Le littoral russe de la Mer Noire

【 Les mécanismes de soft power et de diplomatie publique ne sont pas satisfaisants sur les plans quantitatif et qualitatif… Il faut d’urgence développer des instruments modernes et des réseaux d’influence, au moins dans les pays de notre voisinage.

V. Nikonov, président de Russkii Mir, à Dmitri Medvedev, Rencontre avec des représentants d’association, 18 septembre 2008 .】

2003. Vladimir Poutine, président de la Fédération russe depuis trois ans, décide d’évaluer l’image que « l’Ouest » se fait de son pays. Un sondage est alors effectué aux EtatsUnis où il est demandé aux sondés de citer dix mots qui leur viennent à l’esprit lorsqu’ils pensent à la Russie. Le verdict est sans appel : le communisme, le KGB, la neige, le froid et la mafia se disputent la première place, loin devant Tchaïkovski, les blinis ou la culture millénaire du pays .

Si ce sondage peut prêter à sourire, non seulement parce qu’il renvoie à des clichés réducteurs largement utilisés sous la Guerre Froide, mais également parce qu’il n’a été effectué qu’aux Etats-Unis, il a cependant fait grincer bien des dents à Moscou. Le Kremlin a reconnu qu’il avait un problème d’image à l’international. Et chacun a tenté de trouver des raisons et des responsables. Si, pour le Kremlin, Vladimir Poutine en tête, les journalistes étrangers travaillant en Russie sont en grande partie responsables de cette image négative, plusieurs rencontres et forums ont permis de pointer du doigt un autre adversaire, venant de l’intérieur : la politique étrangère menée par la Russie. Le pays aurait en effet majoritairement utilisé la coercition et serait un partenaire imprévisible dont on se méfie. En somme, un gouverneur a parfaitement résumé la situation lors du sommet du Global Policy Forum, tenu à Yaroslav en 2010 : « la Russie a un déficit de soft power pour avoir trop privilégié le hard power».

Etat, puissance, soft power et diplomatie publique
Un Etat, comme toute construction, cherche à assurer sa pérennité. Les Grecs anciens voyaient déjà deux menaces au maintien de la polis. La première venait de l’extérieur, représentée par les « Barbares » qui assiégeaient la cité. La seconde en revanche, émanait de la cité même : le dysfonctionnement politique interne. L’Etat doit donc être capable de générer une autorité suffisante pour assurer son maintien sur le plan international, comme sur son propre territoire. Cette autorité, plus ou moins étendue, est assimilée à la puissance ou au pouvoir. Par abus de langage, Etat et puissance sont même devenu des synonymes : il n’est pas rare en effet de lire après une rencontre du G8 que « les grandes puissances se sont retrouvées… ». La puissance pourrait ainsi d’abord être définie comme le pouvoir d’assurer sa souveraineté contre toute menace venue de l’intérieur comme de l’extérieur. Selon une autre acceptation, elle serait également la capacité d’affecter autrui pour le plier à sa volonté : pendant des siècles, et aujourd’hui encore, les Etats ont levé des armées, conclu des traités militaires et économiques, colonisé des terres en cherchant à étendre leur « aire d’influence ». La puissance s’entend alors ici comme un rapport de domination entre les Etats. Cependant, des études sur le fonctionnement du système mondial actuel ont révélé que la « puissance » ne dépendrait plus seulement de la force et des capacités de coercition sur autrui et que celles-ci pouvaient même se révéler contre-productives. L’Europe, par exemple, a choisi de développer une puissance « normative » pour certains, ou une puissance «postmoderne » pour d’autres, opposées à la coercition et à la puissance militaire. Les EtatsUnis ont, quant à eux, certes, conservé une puissance coercitive importante, principalement dans les domaines militaires et économiques, mais ont également cherché à diversifier leur capacité d’influence, notamment par le biais du soft power. Cette notion, développée par l’américain Joseph Nye, sera d’une grande importance dans ce mémoire : le soft power est la capacité pour un acteur politique d’infléchir la vision, voire le comportement, d’autres acteurs par l’attraction ou la cooptation plutôt que par la coercition ou la rétribution.

Cependant, le lien entre ce qui est appelé le « troisième pouvoir » et l’Etat doit être expliqué. En effet, le soft power est généré par une multitude d’acteurs. Prenons pour exemple l’American Way of Life. Il a été certes véhiculé par des acteurs culturels (Hollywood, Musique), économiques (Ford, Coca-Cola), médiatiques (CNN) et transnationaux (ONG), mais également par l’Etat. En effet, si le soft power n’est pas une politique en soi, il peut résulter d’une politique. Le terme de diplomatie publique entre alors en jeu. Théorisé en 1965 par Edmund Gullion, qui ne fait que nommer pour certains quelque chose qui existe en pratique depuis longtemps , la diplomatie publique a un caractère particulier. Contrairement à la diplomatie « traditionnelle », secrète et cantonnée aux hautes sphères étatiques, la diplomatie publique se définit comme étant l’ensemble des moyens engagés par un Etat pour communiquer directement avec l’opinion publique étrangère. Son but est d’abord d’assurer les intérêts et la sécurité de l’Etat en expliquant, voire en justifiant son action. Mais, elle sert également à influencer de manière positive et à «attirer » l’opinion publique étrangère, afin que cette dernière, acquise à la cause de l’Etat, serve ses intérêts. Et dans ces conditions, la diplomatie publique peut générer du soft power.

