Le dispositif « Achats responsables » de France Télécom et ses spécificités

Le dispositif « Achats responsables » de France Télécom et ses spécificités

Les caractéristiques et la dynamique du dispositif « Achats responsables » de France Télécom

Depuis 2003, la gestion de l’outil électronique d’évaluation de la performance des fournisseurs visant à réduire les coûts des achats externes, en optimisant la gestion de la relation fournisseurs, est confiée au directeur Qualité fournisseur (en poste depuis 1993) au sein de France Télécom. Nous avons mis en exergue plus haut (IV.1), que ce membre du personnel a été le représentant du groupe de travail « fournisseur », lors du projet de structuration du dispositif RSE officiel du Groupe, et qu’il avait intégré dans son outil de travail des critères relatifs à son cadre de référence (éléments de la Charte éthique, de la politique environnementale du Groupe,…), regroupés dans un axe renommé « E » pour environnement et éthique. C’est la gestion de cet axe E qui, aujourd’hui, structure le contenu et le mode de déploiement du dispositif des Achats responsables, dont nous avons vu qu’il renforçait à la fois la légitimité interne et externe du centre de traduction et du métier Achat. Nous allons maintenant l’analyser, mais auparavant, nous préciserons les conditions de déroulement des entretiens avec le responsable de ce dispositif et la façon dont nous avons traité les différentes informations collectées. Nous avons interrogé à deux reprises le responsable du dispositif « achats responsables » de France Télécom. Le premier entretien s’est déroulé, en novembre 2007, lors de l’enquête sur l’organisation du dispositif RSE au niveau Groupe, et le second, en juillet 2008, dans le cadre de cette étude comparative. Nous avions déjà discuté plusieurs fois avec lui, durant les séminaires RSE organisés par le centre de traduction du dispositif RSE officiel du Groupe. Nous l’avons interrogé en utilisant le guide d’entretien ANR dédié aux directeurs des achats (Annexe 11)97. Celui-ci contient une question non directive sur la RSE dans l’entreprise du répondant et sur la façon dont elle affecte la fonction Achats. On y trouve aussi une série de questions plus directives pour déterminer la manière dont ce répondant perçoit l’organisation du dispositif RSE dans son entreprise (les motivations à sa formalisation, son mode de déploiement, les réussites et échecs de ce dispositif,…), la façon dont il se traduit et affecte son activité quotidienne (quels sont les fournisseurs concernés ?, quels outils utilise-t-il ?,…) et comment ce dernier comprend le rapport des logiques du DD, du SP et de la profitabilité. Nous l’avons enfin questionné sur son parcours professionnel et ses motivations à travailler dans le champ de la RSE. Lors du second entretien, nous avons particulièrement insisté sur l’organisation du dispositif « achats responsables ». Les entretiens ont duré en moyenne une heure trente. Ils ont été enregistrés, puis retranscrits. La triangulation des sources d’informations (l’analyse documentaire, l’observation et l’entretien) nous a alors permis de reconstituer l’organisation et le contexte d’évolution du dispositif « achats responsables » au sein de France Télécom : L’outil d’évaluation, sur lequel repose ce dispositif, a été conçu pour délivrer des fiches de synthèse aux acheteurs sur les performances des fournisseurs référencés au niveau Groupe. Les six axes Qualité, Relationnel Environnement/Ethique, Délais, Innovation et Coûts (outil QREDIC) qui le structurent contiennent plusieurs indicateurs. Ces indicateurs sont renseignés, à partir d’informations recueillies par questionnaires auto-administrés ou par les acheteurs et les experts Qualité de l’entreprise lorsqu’ils se rendent sur les sites des fournisseurs. Les critères d’évaluation de l’axe E ont été sélectionnés pour refléter la performance RSE du fournisseur, en tenant compte, notamment, de son engagement à adopter un comportement responsable (par exemple, on regarde si le fournisseur a un code de conduite) et en faveur du DD (ici, on voit si le fournisseur est adhérent à l’initiative du Pacte mondial, s’il a une politique environnementale,…). Ces critères se traduisent en une couleur de fond sur la fiche de synthèse de l’outil, alors que dans le cadre des autres axes, les critères aboutissent à une note sur cinq. Si la couleur de l’axe E est verte, cela indique que le fournisseur est socialement responsable ; lorsqu’elle est jaune, son niveau est jugé tolérable, et si elle est rouge, le fournisseur est considéré comme socialement irresponsable. Il doit alors revoir son système de management s’il désire poursuivre sa relation avec l’entreprise. Selon le directeur Qualité fournisseur, cette différence d’appréciation permet de valoriser l’axe E : 294 « On voulait quelque chose qui flashe plutôt que de noyer l’axe E dans la notation globale…le fournisseur aurait pu se dire : « aller, on va essayer d’améliorer notre Relationnel ou nos Délais pour rattraper notre retard dans l’axe EthiqueEnvironnement ! » on a voulu aussi faire passer des messages forts si l’axe E est à part, c’est aussi parce qu’on en fait un axe prioritaire » (Ibid). 

Le dispositif « Achats Responsables » de France Télécom éclairé par les quatre cas de l’échantillon

L’étude des quatre dispositifs Achats responsables, que nous utilisons à fins de comparaison, a été menée en collaboration avec une collègue du programme ANR. En août 2008, nous avons rencontré les responsables des dispositifs « Achats responsables » des deux grands services publics de réseaux. Notre collègue a interrogé celui en poste dans l’entreprise privée du secteur pharmaceutique. Nous avons, ensuite, utilisé la retranscription de l’entretien mené avec le responsable de la seconde entreprise privée du secteur cosmétique, par un membre du programme ANR. L’ensemble des entrevues s’est déroulé à partir du guide ANR, dédié aux directeurs des achats (Annexe 11)99. Elles ont duré en moyenne 1 heure trente. Toutes ont été enregistrées puis retranscrites. Nous avons ensuite triangulé les différentes informations collectées (les informations documentaires et celles d’entretiens) et construit une grille thématique permettant de comparer les points suivants avec ce que nous avions observé chez France Télécom: l’organisation de la fonction achat des entreprises ; le contexte 99 Guide d’entretien pour les directeurs d’achats responsables 300 d’émergence des dispositifs « achats responsables » ; leur type d’approche (concertée avec les partenaires sociaux, les fournisseurs,…vs technocratique) ; le profil de leurs responsables ; les moyens mis en œuvre pour les déployer (outils, réseaux sociaux) et le type de fournisseurs concernés par ces sous dispositifs (cf. tableau de synthèse de la fin de cette section). Ce travail a été effectué en collaboration avec notre collègue du programme ANR. Nous avons d’abord examiné séparément, l’une et l’autre les informations collectées et établi des catégories en nous appuyant sur le guide d’entretien. Nous avons ensuite confronté nos catégories avant de définir la grille thématique, présentée ci-dessus. Nous avons également reconstitué les modes d’évolution des quatre dispositifs. Dans les pages suivantes, les phrases en italique correspondent à des extraits des retranscriptions d’entretiens et les encadrés grisés mettent en perspective les similitudes et différences observées entre les cas exposés et le dispositif « Achats responsables » de France Télécom. Nous rendrons compte, maintenant, des résultats de cette analyse100 . Un des grands réseaux de service public, Ampère France, a été créé en 1946 et exerce son activité dans le secteur de l’énergie. Ancien établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), il est, depuis 2004, une société anonyme multinationale, au capital majoritairement détenu par l’Etat français. Depuis 2006, comme nous le développerons plus bas (IV.4), ce grand réseau décline un dispositif RSE en collaboration avec ses partenaires sociaux, au travers d’un accord-cadre international (ACI). Cette démarche se présente comme un cadre de référence pour la gestion des relations avec les parties prenantes clés de cette entreprise. Dès 2004, le sujet des achats responsables a été abordé au sein de la Direction Méthodes Achats et Programmes Qualité, DD de l’entreprise dans le périmètre de la France, sans que pour autant une stratégie ne soit définie. Il a pris de l’ampleur à partir de 2006, lorsque l’entreprise et ses partenaires sociaux se sont entendus sur les termes d’un article de l’ACI, intitulé « Sous-traitance socialement responsable ». Celui-ci vise à offrir aux membres du personnel des fournisseurs