L’ECRITURE DE L’EXTRÊME A TRAVERS MBËKË MI. , A L’ASSAUT DES VAGUES DE L’ATLANTIQUE

L’ECRITURE DE L’EXTRÊME A TRAVERS MBËKË MI., A L’ASSAUT DES VAGUES DE L’ATLANTIQUE

LA DESILLUSION AUX CONFINS DU DESERT

Le mot « émigration » est défini comme l’action de quitter son Etat de résidence pour s’installer dans un Etat étranger.12En effet, l’émigration est souvent décrite comme l’ensemble d’une population ou d’un groupe d’individus qui quitte ou qui a quitté un pays pour aller vivre temporairement ou définitivement dans un autre pays, pour des raisons personnelles, politiques ou économiques. Mais, il est impossible 11 Littéralement : le coup de tête. Nom donné à la traversée en pirogue à destination des îles Canaries 12 Définition donnée dans le Glossaire de la migration de L’OIM, No 9, 2007, p.26 6 d’analyser ce phénomène de l’émigration sans parler de son corollaire qu’est l’immigration. Cette introduction massive de personnes, suite à « la politique volontariste d’appel à la main d’œuvre étrangère »13pour faire face au progrès industriel français et plus tard européen, n’a pas manqué de susciter de fortes tensions entre autochtones et allogènes. Une tension qui conduit l’espace Schengen à adopter des dispositifs fermes et restrictifs à l’endroit de ces demandeurs d’asile. Face à des mesures drastiques, ces derniers essaient de trouver d’autres voies alternatives pour fouler le sol européen. C’est alors qu’ils prennent d’assaut le Maroc, la dernière escale avant le grand saut vers le vieux continent. Arpentant le chemin du désert en vogue vers un ailleurs meilleur, ils font face à toutes sortes de compromis. 1.1 Un parcours semé d’embûches La représentation de l’immigration a été toujours présente dans la littérature maghrébine avec des thèmes comme la quête de l’identité, l’errance et la difficulté de s’intégrer dans une société nouvellement visitée. Elle est également prise en charge par les écrivains de la seconde génération des années 80 qui sont, le plus souvent, nés ou évoluent en terre française. Ces derniers puisent des idées dans leur propre expérience vécue en Europe pour nous dépeindre, dans une précision féroce, les multiples facettes de ce phénomène social. Quant à la littérature négro-africaine, les écrivains parlent de l’immigration pour mettre le lecteur en garde contre le mirage que peut symboliser le voyage de l’Occident et son effet néfaste sur l’individu. Cependant, leur objectif premier est de dissuader tous les jeunes qui prétendent à l’aventure européenne. Dans cette représentation africaine, l’accent est davantage mis sur l’émigration afin de rendre plus explicites les véritables raisons du départ des candidats, mais aussi et surtout de faire entretenir les liens solides qui rattachent certains romanciers, résidant en étranger, à leur pays d’origine. Ce qui est sûr et certain, c’est que le champ de la migration et plus particulièrement celui de l’émigration, reste loin d’être bien exploré par la littérature. 13 Cheikh Oumar BA & all. , Les Tendances migratoires en Afrique de L’Ouest, études de cas du Ghana, Mali, Mauritanie et Sénégal, menées par des experts en migration, Dakar, OSIWA, 2008, p.18 7 On constate un nombre pléthorique de jeunes qui émigrent vers l’ailleurs, espérant trouver de meilleurs conditions de vie. Mais ce que ces jeunes ignorent, c’est que l’Europe n’est plus un foyer d’immigration. Pour faire face aux flots d’immigrés, venus principalement du continent africain, les pays européens ont misé sur le « protectionnisme migratoire » tout en adoptant des principes généraux afin de garder