Le profil des patients médicolégaux hospitalisés

Les personnes atteintes de troubles mentaux ont toujours dérangé et font peur. Elles étaient considérées, et elles le sont toujours, comme des personnes qu’il fallait mettre à l’écart de la société, du fait de comportements qui pouvaient perturber la sérénité des autres et troubler l’ordre public. Le sujet de la dangerosité des malades mentaux est à la croisée des chemins entre psychiatrie et criminologie, entre santé et justice. La dangerosité psychiatrique est une question complexe, ancienne, qui est à l’origine des fondements même de la psychiatrie et des premières mesures thérapeutiques pour les malades mentaux. Le terme «danger» issu du bas latin ‘‘damnarium’’ signifie amende, châtiment, et aussi dommage. S’y trouve également associé le terme ‘‘dominiarium’’ qui évoque les idées de puissance et, par extension, du péril couru du fait d’une domination arbitraire quelconque. Ainsi, l’origine du mot danger renvoie au double sens de dommage et de pouvoir. (1) La dangerosité étant définie comme l’état dans lequel une personne est susceptible de commettre un acte violent. Le terme de violence dérive du latin ‘‘violentus’’, ‘‘violentia’’, signifiant le caractère violent ou farouche, la force. Deux niveaux s’y superposent : la force physique brutale et la transgression (des lois et règlements, des normes et des coutumes). Ce deuxième aspect fait de la violence une notion relative, subjective et normative. La violence est toujours sous-tendue par l’agressivité, mais toute agressivité ne saurait se convertir en violence. (1) L’organisation mondiale de la santé (OMS) dans son « Rapport mondial sur la violence et la santé » donne une définition exhaustive : « l’usage délibéré ou la menace d’usage délibéré de la force physique ou de la puissance contre soi-même, contre une autre personne ou contre un groupe ou une communauté, qui entraîne ou risque fort d’entraîner un traumatisme, un décès, un dommage moral, un mal-développement ou une carence».

Les malades mentaux peuvent être violents contre eux-mêmes ou contre autrui, tous les pays occidentaux ont mis en place des mesures législatives pour la protection des malades et du public (mesures d’internement). L’existence d’une corrélation positive entre troubles mentaux et dangerosité est retrouvée dans de nombreuses études faisant appel à des méthodologies variées. Dans les pays industrialisés les troubles mentaux sont responsables de 0,16 homicides pour 100 000 habitants, soit un homicide sur 20 de l’ensemble des homicides. Ainsi, la plupart des auteurs s’entendent sur le fait que la prévalence d’actes violents commis par des patients qui présentent des troubles psychiatriques est plus importante qu’en population générale (3) Ainsi, 3 à 5 % des violences sont (4) dues à des malades mentaux et l’importance des gestes homicides a été soulignée, ce qui pour Millaud (3) pourrait être la cause de la représentation particulièrement négative de la maladie mentale. Il faut étudier les différents paramètres qui peuvent faire craindre un passage à l’acte dangereux chez un malade mental et évaluer les facteurs liés à l’état mental d’un sujet. Senninger (5) différencie les critères médicaux et les critères médicopsychologiques. Dans les critères médicaux sont retenus comme facteurs de risque : le jeune âge, le sexe masculin, les conduites addictives, les antécédents judiciaires et/ou de passages à l’acte et sur le plan médicopsychologique, l’impulsivité, la méfiance, un niveau intellectuel faible, une certaine froideur des relations, les mécanismes hallucinatoires et l’automatisme mental ainsi que les délires mystiques et paranoïaques. Les hospitalisations sans consentement seraient également plus élevées chez les patients qui présentent des comportements dangereux. Les cliniciens mais aussi les juristes et de façon plus large l’ensemble de la société sont préoccupés par l’évaluation de cette dangerosité, la prédictibilité de la violence, et les moyens de prévention possibles. Ces questions sont au cœur de la criminologie clinique qui touche la population délinquante en général, sans restriction aux malades mentaux.

Généralités

Généralités sur la dangerosité

Définition :
Le concept de dangerosité est né au XIXème siècle dans un contexte de défense sociale et de volonté de protection de la population contre le crime. Au début du XXème siècle, la dangerosité d’un individu renvoyait à des «habitudes délinquantes» et donc aux nombres d’infractions commises.

Il n’existe pas de définition de la dangerosité. Ce terme comprend trois inductions : la réponse pénale qu’implique le constat du danger, la recherche d’une cause pour tenter de l’éradiquer et le constat des conséquences pour rendre justice à la victime. (6) La définition de ce qu’est un individu «dangereux» se modifie selon les valeurs changeantes de la société. PRATT démontre que le concept de dangerosité est une construction sociale plutôt qu’une entité ontologique. (7) Initialement, l’évaluation de la dangerosité d’un individu répondait aux principes du droit pénal classique ; plus le nombre de crimes était important, plus la sentence était sévère. Après les années 1970, c’est plutôt le genre de crime qu’un individu pourrait commettre dans le futur, plutôt que le nombre de crimes perpétrés antérieurement, qui présente un intérêt dans la détermination de la dangerosité. (7) La notion complexe de dangerosité comporte actuellement deux acceptions, criminologique et psychiatrique.

