en question la méthode d’enseigner cette matière qui est à mon avis inappropriée et dépassée.

Madeleine Gagnard (1971 ), professeure d’éducation musicale au lycée Condorcet, illustre bien cette problématique. Elle y décrit une conception mécaniste de l’éducation musicale, d’inspiration française, où l’on faisait surtout jusqu’à présent du « dressage cérébral »: (. . .) les sacra-saints programmes déterminant la quantité des connaissances que doit ingurgiter chaque année un enfant de tel âge et de tel niveau, chaque élève devant ensuite régurgiter le savoir dans des exercices appelés naguère compositions (on a supprimé le mot mais pas la chose), quitte à ce que certains d’entre eux éliminent par auto-défense ce qui leur semble trop indigeste .

If y a eu cependant progrès: autrefois on apprenait ce que l’on doit savoir, aujourd’hui on apprend à apprendre. C’est déjà mieux, quoique la méthode demeure toujours axée sur l’accumulation de connaissances, sans vouloir établir entre elles de relations essentielles. Dans ce procédé, où se trouve l’éducation? Et quand se soucie-t-on de former, tout en la respectant, la personnalité de l’enfant? (P. 17) .

La différence est donc essentielle entre l’enseignement basé sur une mémorisation forcenée et l’éducation fondée sur le respect de l’étudiant, sur son expérience propre, c’est-à-dire sur son vécu. Il me semble primordial en matière d’éducation, d’aiguiser l’appétit de la découverte, la curiosité de l’étudiant et de lui permettre de trouver, en s’appuyant sur un guide, un épanouissement optimal ainsi qu’un équilibre qu’il pourra par la suite consolider seul.

Claude Paquette (1979), ardent défenseur de la pédagogie ouverte, a fourni un modèle d’analyse de la réalité éducative au Québec selon quatre grands courants pédagogiques. Ce modèle permet de situer l’enseignement de la théorie musicale tel que décrit précédemment et, par la suite, de choisir une orientation de recherche et de changement. Pour présenter son analyse, Paquette se sert du plan cartésien selon une double variable: la contribution de l’élève et de l’enseignant à l’apprentissage .

L’enseignement de la théorie musicale, tel que décrit précédemment, se situe dans la partie inférieure du plan cartésien, là où on retrouve la contribution la plus faible de l’élève à son apprentissage. Pour ce qui est de la contribution du professeur, elle se situe à peu près à mi-chemin entre une pédagogie fermée et encyclopédique.

Ainsi, dans l’enseignement de la théorie musicale, on retrouve plusieurs caractéristiques de la pédagogie fermée (quadrant Ill): les compétences de l’élève sont formulées extérieurement à lui, i 1 doit être capable de … ou à la fin du niveau Préparatoire, l’élève devra … , la formulation des objectifs est précise et univoque, l’apprentissage se fait de pré-requis en pré-requis par rapport à la discipline et non à l’élève. On y retrouve également plusieurs caractéristiques de la pédagogie encyclopédique ou traditionnelle (quadrant IV), soit la faible contribution de l’élève, l’équation information = enseignement d’un contenu = apprentissage, les valeurs véhiculées étant la mémoire et la volonté. Par contre, la contribution de l’enseignant est plus grande: c’est lui qui prépare tout, qui enseigne tout, qui est le centre de la classe. Ainsi, il y a un peu de ces deux conceptions sous-jacentes à l’enseignement de la théorie musicale. La principale lacune à combler consiste à améliorer la contribution de l’élève dans son processus d’apprentissage. Sans tout renier de la pédagogie traditionnelle, il est possible de s’inspirer de la pédagogie ouverte ou du moins d’adopter une attitude plus « ouverte » dans les activités éducatives et même de changer certains aspects de l’enseignement traditionnel en impliquant davantage l’élève dans des situations d’apprentissage variées: expériences vécues, exploration, découverte.

Il est certain que le cours de théorie musicale donné sous forme de définitions abstraites sans références à des exemples musicaux ne correspond pas à une pédagogie ouverte et ne conduit pas à un apprentissage signifiant. Ainsi, ce n’est pas nécessairement la matière qui est à blâmer, mais la manière de l’enseigner, de la présenter à l’élève. Dans cette même ligne de pensée, Pittion (1969) affirme que: Si ce ne sont pas les notions à apprendre qu’il faut incriminer, c’est donc la manière de les enseigner. Il n’est plus question maintenant de transformer la musique en une abstraction ennuyeuse, et sa connaissance en un savoir livresque; pas davantage d’utiliser ici les jeux de jetons, cartes ou dominos. Il ne s’agit pas non plus de faire apprendre par coeur des règles, ni d’employer la méthode dogmatique, pratique dans certaines disciplines pour faire acquérir un savoir précis dans un minimum de temps et en permettre le contrôle immédiat, mais qui ne convient pas à la musique. (P. 112) .

