Le travail, la domination et le temps

Le travail, la domination et le temps

La domination et le travail, le travail et le temps, le temps et la domination, etc., sont autant d’objets ayant donné lieu à d’innombrables travaux. Afin de préciser le cadre théorique envisagé dans cette recherche, je propose de présenter dès à présent les principales influences et lectures qui l’ont accompagnée. Il s’agit davantage de poser quelques bornes théoriques que de procéder à une revue de la littérature qui ne pourrait être exhaustive étant donnée la multitude d’écrits produits sur ces sujets1. Tout d’abord, je présenterai quelques productions ethnologiques afin d’exposer les principales orientations adoptées par les ethnologues pour étudier le travail. Je soutiendrai, à la suite de plusieurs auteurs, que l’étude de l’activité technique n’entrave en rien l’analyse des rapports sociaux de domination. J’ai à maintes reprises souligné l’intérêt que je portai à la prise en compte des rapports de forces et j’ai utilisé plusieurs fois le terme de domination. Il est une foule d’autres expressions qui auraient pu être mobilisées pour exprimer les liens de subordination que l’on observe au travail. En effet, penser en termes d’exploitation, d’oppression, d’assujettissement, d’aliénation, etc., renvoie à une multitude d’auteurs et de courants théoriques. Les recherches sur la domination qui s’inscrivent dans une longue tradition (marquée par les travaux fondateurs de Max Weber ou de Karl Marx) continuent à générer des débats et à cliver les sciences sociales. Par conséquent, je me dois d’expliciter ma position sur ce sujet. Ici encore, je ne reviendrai pas sur l’ensemble des œuvres produites sur la domination mais proposerai simplement d’évoquer les penseurs qui ont nourri ma réflexion jusqu’ici. Enfin, l’articulation entre le travail, le temps et la domination viendra clore ce cheminent conceptuel. Nous y aborderons quelques travaux qui traitent notamment des rythmes sociaux, du contrôle temporel de l’activité, de l’attente ou du rapport à l’avenir.

L’ETHNOLOGIE ET LE TRAVAIL

L’ethnologie du travail ne constitue pas un sous-champ disciplinaire clairement identifiable tel qu’on peut l’observer en sociologie, par exemple1. En France, il n’y a ni manuel, ni traité, ni revue spécifiquement consacrés à cet objet. Pourtant de nombreuses recherches traitent du travail et de ses interactions avec d’autres sphères de la société, que ce soit sur des terrains  lointains ou proches, dans le monde paysan ou industriel2, etc. Mais à la différence de l’anthropologie économique, politique, urbaine ou rurale, de la parenté, des religions, des techniques, etc., il est rare que les auteurs se réclament d’une tradition spécifique dans l’étude  figure néanmoins. Celle-ci est rédigée par Maurice Godelier qui en propose une définition : « Le terme de travail, aujourd’hui, désigne d’abord les diverses manières inventées par l’homme pour agir sur son environnement naturel et en extraire les moyens matériels de son  existence sociale5. » En suivant cette définition on s’aperçoit que les ethnologues ont souvent rencontré cette thématique sur leurs terrains, sans pour autant l’ériger en domaine de recherche. Dans les monographies l’activité productive apparait souvent parmi d’autres composantes de l’organisation ou de la morphologie sociale (pour employer la notion de Marcel Mauss) des sociétés considérées. D’autres fois, la question est subordonnée à d’autres domaines de recherche (qui relèvent des grand thèmes cités précédemment, tel que l’économie, la parenté, le politique, le sexe ou le genre, etc.). Il s’agit généralement d’observer les façons dont les sociétés se procurent les moyens de leur subsistance, leurs modes de production et les représentations qui les accompagnent. Dans cette optique, on peut faire référence aux travaux d’Evans Pritchard sur l’élevage du bétail chez les Nuers, à ceux de Malinowski à propos de la division sexuelle du travail (et la répartition des devoirs entre les sexes) chez les Mélanésiens. C’est en observant la fabrication d’un canoë utilisé pour la pêche que ce dernier remettra en loin d’être universellement partagés1. Ethnologues, historiens et économistes2 ont mis en évidence que certaines tribus contemporaines « non-stratifiées » ne possédaient pas d’activité productive isolée. Dans nombre de ces sociétés, les activités de production sont impossibles à appréhender « comme des processus économiques isolables de leur contexte social », comme politique flexible3 », pour ne citer qu’eux. Toutefois, l’ethnologie permet de voir comment ces discours opèrent au quotidien et au sein de groupes plus restreints. Cette posture offre ainsi un éclairage plus « localisé » et réaffirme sa visée comparative. En prenant le parti d’observer directement – sur le terrain et sur une longue durée – les représentations et les pratiques des travailleurs, les chercheurs (car, évidemment, cela ne s’applique pas qu’aux seuls ethnologues) produisent des données qui offrent un éclairage indispensable pour la compréhension du monde social.

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