Le tournant vidéo de l’Internet militant

Le tournant vidéo de l’Internet militant

La « politique esthétique » de la vidéo militante sur Internet

Sous-utilisée depuis l’apparition du Web, la vidéo connaît, à l’heure où nous rédigeons ce travail, un essor considérable dans le domaine de l’activisme politique. Cet essor bénéficie indiscutablement de l’évolution de facteurs technologiques : Olivier Blondeau – « Les orphelins de la politique et leurs curieuses machines ». Thèse IEP de Paris – Année 2006 123 – l’augmentation croissante des débits accessibles au grand public avec notamment la diffusion de l’ADSL, – la baisse du prix du matériel de captation au format numérique avec notamment les caméras DV, – l’augmentation constante de la taille des disques durs permettant de stocker des fichiers relativement « lourds », – la diffusion dans le grand public de l’informatique et en particulier des outils logiciels de montage et de création audiovisuelle. Notons au passage que le constructeur de matériel Apple distribue à chaque personne achetant un ordinateur de cette marque, le logiciel Imovie qui permet de réaliser des montages vidéo de très bonne qualité sans pré-recquis techniques importants191 . Contrairement au texte, et dans une moindre mesure au son, la vidéo pose en effet deux problèmes assez cruciaux : celui de la bande passante et celui de l’espace de stockage. Pour pouvoir diffuser et recevoir de la vidéo au moyen d’Internet dans de bonnes conditions, il est nécessaire de disposer de lignes téléphoniques ou câblées ayant un important débit et, en tout état de cause, supérieur à celui d’une ligne téléphonique classique. Avec l’apparition de l’ADSL et la baisse constante des coûts d’accès à des lignes spécialisées à très haut débit pour les diffuseurs, les obstacles à la diffusion et à la réception tendent à se réduire de manière considérable. De la même manière, l’augmentation de l’espace disque, tant sur les serveurs que sur les ordinateurs individuels, conjuguée à l’apparition de formats de compression192 vidéo de plus en plus performants (DIVX193 et MPEG4194) permet de mettre en ligne une quantité de plus en plus importante de productions audiovisuelles.

De « l’œil mécanique » de Vertov au mouvement des intermittents du spectacle 

essai de déconstruction de l’esthétique des médias. Parmi les vidéos du corpus, nous allons nous attacher tout d’abord à développer l’exemple assez significatif de la vidéo intitulée Nous sommes partout !198. Afin d’en pointer la spécificité du point de vue formel, nous mettrons en regard cette réalisation, issue d’un collectif vidéo ayant diffusé sa production sur Internet avec un autre type de mise en scène d’une critique du discours politique et médiatique émanant des télévisions associatives. Dans une émission intitulée Désentubage cathodique, datant de janvier 2001, extraite du corpus d’émissions de télévisions associatives que nous avons constitué avec Laurence Allard, nous assistons à un essai de déconstruction des « mensonges de Jacques Chirac » sur la question du scandale du financement des partis politiques par deux animateurs de Zaléa TV. Dans cette émission, se succèdent alternativement des séquences extraites d’une interview télévisée du Président de la République et des séquences où Michel Fiszbin et PierreHerejkowsky « décortiquent » depuis leur régie, les principaux ressorts du discours du chef de l’État. Une scène de lapsus est particulièrement intéressante. À un moment, Jacques Chirac dit : « C’est moi qui le premier avait, au G8 de Lyon, lancé cette croisade contre l’argent sale et pour le blanchiment de l’argent sale ». Retour au studio et éclat de rire des animateurs Zaléa TV : « C’est assez étonnant ! Mais pourquoi il ne lui répond pas PPDA ? » demande Pierre Herejkowsky. « Attends, parce ce qu’il va se reprendre après. … Oui, c’est logique : t’es contre l’argent sale donc t’es pour son blanchiment : pour qu’il ne soit plus sale ! », répond hilare Michel Fiszbin. Retour à l’image de Jacques Chirac rectifiant son erreur. En contrepoint de cette scène, nous pouvons montrer ici le traitement par Nous sommes partout ! d’un autre lapsus, celui de Jean-Jacques Aillagon, déclarant dans une interview au journal de la chaîne d’information LCI : « Nous allons tout faire pour éradiquer l’intermitt…, euh, l’abus. » Le procédé employé par ce film est très différent : on voit tout d’abord la scène originale durant laquelle le Ministre de la Culture fait ce lapsus. Cette scène est ensuite remixée à plusieurs reprises, puis remontée et retravaillée sur un banc de montage numérique pour que l’on puisse entendre le Ministre dire : « Il faut éradiquer l’intermittence ». Alors que dans le premier cas de « désentubage », les concepteurs de l’émission reproduisent, pour légitimer leur propos, le dispositif des salles de montage des studios de télévision (moniteur, affiches et graphiques en arrière-plan), les réalisateurs de Nous sommes partout ! font constamment apparaître le logiciel qui a servi à réaliser ce montage afin de montrer qu’il est possible d’avoir « un autre regard ». 

