L’engagement forcé dans le djihad et l’« implication irréversible » par le travail logistique

L’engagement forcé dans le djihad et l’« implication irréversible » par le travail
logistique

 Sa sympathie pour les djihadistes et son apport logistique aux groupes armés

Loin de l’agitation qui caractérise la situation politique, économique et démographique des grandes villes algériennes, Brahim connaît une vie paisible à la fin des années 1980. Il n’accorde aucun intérêt aux transformations démocratiques que connaît le pays et n’éprouve pas de sympathie particulière pour les formations politiques qui se réfèrent à l’islam politique. Il ne se déplacera d’ailleurs pas pour aller voter durant les élections organisées (communales de 1990 et législatives de 1991) après l’ouverture démocratique. En réalité, l’intérêt de Brahim pour la situation politique du pays ne s’imposera que dans un contexte d’insécurité provoqué par l’interruption du processus électoral. Les affaires vont moins bien pour lui, car la multitude de barrages installés par l’armée et la police sur les axes routiers l’empêche quelquefois de poursuivre son chemin vers les lieux d’écoulement de sa marchandise Les « excès de zèle », mais parfois aussi, de violence disproportionnée, exercées par certains éléments des forces de sécurité et de l’armée dans les barrages routiers l’exaspèrent1604 . Il aurait lui-même fait l’objet de violences verbales, d’insultes et de rackets de la part de soldats de l’armée. Il en sort traumatisé et ne s’identifie pas à ces pratiques qu’il qualifie de « tyranniques » et « sauvages ». Pour lui, ces comportements ne reflètent guère les traditions coutumières et religieuses de la société algérienne, mais bien plutôt le résultat de la « corruption causée par la démocratie sur la conscience des musulmans ». Même si Brahim n’envisage pas de rejoindre l’action armée, il s’identifie bien plus aux hommes de son village partis faire le djihad, qu’aux soldats de l’armée. Pour lui, ces derniers « font la guerre au peuple et non pas aux terroristes ». En revanche, il estime que les djihadistes tissent de bons rapports avec les populations locales qu’ils connaissent déjà généralement. Ressentant le besoin de se justifier de ne pas s’être engagé dans le djihad, il met en avant l’importance de son rôle au sein de sa famille. Fils aîné de sa fratrie, il a à sa charge son épouse et ses trois filles, mais aussi, deux de ses jeunes frères touchés par le chômage : « Laisser ma famille mourir de faim et monter au maquis, ça, ce n’est pas normal, je ne pouvais pas faire cela ! » Malgré la pression sécuritaire, Brahim entretient des liens et des contacts réguliers avec les djihadistes de la région. L’emplacement de son village perché sur les hauteurs de Lakhdaria fait de sa petite exploitation agricole un point de passage et de ravitaillement idéal pour les groupes armés. Leur refuser de l’aide est inimaginable pour lui, non pas seulement parce que ces derniers contrôlent la zone (notamment durant la nuit), mais parce qu’ils sont aussi composés d’éléments dont la plupart sont issus de la région et de ses environs : « C’était tous des gens que je connaissais. Tout le monde les connaissait d’ailleurs, ils étaient de mon village ou bien des villages voisins, sinon il y en avait d’autres que je ne connaissais pas, mais ceux-là, ils ne venaient pas souvent. Quand ils veulent quelque chose, ils n’envoient jamais un inconnu. De toute façon, au début, il n’y avait pas autant de mouvement ! […] c’est-à-dire, on ne bouge pas trop ! Tu comprends ?! Quand un groupe prend position dans une région il y reste et reçoit le soutien de la population, c’est pour cela qu’il n’y avait jamais de problème, la population connaissait les moudjahidines. »

 Son engagement dans l’action armée

Même si Brahim soutient les djihadistes, il n’a jamais été pour autant convaincu par la légitimité religieuse du djihad. Au-delà de sa proximité idéologique avec la « cause islamique », sa loyauté envers les groupes armés se comprend par ses liens d’amitiés et de voisinage qu’il a tissés avec un grand nombre d’individus qui composent ces groupes. Dans un passé proche, certains d’entre eux ont travaillé avec lui dans les champs, l’ont accompagné dans les marchés de gros de fruits et légumes, ou ont réparé avec lui le toit de sa maison. Il cite une solidarité communautaire semblable à ce que Max Weber décrivait sous la notion de « communauté de voisinage ». Celle-ci, comme le notait l’auteur d’ Économie et société « repose sur une proximité géographique et une solidarité d’intérêts » 1608 . Une solidarité qui malgré tout, n’est pas synonyme de liens forts, car Brahim décrit ses liens avec ses anciens voisins comme assez faibles. Ils ont certes suffi à susciter un soutien passif chez Brahim, mais n’ont pas été en mesure de l’inciter à s’engager plus intensément. En réalité, le basculement de Brahim dans l’action violente tient au contexte marqué par l’intensification de la répression menée par l’armée, qu’il situe entre 1994 et 1995. À mesure que les opérations militaires dirigées contre les maquis djihadistes se multiplient, les groupes armés se trouvent déstabilisés. Leurs commandements sont constamment remplacés au rythme des disparitions successives de leurs émirs locaux morts au combat. D’un émir à un autre, la gestion des populations comme vivier potentiel de soutien logistique diffère considérablement. Brahim l’apprend à ses dépens lorsqu’un nouvel émir prend les commandes de l’un des groupes les plus actifs dans la région. Pour ce nouvel émir, le djihad physique prime toutes les autres formes du djihad. La logistique n’est pour lui qu’une étape avant l’engagement dans le djihad ultime, celui de l’action.

Formation et coursTélécharger le document complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *