Les caractéristiques communes au façonnage de l’IP des PEFI

La préoccupation de ne pas « perdre la face »

Des motifs différents pour être « respectés » des élèves

La question du contrôle de la classe ne se limite pas au premier contact avec la classe chez les enseignants débutants de l’étude. Cette préoccupation revient au premier plan de leur activité pendant longtemps, même si elle est progressivement combinée à d’autres motifs simultanés : Toni veut « essayer de faire [les] séances [qu’il a] prévues ». Il évoque aussi un motif relatif à l’atteinte des objectifs, à son efficacité envers les autres élèves, à savoir « pouvoir avancer avec les 22 autres », « pouvoir continuer », « passer à la suite », « arriver à finir ce qu[’il] avai[t] prévu ». Le motif évoqué par Eve est de faire en sorte que les élèves soient « plus calmes ». Quant à Tom, il manifeste le besoin d’« offrir une demi-heure un peu plus tranquille » à ses élèves et à lui-même.
Les PEFI ne savent comment vont se comporter les élèves ni comment eux-mêmes peuvent réagir dans l’urgence. Pourtant, il leur faut obtenir le « respect » et la reconnaissance en tant qu’enseignant. Toni évoque justement un enseignant qui soit « solide », « juste dans la classe », et qui ne « se laisse pas déborder ». Par conséquent, il envisage de sanctionner s’il ne parvient pas à retrouver le calme : « la seule arme qu’il me reste, enfin le seul outil, plutôt, arme c’est un peu violent quand même, le seul outil qu’il me reste, c’est de sanctionner ».
Eve, qui pointe le rôle de l’ « expérience » et du « charisme », juge qu’elle ne possède ni l’un ni l’autre. Elle recourt elle aussi aux sanctions.
La préoccupation de Tom est différente. Son autorité passe par la compétence à trouver des solutions alternatives à la sanction. Il cherche alors à ne pas mettre de punition le premier jour. Selon lui, ne pas sanctionner, c’est « montrer une certaine compétence face aux élèves ». Face à un enseignant qui sanctionne régulièrement, ces derniers peuvent penser qu’ « il [n]’a pas su quoi faire d’autre ». Tom essaie donc de « tenir bon jusqu’au bout ». Mais il avoue se résoudre finalement à sanctionner, par exemple en excluant un élève perturbateur.
Le point commun aux PEFI est de poursuivre « à contrecœur » les motifs liés à la sanction, à défaut de trouver meilleure solution. Celle-ci est perçue à juste titre comme un instrument de pouvoir et un aveu d’impuissance sur le registre autoritaire. Les enseignants débutants aimeraient ne pas avoir à sanctionner, mais ils ne peuvent s’en passer s’ils veulent maintenir l’ordre dans la classe. La forme des motifs n’est pas sans rappeler « l’efficacité malgré tout » évoquée par Clot (1995) à propos des travailleurs dans les métiers de service. Comme eux, les PEFI cherchent à « faire ce qui doit être fait » en dépit des contraintes et de l’imprévisibilité des conditions de travail. Les enseignants débutants compensent leur manque d’efficience dans les opérations (notamment face aux comportements perturbateurs des élèves) par des sanctions, qui leur permettent d’ « avancer », de « continuer » « malgré tout », malgré les difficultés rencontrées.
Ces motifs sont donc en lien avec les manières de faire, les opérations, qui diffèrent selon les situations mais aussi selon les PEFI. Nous allons le voir, la maîtrise progressive de ces opérations va rendre possible l’émergence d’autres motifs.