Dangerosité criminologique
La dangerosité criminologique peut faire l’objet de plusieurs définitions. Toutes sont néanmoins fondées sur des critères identiques (8):

*L’absence de pathologies psychiatriques.
*L’existence d’un risque de récidive ou de réitération d’une nouvelle infraction empreinte d’une certaine gravité. Les définitions formulées par plusieurs auteurs sur la dangerosité criminologique font toute référence à la probabilité de commettre une infraction contre les personnes et les biens. La commission Santé-Justice a défini la dangerosité criminologique comme un «phénomène psychosocial caractérisé par les indices révélateurs de la grande probabilité de commettre une infraction contre les personnes et les biens». (9) Pour certains auteurs, il ne convient pas de parler de la dangerosité d’un individu mais d’évoquer plutôt un «état» de dangerosité. Pour BOURGEOIS et BENEZECH, cet état de dangerosité correspond à un «Etat, situation ou action, dans lesquels une personne ou un groupe de personnes font courir à autrui ou aux biens, un risque important de violence, de dommage ou de destruction». Ils distinguent l’état dangereux permanent (trait) et l’état dangereux imminent (état). (10) La détermination législative de «l’état dangereux» des auteurs d’infraction pénale s’opère aux moyens de présomption de dangerosité ou de présomption d’innocuité. Cette présomption de dangerosité repose en partie sur des critères légaux comme la «nature» de l’acte commis (torture, acte de barbarie, infractions révélant une délinquance habituelle ou professionnelle), les «mobiles particuliers» (terrorisme, racisme, homophobie..), les «modes opératoires» (présence d’une arme, empoisonnement), la «qualité» des victimes (enfants, personnes vulnérables), la concomitance et la corrélation d’infractions et le passé pénal. (8) Les députés, auteurs du rapport sur le traitement de la récidive des infractions pénales, concluent que «l’appréciation de la dangerosité et de la mesure de probabilité de commission d’une infraction constitue un exercice délicat qui doit être mis en œuvre au travers d’une méthodologie pluridisciplinaire associant des expertises psychiatriques, médicopsychologiques et comportementales du condamné car aucun secteur de la médecine ou du domaine social ne saurait rester étranger à la criminologie. ».

Dangerosité psychiatrique
La dangerosité psychiatrique est, quant à elle, une manifestation symptomatique liée à l’expression directe de la maladie mentale. La commission Santé-Justice, en 2005, a défini la dangerosité psychiatrique comme «un risque de passage à l’acte principalement lié à un trouble mental et notamment au mécanisme et à la thématique de l’activité délirante». (9) SENNINGER parle de «dangerosité pathologique» qui concerne le malade mental considéré comme dangereux, qui présente une probabilité de passage à l’acte agressif. (11) Pour AMBROSI « l’état dangereux » correspond à un «risque psychologique, c’est-à-dire un état où la prise de décision impulsive est imminente et dont se dégage l’impression d’un « juste avant » l’effondrement psychique.

Psychopathologie de passage à l’acte dans les différentes pathologies psychiatriques 

Schizophrénie et passage à l’acte violent :
La schizophrénie est une psychose chronique survenant chez l’adulte jeune, cliniquement caractérisée par des signes de dissociation affective et d’activité délirante, entraînant généralement une rupture de contact avec le monde extérieur et parfois un repli autistique. Elle touche 1% de la population mondiale et est due à l’interaction de plusieurs facteurs notamment génétiques, biologiques, psychologiques et environnementaux. Au Maroc, elle touche 5,6% de la population.

La symptomatologie est faite de signes variables : positifs, négatifs et dissociatifs. Les signes positifs sont dominés par le délire à mécanisme surtout hallucinatoire et à thèmes variables, les signes négatifs correspondent au syndrome autistique et les signes dissociatifs à l’automatisme mental.

Le pronostic de la schizophrénie est conditionné par la précocité du diagnostic et donc le démarrage du traitement antipsychotique, ceci montre l’importance de la sensibilisation du public aux problèmes psychiatriques et des efforts éducatifs visant la famille.

Le passage à l’acte du schizophrène naît d’une situation ressentie comme dangereuse. Face à cette situation menaçante, le schizophrène va en rechercher l’origine, et se concentrer sur le monde extérieur, seule source possible de menace.