jalousement leur plein emploi et leur main d’œuvre nationale. Cela se traduit par une révision des textes de l’espace Schengen, le durcissement des politiques d’immigration, la fermeture des frontières et la naissance de nouvelles conditions d’octroi de visas. Cette contrainte des lois et la difficulté de remplir convenablement les critères établis poussent les jeunes à porter leur choix sur la voie terrestre, en l’occurrence le Maroc, pays de transit avant l’Espagne. Parmi ces critères, l’on peut citer, entre autres, un passeport en cours de validité, un visa, un document relatif aux motifs du séjour et à des moyens d’existence, etc. Des critères innombrables qui poussent les jeunes à se replier sur eux-mêmes et à décider de leur sort. D’abord, ils ont ciblé la traversée du détroit de Gibraltar avec Casablanca et Rabat comme points de ralliement ; ensuite celle de l’île de Lampedusa en Italie, pour atteindre la péninsule italienne. Devant la surveillance accrue et la vigilance des gardes marocains, ils se sont enfin lancés sur Ceuta et Melilla, deux enclaves espagnoles sur le continent africain, comme seconde possibilité pour atterrir sur le sol européen. Dès lors, l’expression « migrant clandestin » subit une mutation lexicologique devenant un seul mot « clandestin ». En plus, le mot a perdu son sens péjoratif pour revêtir une acception plus valorisante pour les jeunes. Ce terme signifie désormais : « celui qui brave le désert, la mer, la faim, la soif ; celui qui risque sa vie pour atteindre un objectif noble : celui d’accéder au marché du travail et de chercher à sortir sa famille de la pauvreté » 14. Souffre-t-on d’un mal-être qui ôte toute valeur à la vie ? C’est certainement le cas pour ces jeunes clandestins. Incapables de s’épanouir dans leur propre milieu, ils n’ont pas hésité à se lancer dans une odyssée qui « exige une mobilisation de tout l’être, éventuellement jusqu’à l’anéantissement pur et simple »15. En faisant de la patience, et 14 Cheikh Oumar BA & al. Les Tendances migratoires en Afrique de l’Ouest, Dakar, OSIWA, 2008, p.20 15 Daniel SERGE, Les Routes clandestines : L’Afrique des passeurs et des immigrés, Paris, Hachette Littérature, 2008, p.13 8 de la détermination leur maître mot, et s’armant de leur seul courage, ces jeunes se sont engagés dans le désert : un véritable chemin de souffrance, miné de peur d’être anéanti ou d’être réduit au silence pour toujours. Après tout, que peut la force d’un cyclone contre des lianes16 ? Rien ne semble dissuader les jeunes de leur quête de fortune, entreprise dans un lieu chaotique qu’est le désert (espérant mettre le pied en Espagne, le pays d’Europe le plus proche du royaume chérifien). C’est la raison pour laquelle, ces émigrés ne considèrent leur agissement que comme un compte rendu de leur souffrance et de leur misère : deux malheurs qu’ils côtoient quotidiennement dans leurs milieux d’origine. Considérant l’Europe comme un havre de paix, ils refusent de se résigner à leur sort d’autant plus qu’ils n’aspirent qu’à un mieux-être. Bref, ils veulent tout simplement vivre. Le désir de réussite sociale et le bonheur qu’ils visent se révèlent plus importants que leur propre vie. Par conséquent, ils sont prêts à se sacrifier pour accéder à cette terre promise où ils ne rêvent que de s’y réaliser pleinement. Comme « le fait même qu’ils poursuivent leur propre volonté, rejetant l’autorité des autres est assez pour les faire condamner à une existence d’exilés et finalement les obliger à une fuite dans la mort » . Une éventuelle mort qui est une « sorte de délivrance » pour eux.