et sous-traitants français de « meilleures conditions d’emploi, de qualification, de conditions de travail et de santé-sécurité, en toute connaissance des risques inhérents aux activités exercées» (extrait du rapport RSE de l’entreprise, 2009). Cet article s’est décliné en un nouvel accord cadre et depuis sa signature, un comité de suivi, composé de  représentants syndicaux et de responsables opérationnels, se réunit deux fois par an pour évaluer les progrès réalisés au sein du réseau des fournisseurs/sous-traitants. Puis, en juin 2008, ce comité a décidé de déployer un dispositif « achats responsables » à l’échelle du groupe, en s’appuyant sur l’expérience, déjà acquise, sur le périmètre de la France. Ce grand réseau n’a pas de direction achat centralisée. Le pilotage de ce nouveau dispositif a donc été confié au Directeur Méthodes Achats et Programme Qualité, DD France. Il est aidé dans ses fonctions par quatre personnes. Membre depuis plusieurs années du groupe de travail « Fournisseur et Développement Durable » de l’Observatoire de la Responsabilité Sociétale de l’Entreprise (ORSE), il se réfère aux exemples de bonnes pratiques échangés entre pairs pour assurer la diffusion de son dispositif à l’échelle de son Groupe. Il se donne pour objectif d’« agir sur les stratégies d’achats […] pour que l’acheteur n’ait pas à arbitrer (…) entre coût et responsabilité sociale lorsqu’il est devant le fournisseur… ». Le dispositif de ce grand réseau concerne prioritairement le management de la relation avec les fournisseurs situés en France et catégorisés à risques. L’ACI sur la RSE renforce la légitimité de sa démarche : « il y a une démarche d’entreprise, un accord sur la RSE qui s’impose à toutes les Directions.» Le mode de pilotage est proche de celui développé dans les démarches Qualité. Une clause RSE a d’abord été introduite dans les contrats des fournisseurs : « cette clause était relativement générale et donc tous les fournisseurs arrivaient plus ou moins à rentrer dedans ». Puis, une charte Développement Durable, plus exigeante a été rédigée et diffusée auprès des fournisseurs, sous le contrôle des juristes qui ont veillé à limiter le périmètre de responsabilité du Groupe, car, selon les propos du directeur : « si (le groupe) paye des fournisseurs, on ne veut pas être responsable, chacun ses responsabilités… ». En parallèle, les conditions générales d’achats ont été révisées pour introduire les critères environnementaux et sociaux du code des marchés publics français. Depuis la signature de l’accord « Sous-traitance socialement responsable », dans les questionnaires d’évaluation des fournisseurs français un chapitre dédié à la RSE a été ajouté. Le traitement des questionnaires a permis d’élaborer une cartographie des risques, en fonction des exigences de l’accord. Le Directeur a travaillé avec les différents organismes professionnels des fournisseurs : « on est dans une démarche de progrès….vous vous rendez compte : résilier un contrat !! Il faut parfois deux ans !(…) c’est une catastrophe pour les deux côtés ! ». Un programme d’audits des fournisseurs catégorisés à risques est à présent en cours de déploiement dans différents pays d’Europe, d’Asie et 302 d’Afrique, à partir d’un référentiel inspiré des normes SA 8000 et ISO 14001. Selon le directeur, le processus du dispositif est désormais « verrouillé au niveau contractuel, au niveau amont de l’évaluation et au niveau aval du retour d’expérience. » 

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