Dans un mouvement projectif, le schizophrène va commencer à percevoir le monde comme étrange, angoissant. le sujet schizophrène va rechercher des solutions face à cette menace. Une fugue, une tentative de suicide pour tenter de s’éloigner de la source du danger. L’homicide ou la tentative d’homicide peuvent être un moyen de résoudre cette situation dangereuse, et d’éliminer le persécuteur. Plus de la moitié des schizophrènes violents présenteraient un autre diagnostic (dépression, abus de substances, traumatismes crâniens) et les diagnostics psychiatriques « purs » seraient rares dans la population carcérale (13,14). Pour Putkonen et al. (15), il y aurait trois catégories diagnostiques de psychotiques qui tuent ou tentent de tuer une autre personne ; des diagnostics « purs » pour 25% (une majorité de schizophrénies, de troubles schizoaffectifs et d’autres troubles psychotiques), un tel diagnostic associé à un diagnostic d’abus de substances (dual diagnosis pour 25% de leurs sujets) et enfin l’un ou l’autre de ces deux diagnostics associés aux troubles de personnalité antisociale (47 %).

Les patients schizophrènes présentant un délire de persécution peuvent passer à l’acte dans le cadre de ces idées délirantes. Dans un contexte d’insécurité et de fragilité émotionnelle, la conviction délirante peut se développer, du fait de distorsions cognitives qui ne permettent pas de traiter de façon adaptée une situation affective ou émotionnelle stressante. Dans le cadre des délires de jalousie, et des crimes «passionnels», existe la notion de perte d’objet. La personnalité de ces criminels «passionnels» peut être marquée par l’égocentrisme, le sentiment «d’avoir droit», une dépendance avec besoin de réassurance. Les relations à l’autre oscillent entre idéalisation et dévalorisation d’autrui. Il existe un manque d’empathie à l’égard des sentiments d’autrui et une incapacité à supporter l’abandon. La relation possessive est marquée par une grande dépendance du sujet à l’objet. La menace de la perte d’objet, entraîne une atteinte narcissique avec menace de l’intégrité du Moi, et le passage à l’acte criminel intervient comme une défense contre l’effondrement du Moi.

Table des matières

INTRODUCTION
MATÉRIEL & MÉTHODES
I. Matériel de l’étude
1.Type de l’étude
2.Population étudiée
3.Fiche d’exploitation
4.Collecte des données
5.Considérations éthiques
II.Méthodes Statistiques
RÉSULTAT
I.Données sociodémographiques
1.L’âge
2.Le sexe
3.Le statut matrimonial
4.Le nombre d’enfant
5. Le niveau d’instruction
6.La profession avant l’internement
7.Le niveau socioéconomique
8.La situation des parents
9.Le nombre de fratrie
10.Le milieu de vie
II. Antécédents personnels
1.Les antécédents psychiatriques
2.Les antécédents judiciaires
2.1 Le nombre
2.2 La cause de l’incarcération
2.3 La durée totale de l’incarcération
2.4 L’âge de la première condamnation
3. Les antécédents toxiques
3.1 Le tabac : Age de début
3.2 Le tabac : nombre de cigarette par jour
3.3 Le tabac : la nature de la consommation
3.4 Le cannabis : Dh par jour
3.5 Le cannabis : la nature de la consommation
3.6 L’alcool : litre par jour
3.7 L’alcool : la nature de la consommation
III. Les antécédents familiaux
IV. Les caractéristiques cliniques de la population étudiée
1. La symptomatologie de l’admission
2. Le diagnostic retenu
3. L’âge de début
4. Le mode de début
5. La durée de l’évolution de la maladie
6. L’hospitalisation actuelle
6.1 La durée
6.2 Le placement
6.3 L’ordonnateur
V. L’acte médicolégal
1. La nature de l’acte
2. L’âge au moment de l’acte
3. L’intentionnalité au moment de l’acte
4. L’état au moment de l’acte
5. L’intervalle entre l’acte et l’internement
6. La victime
6.1 L’âge
6.2 Le sexe
6.3 Le statut
7. La conscience actuelle de l’acte
8. La conséquence judiciaire
8.1 Durée de condamnation pour la responsabilité atténuée
8.2 Durée de condamnation pour la responsabilité totale
9. L’homicide et l’agression
9.1 Contexte de dispute
9.2 Moyen utilisé
9.3 Comportement après l’acte
VI. La prise en charge thérapeutique
VII. L’état somatique au cours de l’internement
1. Comorbidité avec pathologie médicale
2. Problème chirurgical
VIII. Les échelles
1. Evaluation de l’insight du malade
1.1 Score général
1.2 Conscience des symptômes
1.3 Conscience de la maladie
1.4 Conscience du besoin de traitement
2. Evaluation des symptômes par la Positive and Negative symptoms scale (PANSS)
3. Evaluation des symptômes par MADRS
4. Evaluation des symptômes par SDAS
DISCUSSION
I. Généralités
1. Généralités sur la dangerosité
1.1 Définition
1.2 Dangerosité criminologique
1.3 Dangerosité psychiatrique
2. Psychopathologie de passage à l’acte dans les différentes pathologies
psychiatriques
CONCLUSION 

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