Exercer un contrôle sur l’ensemble de la classe

Les PEFI se rendent compte que les problèmes issus des perturbations d’élèves sont liés à la difficulté de voir l’ensemble de la classe à tout moment. L’analyse de cette difficulté nous permet de revenir sur l’apport de la vidéo dans le développement des PEFI. En visionnant les images vidéo, ils découvrent notamment des actions masquées d’élèves. Même s’il concède en début d’année qu’il n’est « pas facile de se voir enseigner et surtout de voir [s]es erreurs, [s]on attitude », la vidéo permet à Toni de découvrir « ce qu’[il] fai[t] réellement en classe d’un point de vue plus objectif ». Toni a « découvert pas mal de choses sur [lui] qu’il faut qu[‘il] travaille », mais il a aussi pu « en voir certaines qui fonctionnent bien et qu’[il] doi[t] conserver ». L’extrait analysé du jeu « du chat et de la souris » avec Tom (cf. partie 1.2.2 p. 156) en témoigne. Toni constate que « sur la vidéo je vois que lui il est en train de faire n’importe quoi, si je l’avais vu, ça aurait bardé, lui, il était en train de faire autre chose et puis lui j’avais le dos tourné et quand j’ai le dos tourné ça se passe comme ça, ah bon ». Mais en fin d’année, il connaît davantage ses élèves, reconnaît leur voix. Il est donc capable de « dire à S. de se taire » tout en ayant le dos tourné.
C’est lorsque les PEFI ont le dos tourné que certains élèves réalisent des transgressions. Ecrire au tableau en restant face aux élèves constituerait une solution efficace selon les PEFI.
Pour Toni, « la différence est énorme », les élèves n’ont d’autre choix que d’écouter, contrairement à une situation où l’enseignant ne peut que tourner de temps en temps la tête pour vérifier ce qu’ils font. Les stagiaires s’accordent toutefois à pointer la difficulté à mettre en place cette opération. « Ca prend du temps » (Sofi) et il faut donc s’entraîner longtemps avant de parvenir à écrire proprement dos au tableau ; de plus, « écrire comme ça c’est atroce, ça ressemble à rien » (Toni) ; « si c’est trop long, ils s’ennuient, et qu’est-ce qu’ils font dès qu’ils s’ennuient, ils fichent aussi le bazar. Donc ça revient au même » (Tom) ; enfin, les PEFI n’ont « pas envie qu’ils [les élèves] décrochent » (Sofi). Les PEFI sont ainsi tiraillés, pour écrire au tableau, entre rester face aux élèves ou faire face au tableau. La première solution présente l’avantage de mieux gérer la classe en voyant constamment l’ensemble des élèves, mais prend du temps et ne permet pas de bien présenter le tableau. Au final, les PEFI abandonnent l’expérimentation de l’écriture au tableau face aux élèves en raison de la « lenteur » de l’opération, qui les empêche d’avancer dans leur travail comme ils le prévoient.
Certains élèves risqueraient également de décrocher.
La préoccupation d’exercer un contrôle sur l’ensemble de la classe fait émerger des conflits intrapsychiques dans l’activité des PEFI. Plusieurs « actions concurrentes » se présentent à eux pour atteindre leur objectif. Mais aucune ne leur donnant satisfaction, les PEFI résolvent les conflits auxquels ils sont confrontés en effectuant des compromis opératoires. Ils créent leurs opérations au regard des contraintes qu’ils perçoivent. Par exemple, lorsque c’est possible, ils anticipent la préparation du tableau. C’est notamment le cas de Toni et de Sofi. Sofi « écrit à l’avance quand c’est possible pour la trace écrite », en venant par exemple avant les élèves en classe le matin. En stage massé en responsabilité, Toni « venai[t] le matin pour écrire tout le texte au tableau, et à ce moment là avoir un texte qui soit assez joli ». Mais cette opération a aussi ses limites : il y a moins de place disponible au tableau, et les élèves ne participent pas à la formulation de la trace écrite.
Les compromis constituent une étape importante dans le façonnage de l’IP. Mais les PEFI doivent reconnaître comme étant efficientes les opérations qu’ils mettent en œuvre pour poursuivre le façonnage de leur IP. Ce qui ne semble pas être le cas en ce qui concerne le contrôle de la classe, préoccupation qui perdure.

La gestion du temps de classe

Affectés en responsabilité dans leurs classes, les PEFI sont incités à respecter la prescription que constituent les programmes. Or ils ont des difficultés à gérer le temps de la classe pour yparvenir. Cette préoccupation de « boucler les programmes » est commune aux PEFI et récurrente. Précisément, trois contraintes sont évoquées : des activités non inscrites à l’emploi du temps, la présence en stage filé un seul jour dans la semaine et le manque de connaissance des élèves, qui ne permet pas d’anticiper la durée du travail des élèves. Sofi, comme Toni, constate qu’il y a des activités qui ne sont pas inscrites à l’emploi du temps : « y’a quand même des temps morts qui sont pas prévus à l’emploi du temps, les passages aux toilettes, et… un temps d’habillage… (…), c’est pas comptabilisé dans l’emploi du temps ». Selon Toni, les déplacements ne sont pas prévus en cycle trois alors qu’ils l’étaient en maternelle : « en CM1, 8h30, la classe commence, et après, de 8h30 à 9h15, on a une séance de 45 minutes. Sauf que 8h30 ça sonne, 8h37 ils sont à peu près rangés ils se tapent encore un peu dessus, 8h40 on commence tous à monter avec nos classes, 8h45 on se dit bonjour et on a encore plein de choses à faire ».
En stage filé, la présence des stagiaires un seul jour dans la semaine constitue une contrainte supplémentaire. Sofi et Tom soulignent qu’ils sont toujours tentés de vouloir faire tout ce qu’ils ont prévu en stage massé, alors que parfois, il vaudrait mieux renoncer tout de suite.
Tom ne peut « rien laisser traîner le soir sur le bureau », ce qui l’oblige aussi à finir son travail. Toni se sent obligé de « stresser » les élèves, de leur « mettre la pression », ce qui le met lui aussi « sous pression ». Contraint par le temps, il change d’activité « parce que c’est l’heure » et met en place un nouvel apprentissage au lieu de proposer une activité de rupture « qui les détende un petit peu », comme ils l’ « aimeraient ». Aussi, pour Toni, « c‘était vraiment la course la course la course, eux ils me disaient, inconsciemment mais ils me disaient non, on ne peut plus, ou on n’a pas envie, et moi je leur disais si si on y va. Et finalement on allait dans le mur ». En même temps, il considère « ne pas avoir le choix ». En effet, il doit continuer le lundi suivant, et a prévu d’autres apprentissages dans sa programmation.

