Le développement des processus rédactionnels et orthographiques

L’influence des émotions sur la cognition constitue un champ de recherche qui a donné lieu à beaucoup de publications. L’hypothèse d’une interaction étroite entre émotion et cognition est partagée par de nombreux chercheurs et de multiples possibilités d’appréhender cette interaction existent (e.g., Barrett, 2009 ; Frijda, 2009; Izard, 2007 ; Scherer, 2009).

Dans le cadre de l’étude de l’influence des émotions sur les activités cognitives complexes, des recherches ont montré qu’il pouvait exister un lien étroit entre l’état émotionnel du participant et ses capacités cognitives. Parallèlement, sur le plan des modèles explicatifs de la production écrite, des auteurs comme Hayes (1996, 2012) ou Kellogg (1994) ont souligné l’importance de prendre en considération la sphère affectivo-motivationnelle au sein des processus de production écrite, afin de ne pas centrer les débats uniquement sur l’architecture cognitive. Cependant, ce souhait est resté quelque peu lettre morte et un nombre insuffisant d’études ont tenté d’envisager les effets des émotions sur les capacités ou l’état émotionnel du rédacteur. Pourtant, des auteurs ont depuis un certain temps montré que les émotions pouvaient agir comme une double tâche consommatrice de ressources cognitives (Ellis & Moore, 1999 ; Gotoh, 2008 ; Martin & Kerns, 2011 ; Oaksford, Morris, Grainger & Williams, 1996 ; Vieillard & Bougeant, 2005) et l’influence des affects, des états émotionnels ou des humeurs sur la cognition a donné lieu à l’élaboration de plusieurs modèles explicatifs.

L’intérêt pour l’influence des émotions sur la cognition n’est donc pas nouveau. Cependant, d’une part, peu d’auteurs ont envisagé cette relation avec les processus rédactionnels, et d’autre part, très peu d’études ont été menées chez l’enfant. Or, le champ de recherche de l’effet des émotions sur la cognition, en général, est en plein essor, et inclure dans celui-ci l’étude des processus rédactionnels en contexte écologique (i.e., la classe) paraît indispensable. L’objectif de ce travail de recherche vise donc à mettre en évidence l’effet que peuvent avoir les émotions, au travers de l’induction d’un état émotionnel, sur les capacités rédactionnelles, orthographiques et mnésiques d’enfants au sein du contexte scolaire.

La production écrite de textes est un enchaînement de processus cognitifs qui consiste à transformer une somme d’informations complexes en une trace écrite respectant un code, des contraintes, des normes et ayant une visée communicative. Il s’agit d’une activité de construction de sens qui permet au rédacteur de développer ses connaissances et sa propre compréhension. L’activation et l’articulation de nombreux processus mentaux vont permettre, entre autres, de récupérer et de sélectionner les informations pertinentes, les formes linguistiques adéquates, mais aussi de programmer les actes moteurs indispensables à la production de la trace écrite, et de permettre l’émergence d’activités de relecture et de correction (Alamargot & Chanquoy, 2002 ; Alamargot & Fayol, 2009). Pour ce faire, la mobilisation de plusieurs domaines de connaissances (graphique, orthographique, référentiel, linguistique et pragmatique) et le déploiement de nombreux processus (planification, formulation, révision, exécution) sont nécessaires. Les recherches dans ce domaine ont beaucoup évolué (Chanquoy & Alamargot, 2003 ; Favart & Olive, 2005 ; Piolat & Pelissier, 1998), passant d’une centration sur l’étude du « produit » à celle des processus cognitifs à la base de la production écrite.

Dès 1980 et le modèle princeps de Hayes et Flower, les psychologues ont identifié les connaissances et les processus qui sont mis en jeu dans le cadre de la production de texte chez l’adulte. L’activité rédactionnelle y est perçue comme une activité complexe de résolution de problèmes. Selon les auteurs, le rédacteur expert qui évolue dans l’environnement de la tâche rédige à partir de ses connaissances qui sont stockées en mémoire à long terme. Plus précisément, trois dimensions principales sont envisagées : la mémoire à long terme, l’environnement de la tâche et le processus général de production . La mémoire à long terme stocke les connaissances relatives aux règles d’écriture, de grammaire, d’orthographe et au lexique, entre autres. L’environnement de la tâche se définit par le but de la production (destinataire, thème), par les informations utiles pour la réalisation de la tâche, comme la consigne, et par le texte qui a déjà été produit. Le processus de production se subdivise en trois processus qui sont sous l’influence d’une instance de contrôle :