Les jeux de jetons, cartes ou dominos auxquels faisait allusion Paul Pittion ont pour référence les trois méthodes d’enseignement d’éducation musicale élaborées par Zoltan Kodaly, Karl Orff et Maurice Martenot. Ces méthodes dites « actives » car s’orientant vers une pédagogie basée sur l’activité de l’enfant, ont en commun de partir du vécu pour aller vers la connaissance théorique (qui vient seulement beaucoup plus tard) et surtout d’être fondées sur le développement du sens rythmique.

Chacune de ces méthodes a ses mérites et fait des merveilles avec les jeunes enfants: Orff fait la part la plus belle aux instruments, Martenot à la voix et au geste et Kodaly fait souvent la synthèse des deux premières. Or, ces méthodes ne conviennent pas à la clientèle plus âgée des élèves faisant partie de mes classes au Conservatoire puisqu’elles sont des méthodes « d’initiation à la musique » s’adressant à de tout jeunes enfants (école maternelle et premier cycle du primaire) et reposant sur la primauté accordée au rythme et à l’audition intérieure.

Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE PREMIER Présentation de la problématique de recherche
1 . La nature de la théorie musicale
2. L’approche traditionnelle de l’enseignement
3. Description du contexte d’enseignement
4. Nouvelle approche de l’enseignement
5. Le but de la recherche
6. Les limites de la recherche
7. Les retombées de la recherche
CHAPITRE DEUX Cadre théorique de la recherche
1. Historique de l’éducation musicale
A. L’évolution au cours d’une ère
B. L’évolution de l’art au cours d’une ère
C. L’évolution de l’éducation musicale
1. Préhistoire
2. Antiquité
3. Ère chrétienne
4. Moyen Âge
S. Renaissance (XVIè siècle)
6. XVIIè siècle
7. XVIIIè siècle
8. XIXè siècle
9. XXè siècle
D. Quelques remarques découlant de cet historique
2. Les théories de l’apprentissage
A. La psychologie behavioriste
B. La psychologie humaniste
C. La psychologie cognitive
3. Une conception cognitive de l’apprentissage et de l’enseignement
A. Informations, stucture cognitive et apprentissage
B. L’apprentissage signifiant
C. Principes de base de la conception cognitive de l’apprentissage et conséquences pour l’enseignement
D. La motivation scolaire
1. Deux systèmes de conception
2. Trois systèmes de perception
3. Conséquences pour l’enseignement
E. Mémoire et représentation des connaissances
1 . La mémoire
2. La représentation des connaissances
a) la représentation propositionnelle
b) la représentation productionnelle (une condition 1 plusieurs actions)
c) la représentation productionnelle (plusieurs conditions 1 une action)
d) la représentation en schémas
e) la représentation imagée
3. Conséquences pour l’enseignement
4. Une conception cognitive de l’apprentissage musical
A. L’apprentissage musical
B. Les principes d’apprentissage musical
C. L’expérience esthétique
a) La nature de l’expérience esthétique
b) Les trois types d’expérience musicale
D. Deux processus d’apprentissage musical: l’apprentissage par découverte et par réception
a) L’apprentissage par découverte et par découverte guidée
1) L’apprentissage par découverte
2) L’apprentissage par découverte guidée
b) L’apprentissage par réception
c) Parallèle entre l’apprentissage par réception et par découverte
E. Conséquences pour l’enseignement
S. Pour un apprentissage signifiant: l’enseignement stratégique
A. Conception de l’enseignement stratégique
a) Les rôles de l’enseignant stratégique
b) Les phases de l’enseignement stratégique
1) la préparation à l’apprentissage
2) la présentation du contenu
3) l’application et le transfert des connaissances
B. L’enseignement stratégique des diverses catégories de connaissances
a) L’acquisition des connaissances déclaratives
b) L’acquisition des connaissances procédurales
c) L’acquisition des connaissances conditionnelles
d) L’organisation des connaissances en schémas
e) Activités de synthèse des connaissances
C. Un contexte de réutilisation des connaissances acquises la résolution de problèmes
D. La communication pédagogique stratégique
CHAPITRE TROIS
CHAPITRE QUATRE
CHAPITRE CINQ
Méthodologie
É1éments retenus pour le développement d’un modèle d’enseignement
stratégique de la théorie musicale
Ébauche d’un modèle d’enseignement
stratégique de la théorie musicale
1. Le cas de la théorie musicale
2. Exemples des trois types de connaissances en théorie musicale
3. La préparation de l’enseignement
1. Les signes de notation musicale
A. Première étape: audition-élaboration-organisation-audition
B. Deuxième étape: création
C. Troisième étape: deux formes de résolution de problèmes le solfège et la dictée musicale
Il. La mesure
A. Modèle triphasé: synthèse-analyse-synthèse
B. Exemple de découverte guidée
C. Enchaînement des activités musicales
Ill. Les tonalités
A. Exemple d’apprentissage par réception
4. Application du modèle d’enseignement stratégique de Jones et al
A. La préparation à l’apprentissage
B. La présentation du contenu
C. L’application et le transfert des connaissances
5. Activités de synthèse des connaissances
A. La méthode des fiches
B. La méthode des projets
C. La méthode des tournois
CONCLUSION 

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