Le développement durable comme contrôle externe une proposition de formalisation

Le développement durable comme contrôle externe une proposition de formalisation

Afin de développer plus en profondeur les enjeux de l’élaboration d’un modèle de pilotage du développement durable comme contrôle externe, nous commencerons par en proposer une approche formalisée. Nous allons ainsi nous livrer à un tel travail de formalisation à travers notre grille d’analyse, présentée dans le chapitre 2 (modèle de performance, objets d’action, dispositifs). Nous nous efforçons, suivant une approche stylisée, de dégager un « idéal type » de ce modèle de pilotage. Comme nous l’avons souligné, une dérive possible d’un travail de formalisation concerne la tentation d’évacuer les ambiguïtés du modèle et de véhiculer une représentation totalement aboutie, unifiée et fonctionnelle du développement durable comme contrôle externe. Une telle représentation serait abusive et en décalage sensible avec la réalité, marquée par le bricolage et différentes ambiguïtés. D’un autre côté, le travail de formalisation peut aussi constituer un moyen utile pour révéler des objectifs des acteurs, les ambiguïtés, les inaboutissements et les limites d’un modèle de pilotage en cours d’élaboration. C’est dans cette perspective que nous nous livrerons à cet effort de formalisation. Pour ce faire, nous abordons tout d’abord les enjeux méthodologiques associés à l’émergence d’un modèle de pilotage inabouti aux foyers de production multiples (A). Ensuite, nous proposerons une représentation formelle et stylisée du développement durable comme contrôle externe (B). Dans un troisième temps, nous soulèverons les questions associées aux limites, ambiguïtés incertitudes d’un tel modèle (C). A) Comment étudier un modèle de pilotage aux concepteurs multiples ? Le sens de la démarche étant clarifié, la formalisation du développement durable comme contrôle externe pose une deuxième série de problèmes, d’ordre méthodologique. Dans un contexte international, il apparaît ainsi difficile d’identifier un architecte unique du modèle de pilotage du développement durable comme contrôle externe. La formalisation d’un tel modèle apparaît plutôt comme une agrégation progressive de contributions multiples émanant d’une multiplicité d’acteurs, structurés par des représentations diverses, qui ont contribué à façonner progressivement le modèle de performance, les objets d’action et les dispositifs. Cette multiplicité et cet éparpillement des foyers de production du modèle de pilotage pose des problèmes méthodologiques délicats. En effet, où chercher et comment identifier les acteurs et documents de référence qui exercent une influence structurante ? Comment situer les foyers de production centraux ? Le champ d’étude des politiques publiques est confronté à des questions analogues depuis une dizaine d’années. Ce problème a été particulièrement prégnant au sein des analyses cognitives des politiques publiques (Muller, 2000, 2006), qui s’interrogent notamment sur la manière dont émergent et se diffusent des idées, des doctrines et des représentations qui vont structurer l’ensemble des politiques publiques. Ces recherches visent ainsi à étudier la manière dont s’élabore le « référentiel » des politiques publiques, c’est-à-dire le cadre de référence mental, les représentations ou l’image de la réalité sur Le développement durable comme contrôle externe une proposition de formalisation  laquelle les politiques publiques cherchent à intervenir94. Une transformation contemporaine majeure dans le domaine des politiques publiques, à l’œuvre depuis les années 90 sous l’effet de la mondialisation, concerne la diffusion internationale d’un nouveau référentiel global des politiques publiques : le référentiel de marché. Au-delà du contenu de ce référentiel, son mode de production se trouve radicalement transformé. En effet, l’Etat nation ne constitue plus l’unique foyer de production du référentiel, comme c’était le cas auparavant. Les arènes se déplacent et sont de plus en plus distribuées : le référentiel global est le résultat complexe d’interactions entre des réseaux d’entreprise et financiers, des institutions internationales (FMI, OMC), les réseaux de la société civile (ONG), les entreprises, les Etats, etc. (Muller, 2006). Un tel contexte rend l’étude de la production des référentiels délicate. Pour résoudre ce problème, les analyses cognitives des politiques publiques ont notamment emprunté certaines approches au courant de la sociologie de la traduction pour mettre en avant le rôle d’acteurs de traduction (Callon, 1986), de transcodage (Lascoumes, 1994, 1996) ou de médiation95. La caractéristique clé de ces acteurs tient à leur capacité de faire le lien entre les différents réseaux et niveaux d’action (global et sectoriel, pour reprendre la terminologie de l’analyse cognitive des politiques publiques), et à articuler, au sein d’un même discours, des éléments jusqu’alors considérés comme indépendants. 

Le développement durable comme contrôle externe : une approche stylisée

De manière schématique, le modèle de pilotage du développement durable comme contrôle externe est construit sur les éléments suivants : Le postulat de départ concerne la transformation de la nature des relations entre les entreprises et la société. Ces éléments de transformation renvoient aux changements de l’environnement concurrentiel des entreprises, marqué par l’internationalisation, l’accroissement de la taille des entreprises et de leur influence grandissante sur des enjeux globaux tels que le réchauffement climatique, les politiques de développement économiques, la pauvreté, etc. L’accroissement de la part des dimensions immatérielles (valeurs des marques, réputation, le capital humain et intellectuel, la qualité du management) sur la valeur de l’entreprise constitue un second axe d’évolution99. Ce capital immatériel est d’autant plus précieux et fragile que les entreprises sont confrontées à une crise de confiance et sont plus vulnérables dans un contexte mondialisé, où des acteurs de la société civile (ONG, syndicats, consommateurs, etc.) peuvent se mobiliser à tout moment pour remettre en question publiquement le comportement de l’entreprise. Ces acteurs, comme la société dans son ensemble dont les valeurs et attentes évoluent, exigent un droit de regard et une transparence accrue de la part d’entreprises devenues plus puissantes. 2. Un second postulat est que ces éléments sont invisibles avec les lunettes traditionnelles de l’analyse financière et de la comptabilité. La manière dont l’entreprise gère ces nouvelles formes de valeur et de risque n’est pas reflétée par les documents comptables ou les systèmes de pilotage traditionnels de l’entreprise. Ils représentent pourtant de nouveaux risques et constituent une pression que les entreprises doivent prendre en compte pour survivre et prospérer. Il apparaît donc nécessaire de créer de nouveaux dispositifs de gestion : a. A destination des parties prenantes (ONG, salariés, investisseurs, agences de rating), en produisant des informations (formalisées via une démarche de reporting externe) attestant la manière dont le management de l’entreprise gère ces risques et répond aux attentes sociales .Au sein des entreprises, à travers des systèmes de management et de reporting internes établissant des objectifs et mesurant les progrès réalisés 3. Ces nouveaux flux d’information entre l’entreprise et son environnement doivent réduire les asymétries d’informations entre l’entreprise et ses parties prenantes, et donc optimiser le fonctionnement des marchés en offrant de nouvelles bases de décision aux consommateurs, salariés, investisseurs et ONG. Ces informations doivent progressivement donner lieu à l’élaboration de normes, de labels, de taxations et d’incitations marchandes permettant de rendre visibles les coûts environnementaux et sociaux non pris en compte par les mécanismes de marchés traditionnels. L’ensemble du processus doit donc permettre de visibiliser les coûts cachés des activités des entreprises et d’internaliser progressivement les externalités produites par les entreprises.

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