L’espace au service de l’Etat et de sa « puissance » ?
Joseph Nye définit plusieurs ressources susceptibles de générer du soft power. L’espace, objet de prédilection du géographe pourrait-il être une de ces ressources ? Il semblerait en effet que l’espace soit amené à jouer un rôle clé dans la puissance d’un Etat. D’abord, parce que son organisation et son bon fonctionnement rendent l’Etat plus attractif et assure sa pérennité. Ensuite parce qu’il peut potentiellement servir de vitrine à la puissance. Par exemple, la skyline américaine est devenue le symbole de la puissance urbaine des Etats-Unis, à tel point que même si elle est fonctionnellement inutile, sa construction est jugée comme nécessaire . L’espace, en tant que territoire aménagé et construction humaine, pourrait ainsi servir une sorte de « marketing d’Etat », appelé également parfois nation branding.

Un lien entre la diplomatie publique, le soft power et l’espace se formerait alors.
L’espace serait donc un moyen possible pour un Etat de communiquer directement avec l’opinion publique étrangère. Il pourrait ainsi être utilisé comme nation branding par la diplomatie publique et générer du soft power dans la mesure où il permettrait de séduire l’opinion publique étrangère et de l’influencer de manière positive.

La Russie, consciente à la fois de l’image négative qu’elle peut véhiculer et de son manque de stratégies « d’attraction », a décidé de combler son retard. En 2004, Vladimir Poutine annonce, dans un discours devant les ambassadeurs et les représentants permanents de la Fédération de Russie, vouloir construire une image nationale positive et conforme à la réalité . En 2005 Russia Today, qui se veut l’équivalent de CNN et de la BBC voit le jour. Mais consciente de la nécessité d’élargir le spectre des instruments utilisés, la Russie décide également d’utiliser le nation branding.

Table des matières

Introduction
Partie I : Pratique du Terrain, Approche conceptuelle et méthodologie
Chapitre I Le Terrain : le littoral russe de la Mer Noire
A) La genèse de la recherche et la justification du choix du terrain
B) La structure du système du littoral de la Mer Noire
Chapitre II Les Concepts
A) Principales théories et critiques
B) L’adaptation au « cas » russe
Chapitre III L’idée
A) Thèse et hypothèse de recherche : la posture de départ
B) Les outils pour étayer l’hypothèse
Partie II : Le littoral russe de la Mer Noire, au cœur d’une stratégie d’attraction
Chapitre IV La valorisation de l’espace littoral de la Mer Noire
A) Les ressources « primaires » du littoral
B) Mise en marche des mécanismes de valorisation : un espace dynamique en pleine mutation
C) Un espace d’investissements
D) Intégration et polarisation : la construction d’un carrefour régional
Chapitre V Le rôle de la valorisation de l’espace : Augmenter l’attractivité
A) S’appuyer sur les ressources et les mécanismes et favoriser certains domaines
B) Assurer la sécurité du littoral de la Mer Noire
C) La mise en place d’une sun belt « à la russe » ?
Chapitre VI La génération d’un soft power en marche ?
A) Le littoral russe possède des ressources capable de générer du soft power
B) Quelle diplomatie publique sur le littoral pontique russe ?
C) Difficultés et limites de la génération du soft power
Partie III : Les freins à l’attractivité et leur gestion
Chapitre VII Un espace à risque ? Le littoral aux portes de zones géopolitiques instables
A) Des citoyens « encombrants »
B) Des voisins turbulents
C) Le système Caspienne-Mer Noire, carrefour des ambitions et terrain de jeux géostratégique
D) Les risques effectifs pour le littoral de la Mer Noire
Chapitre VIII Les dysfonctionnements internes du système du littoral de la Mer Noire
A) La complexité du fonctionnement russe, frein à l’investissement étranger et au tourisme ?
B) Le problème de la superposition : le littoral en quête de stabilité
C) L’effrayante perspective de la macrocéphalie
Chapitre IX La Nécessité d’une politique de gestion efficace
A) Réduire les freins à l’attractivité
B) Soft power et diplomatie publique « à la russe » : essai de définition
C) Atouts et freins à l’attractivité sur le littoral russe de la Mer Noire : Synthèse
Partie IV : Sotchi 2014, l’outil de diplomatie publique le plus abouti. Etude de Cas
Sotchi 2014: au cœur de la future cité olympique
La stratégie de diplomatie publique décryptée
L’épreuve du feu
Conclusion

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