– la planification qui consiste à récupérer les informations en mémoire à long terme et à les organiser selon le but de la production. Elle permet le développement des idées, c’est la phase de création, d’organisation et d’établissement des buts et des sous-buts. Au sein du processus de planification, Hayes et Flower (1980) ont précisé trois sous processus : la récupération des idées depuis la mémoire à long terme ou l’environnement, leur organisation et la définition de buts ;
– la mise en texte ou traduction sous forme linguistique des contenus qui consiste à produire du langage « réel », au travers de la sélection de mots qui permettront ensuite la construction de phrases permettant d’exprimer le message du rédacteur. Le processus de mise en texte code le message conceptuel élaboré précédemment, sous forme lexicale et syntaxique. Il s’agit de transformer le message en énoncés acceptables. Au cours de ce processus interviennent les composantes graphomotrice et orthographique ;
– la révision qui permet de contrôler la production en l’évaluant, au travers de la relecture et de la correction du texte déjà produit. Il s’agit d’un réexamen du texte permettant d’évaluer ce qui est déjà produit tout en y apportant des modifications afin de l’améliorer. Il permet au rédacteur de comparer et d’ajuster le texte produit en fonction du texte attendu. Le processus de révision est lui sous-divisé en lecture puis édition ;
– Enfin, l’instance de contrôle est le processus le moins conceptualisé qui semble agir à deux niveaux différents : à un niveau général afin de gérer les autres processus et à un niveau plus spécifique afin d’évaluer la qualité du texte par rapport aux normes et objectifs.

Selon ces auteurs, ces différents processus ne sont pas vraiment hiérarchisés, ils peuvent être sollicités soit les uns après les autres, soit de manière parallèle. Malgré son ancienneté, le modèle rédactionnel de Hayes et Flower (1980) est resté la référence pour beaucoup de chercheurs. Cependant, ce modèle initial a été révisé à deux reprises par Hayes (1996, 2012) qui, inspiré par les nombreux travaux de recherches impulsés par son modèle de référence, a mieux défini, entre autres, le rôle de la mémoire de travail et aussi introduit le rôle des affects et de la motivation dans les processus rédactionnels. En effet, malgré la précision du premier modèle (Hayes & Flower, 1980), des critiques ont très rapidement été émises relativement aux aspects émotionnel et motivationnel de la production écrite qui n’étaient pas suffisamment pris en compte. De plus, même si les auteurs postulaient que le rédacteur pouvait parfois fonctionner en état de surcharge cognitive, ce dernier point manquait de précisions. Par la suite, l’introduction du modèle de mémoire de travail de Baddeley (1986), qui est détaillé ci-après, a permis d’affiner les modèles de la production écrite de Hayes (1996, 2012).

Table des matières

Introduction générale
Chapitre 1. Le développement des processus rédactionnels et orthographiques
1.1. Introduction
1.2. La mémoire de travail au centre des processus rédactionnels et orthographiques
1.2.1. La mémoire de travail : définition
1.2.2. Le modèle de Baddeley
1.2.3. Le développement de la MDT
1.3. Le développement des processus rédactionnels
1.4. Le développement et l’apprentissage de l’orthographe
1.4.1. Modèles classiques de l’apprentissage de l’orthographe
1.4.2. Les limites des modèles par stades
1.4.3. L’orthographe par analogie
1.5. Production de textes, orthographe et ressources cognitives
1.5.1. Production écrite et ressources cognitives
1.5.2. Orthographe et ressources cognitives
1.6. Écriture, motivation et affect : les modèles de Hayes (1996, 2012)
1.7. Étudier conjointement les émotions et l’écriture chez l’enfant ?
Chapitre 2. Les émotions : définition, effets et modélisation
2.1. Que sont les émotions ?
2.2. L’émotion : une évaluation cognitive
2.3. Émotion, humeur et affect
2.4. Effets des émotions sur la cognition
2.4.1. Effets sur les adultes
2.4.2. Effets sur les enfants
2.5. Le modèle d’allocation de ressources et d’interférence cognitive
2.6. Validation expérimentale du modèle
2.7. L’apport d’Ellis et Moore (1999)
Conclusion générale

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