L’EGO PREMIER PRINCIPE

L’EGO PREMIER PRINCIPE

Une troisième ligne interprétative, enfin, voit dans l’ego, dans l’esprit humain, le premier principe sur lequel repose entièrement toutes nos connaissances pour Descartes. L’on trouve, dans le commentaire contemporain, les premiers pas de cette ligne de lecture chez Octave Hamelin, Etienne Gilson et Henri Gouhier. Elle a connu un regain ces dernières décennies auprès des commentateurs anglo-saxons.

L’AUTONOMIE DE LA RAISON DANS LES EVIDENCES PRESENTES :

Etienne Gilson considère le problème posé par l’objection du cercle comme l’un des plus ouverts du commentaire cartésien. Les interprétations d’E. Gilson132 et d’Henri Gouhier133 insistent sur les termes du texte de la Méditation cinquième, autrement dit, sur les termes de la présentation la plus réductrice du rôle joué par la véracité divine à laquelle Descartes renvoie ses objecteurs. Elles doivent manifestement beaucoup, du moins dans le cas d’E. Gilson, qui le cite à de très nombreuses reprises dans son commentaire historique du Discours de la méthode, à Octave Hamelin. Ce dernier, aux chapitres X et XI du Système de Descartes (1921), respectivement intitulés « Le critérium de la vérité » et « La certitude », aborde la question du cercle logique et celui de la véracité divine, puis traite de la relation entre certitude et vérité, de la théorie cartésienne de l’évidence, et d’une façon générale de la théorie du jugement. Il y défend la thèse selon laquelle la vérité est marquée chez Descartes de subjectivité et que Descartes pose l’autonomie de la raison et l’intériorité de la certitude comme les véritables fondements de la connaissance. D’où l’importance que revêt, pour Hamelin, la ligne d’interrogation qui va des Stoïciens à Descartes sur la question de la certitude. Hormis les Stoïciens, personne n’aurait donné, d’après Hamelin, autant d’importance à la certitude en philosophie que Descartes qui en fait « l’élément le plus intérieur et déterminant de la pensée ».

Si la connaissance discursive et la connaissance par les sens ont besoin d’être garanties par la véracité divine, tel n’est pas le régime auquel doit se soumettre la connaissance intuitive des axiomes ou principes par le moyen de la raison. Selon cette interprétation du rôle de la véracité divine, Descartes a recours à la véracité divine non pour garantir la règle générale de l’évidence, mais seulement pour garantir le souvenir d’évidences passées. Pour éviter tout contresens, mieux vaut parler ici des évidences dont nous nous souvenons, car ce n’est pas le souvenir qui fait l’objet d’une garantie divine, mais ce dont il est le souvenir134. Selon les interprétations d’Etienne Gilson et d’Henri Gouhier, la garantie divine ne s’applique, en réalité, à aucune évidence, mais plutôt à un défaut, à une absence d’évidence actuelle, dans le cas des évidences passées et dans celui de l’existence du monde extérieur qui ne se donne ni comme évidente, ni comme nécessaire. Dans le cas des évidences passées, la garantie divine entre en jeu comme un supplétif qu’autant que les évidences dont elles nous assurent n’en sont plus, qu’elles ne se relient à notre activité intellectuelle que par le fil de la mémoire. Ce ne sont donc pas toutes les évidences, ni même un type d’objets d’évidence qui exigent la garantie de Dieu, mais seulement un certain mode de présence de l’évidence à l’esprit, indirecte et éloignée dans le temps. Dès lors, il faut admettre, comme le dit E. Gilson, que c’est bien de la seule nécessité interne de la pensée que se déduit la réalité de son règle qu’elle garantit137. Il reste que si l’on se refuse d’admettre que la connaissance de Dieu dépend de la règle de l’évidence l’on comprend mal d’où la connaissance que nous avons de Dieu tire sa légitimité.

LA CERTITUDE, REMPART CONTRE LE DOUTE : RONALD RUBIN

Monsieur Ronald Rubin s’emploie à réfuter, en faveur de Descartes, l’objection selon laquelle les Méditations ne parviendraient à établir le théorème de la véracité divine et son corollaire, à savoir la validité de règle générale de l’évidence, qu’au prix d’une double circularité du raisonnement, i) qui démontrerait la vérité de nos idées claires et distinctes grâce à des axiomes préalablement acceptés en raison de leur clarté et de leur distinction, ii) qui démontrerait la validité de la règle générale de l’évidence par l’existence de Dieu et l’existence de Dieu par la règle générale de l’évidence (objection classique du cercle). Le principe de la réfutation par Monsieur R. Rubin de ce double procès en circularité consiste à démontrer que Descartes s’appuie sur la production d’états mentaux (« mental states »), psychologiques, en présence desquels rien ne peut plus parvenir à susciter le moindre doute138. Ces états mentaux sont, selon l’auteur, obtenus grâce aux arguments développés dans les Méditations troisième et quatrième, à l’issue desquelles il devient possible de soutenir que tout ce qui est clairement et distinctement conçu est vrai. L’originalité de la thèse de l’auteur consiste à considérer que Descartes ne déduit pas la validité de la règle générale de l’évidence à partir de la démonstration de l’existence de Dieu et de sa véracité, mais produit une démonstration de l’existence et de la véracité divine pour faire naître un état psychologique exempt de toute possibilité de doute. La démonstration de l’existence et de la véracité de Dieu jouerait son rôle dans un registre psychologique, en nous permettant de nous débarrasser de la seule possibilité de continuer de douter de notre aptitude à la vérité qu’alimente encore, au début de la Méditation troisième, l’hypothèse d’un Dieu trompeur. La vraie fonction de la preuve de l’existence d’un Dieu vérace serait donc d’être la condition de possibilité psychologique d’un état mental inébranlable. Elle aurait pour effet de nous rendre imperméables à toute possibilité de douter. Elle serait la cause logique d’un effet psychologique. Selon la thèse de Monsieur R. Rubin, il n’y a, dans les Méditations, apparence de cercle logique que si l’on veut voir un enchaînement de déductions visant à établir la règle générale de l’évidence, là où il suggère de voir plutôt la production d’un fait psychologique qui nous rend à l’expérience pure de l’évidence, en écartant toute raison de douter de ce que se présente.

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