Des illusions à l’amertume

Comme l’unique but de ces « desperados » est de se rendre en Europe sous d’heureux auspices, ils sont prêts à vivre toutes sortes de difficultés pourvu que leur rêve se réalise. Sous prétexte que la fin justifie les moyens, ils acceptent des compromis inacceptables dans le monde du désert et souvent au grand dam de leur famille. Complètement perdus dans ce monde aliéné, ils restent les proies faciles des passeurs qui les escroquent à longueur de journée. Ce sont ces passeurs cachés derrière des réseaux mafieux qui constituent la « cheville ouvrière » de la migration illégale. Vu que le phénomène migratoire ne cesse de s’améliorer, les réseaux de convoyeurs s’adaptent convenablement à la situation et s’en donnent à cœur joie. Ils ont comme support une force de persuasion remarquable et ils font adhérer un nombre pléthorique de jeunes à leur projet .Ces passeurs sont aussi trompeurs que le monde illusoire qu’ils se sont fixés. Ils ne considèrent leur démarche que comme une aide pour les jeunes désireux de se rendre en Europe ; un désir qu’ils tentent d’accomplir jusqu’au bout. Tapis derrière « l’appel à l’émeute », ces manipulateurs espiègles sont de fugaces maîtres du jeu, à l’affût de nouvelles victimes. Quant aux émigrés, ils se laissent facilement berner par le discours démagogique de ces profiteurs. C’est la raison pour laquelle les voyageurs travaillent constamment à longueur de route pour l’acquisition de moyens nécessaires à l’atteinte de leurs objectifs et pour la satisfaction de ces prédateurs avides d’argent facile et inaptes à mettre fin à leur perpétuelle errance désertique. Grâce à des tentatives frauduleuses (comme la confection de faux passeports et l’exigence de sommes rondelettes), les passeurs tirent profit de la situation de clandestinité depuis les pays pourvoyeurs d’émigrés jusqu’au lieu de destination. Donc, la démarche effectuée par ces hommes ne vise qu’à exploiter davantage les chercheurs de reclassement social, à plus forte raison quand ces derniers ne lésinent pas sur les moyens pour aller fouler le sol européen. C’est dans « ce processus de confrontation avec l’immédiat » que les émigrés sont condamnés où chaque tentative aboutit à un nouvel échec. Pourtant, les contraintes morales et physiques qu’on leur impose dans ce parcours étaient les mêmes contraintes qu’ils avaient refusé de vivre chez eux. C’est qu’aucun espoir de salut n’est au rendezvous dans leurs sociétés, alors que dans le monde du désert l’espoir de l’atteinte de leur visée sera égal à la chance de leur survie. Néanmoins, la vie d’eldorado tant rêvée, cause de leur détermination déconcertante, est illusoire car un double rideau de fer barbelé et électrifié, long de deux et de quatre mètres, est mis en place par les autorités espagnoles. La mise en place de ce « dispositif d’alerte générale pour la chasse aux clandestins » 23 traduit la volonté de ce pays à ne laisser personne venir à bout. A cela s’ajoutent des patrouilles militaires qui veillent au grain à tout moment. Un obstacle de plus que les émigrés doivent surmonter une fois arrivés au bout du désert ; après être taraudés par la faim, la soif, le calvaire du froid et de la fatigue ; après être tenaillés par l’inquiétude et ruinés par des réseaux de passeurs véreux durant toute la pérégrination. Malgré l’implantation du rideau de fer et la surveillance accrue des forces de l’ordre, les jeunes sont prêts à subir les pires exactions pour passer par-dessus bord ; de sorte qu’ils essuient toutes formes d’affront (comme les bastonnades, l’expulsion, le refoulement, l’emprisonnement, le saccage, la brutalité, les repas sommaires, etc.) pour accomplir le grand saut vers l’Europe. Et devant des émigrants économiques aussi galvanisés, les hommes de tenue font souvent recours à des traitements inhumains afin de leur faire lâcher prise.

Table des matières

Première partie : Tentations périlleuses et motifs du départ
1. La désillusion aux confins du désert
1.1 Un parcours semé d’embûches
1.2 Des illusions à l’amertume
2. Un voyage à gros risque
2.1 L’inconfort d’un long périple
2.2 Des péripéties en cascade
3. Les motifs de la prise du large
3.1 Une pauvreté ambiante
3.2 Un futur incertain
3.3 Quête de dignité humaine
3.4 Un besoin de s’affirmer
Deuxième partie : Réflexions sur la nature humaine
1. Echos métaphysiques
1.1 Une situation limite
1.2 Au cœur de l’angoisse
1.3 L’émergence de la conscience
2. Peinture critique de la nature humaine
2.1 Prétention réprimée
2.2 Le moi mis à nu
2.3 La résurgence de la bestialité
3. Différentes attitudes face à la providence
3.1 Le recours à la grâce
3.2 Refus de l’hypothèse divine
Troisième partie : Techniques d’écritures dans Mbëkë mi. A l’assaut des vagues de l’Atlantique
1. Le choix du genre
2. Significations pédagogiques dans Mbëkë mi.
2.1 Une écriture initiatique
2.2 Intentions moralisatrices
3. Techniques visuelles
3.1 Une vision surnaturelle
3.2 Une vision hallucinée
4. Mise en scène de la tragédie
4.1 La dimension de la tragédie
4.2 Epaisseur d’un univers tragique
5. Registres d’écriture
5.1 Un ancrage réaliste
5.2 La production du pathétique
5.3 Une ironie mordante
5.4 Une polyphonie énonciative

 

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