La campagne MoveOn

quand l’individualisme expressif du « film de famille » requalifie la citoyenneté. L’hypothèse d’un tournant vidéo de l’Internet militant et ses connexions avec un héritage cinématographique expérimental et militant, nous a aussi été inspirée par un corpus relativement vaste, qui s’inscrit dans le cadre de la campagne pour les élections présidentielles aux États-Unis en 2004. Ce corpus, que nous désignerions par la suite sous le nom de MoveOn202, regroupe plus de 500 clips réalisés contre le Président Bush203 . Ce corpus, tant par son étendu que par les formes esthétiques qu’il déploie, symbolise de notre point de vue ce mouvement « d’expressivisme généralisé » que nous définissions un peu plus haut comme le moment où se dissout l’aura de la fonction auteur comme producteur de beau. Nous souhaitons montrer comment s’élabore une « proxémie sociale » selon l’expression de Guattari à travers la production, la reproduction et le détournement de genres esthétiques très codifiés. Dans un article du quotidien Le Monde daté du 14 octobre 2004204, Pierre Rosanvallon constatait l’émergence d’une « nouvelle forme politique » dans la campagne présidentielle américaine. Pour lui cette nouvelle forme politique se caractérisait par : – le fait tout d’abord que la centralité de l’organisation cédait la place à celle du réseau, – le fait qu’aux modes anciens d’intégration se substituent des logiques plus floues et plus flexibles d’implication, conciliant individualisme et citoyenneté le fait enfin que dans ces nouvelles organisations qui participent de cette redéfinition de l’espace public, Internet joue un rôle central. Et pour étayer son propos, Pierre Rosanvallon citait l’exemple de la campagne MoveOn. Cette campagne est en effet l’initiative contre la réélection de Georges Bush qui a le plus marqué tant l’opinion public que les médias américains. Susceptible de faire passer un message à la fois plus critique et plus radical que celui du candidat démocrate Kerry et de son équipe, elle se positionne en appoint de la campagne du parti démocrate, tenu de se montrer plus modérée pour ne pas heurter l’électorat centriste. Résolument hostile à la guerre contre l’Irak, MoveOn ne se privera d’ailleurs pas de critiquer la timidité du parti démocrate. Cette organisation dont Internet est l’instrument privilégié, va organiser tout au long de la campagne toute une série d’activités, de la pétition électronique à la collecte de fonds en passant par la diffusion de fiches de conseils à ses membres pour s’adresser à la presse ou aux électeurs. Considérant que l’abstentionnisme est un des enjeux majeurs de l’élection, cette organisation a lancé une grande campagne d’inscription sur les listes électorales en direction des 18-25 ans qui votent très peu tout en se situant dans leur grande majorité à gauche. Autre public ciblé par cette campagne d’inscription sur les listes, la population afro-américaine qui vote aussi majoritairement démocrate (près de 90% lors des précédentes élections présidentielles).

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