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L’intérêt de l’observation

Les PEFI accordent une valeur particulière à l’observation de professionnels qui connaissent le contexte. Ils se tournent même, paradoxalement, vers ceux qui ne sont pas enseignants. A l’exception d’Ani, ils considèrent l’expérience et les connaissances d’autrui (faisant partie du métier ou non) comme des ressources susceptibles d’être reproduites. Toni, Sofi, Eve et Tom cherchent ainsi à s’appuyer sur ce que la titulaire, prioritairement, puis les collègues, mettent en place. Le cas d’Eve est caractéristique car la titulaire constitue à ses yeux sa ressource première et sa personne « référente ». Elle a de l’expérience et la connaissance des élèves qu’elle-même n’a pas (ACS du 03.03, UA 35). De façon récurrente, elle fait part lors de plusieurs AC de son souhait de pouvoir l’observer dans son environnement, en cours d’année. L’observation serait différente de celle réalisée en début d’année. Elle souhaite par là pouvoir « comparer » ses manières de faire aux siennes et ajuster son niveau de tolérance et d’exigence (ACS du 29.09, UA 30). Cela lui permettrait de « se calquer » sur elle. Derrière les motifs de « continuité » et de non-perturbation des « habitudes des enfants » (motifs partagés par Sofi et Tom), elle justifie sa volonté d’observer la titulaire par sa propre « position d’apprenante ». Son IP se façonne par mimétisme des manières de faire. Elle « se calque » sur la titulaire en attendant que celle-ci initie les projets et débute les apprentissages, puis s’intègre alors à son travail. Il en est de même pour Tom, et pour Sofi qui est « démunie » une partie de l’année. Pour faire face à leurs difficultés, ils s’en remettent à des personnes qui connaissent bien l’environnement proche de la classe, suivent les conseils qui leur sont prodigués et mettent en œuvre les mêmes opérations que la titulaire, notamment pour tenir la classe. Sofi se rend compte que « ça marche », ce qui la conforte dans sa recherche d’idées auprès d’autrui.
Les PEFI se rejoignent également pour considérer que d’autres professionnels peuvent leur apporter des idées qu’ils pourront à leur tour expérimenter. Les collègues, auprès desquels ils puisent plus particulièrement les manières de faire, « ont déjà toutes les ficelles, ils ont déjà plus de recul et plus d’expérience (…) nous on en est encore au stade de la réflexion, (…) alors que eux ont déjà la solution » (ACS d’Eve du 29.09, UA 27). Eve, comme Tom, Sofi et Toni, « picore » puis expérimente dans sa classe les opérations observées chez les autres. Ses tentatives lui font valider ou invalider des opérations et des actions en classe. Quand il lui semble que ce qu’elle met en œuvre est le meilleur, elle cherche un autre type de validation, de la part du collectif.

La reconnaissance par autrui de « soi comme appartenant au collectif enseignant »

L’ambiguïté des visites et des rapports de visite

Les visites des formateurs et celle de l’inspecteur sont souvent appréhendées par les PEFI, soucieux de mettre en œuvre le meilleur de ce qu’ils savent faire lorsqu’ils sont jugés par autrui. Leur appréhension est parfois telle qu’elle ne leur permet plus de se sentir enseignants au moment de l’inspection. Par exemple, Tom ne se sent « plus vraiment prof » puisqu’il est évalué et qu’il a « la trouille », alors que « normalement », les enseignants n’ont pas cette appréhension en exerçant leur métier. Le fait de devoir respecter une échéance nécessite la mise en œuvre rapide d’opérations. En ce sens, les visites sont sources de développement de l’activité. Mais elles peuvent également, au moins temporairement, constituer un frein à ce développement, les PEFI ne cherchant pas d’opérations nouvelles en ces circonstances, mais privilégiant la présentation d’opérations maîtrisées. Eve est par exemple prête à « tricher un peu » pour préparer au mieux sa visite, en s’arrangeant pour pouvoir réinvestir (et par là ne pas innover) des manières de procéder qui fonctionnent (ACS du 03.03, UA 5). En d’autres termes, elle est prête à tout pour obtenir la reconnaissance de l’inspecteur, synonyme de titularisation. Dans ce cas, et dans celui de Tom qui « renonce à certains apprentissages » pour « réinvestir » plutôt qu’innover, on observe une période de stagnation, voire de régression de leur activité avant la visite. Les PEFI ne veulent pas prendre le risque de présenter une séance qu’ils n’ont jamais réalisée et dont ils ont du mal à prévoir la durée, la réaction et la réussite des élèves. Les situations d’inspection pourraient donc constituer des phases de régression du façonnage identitaire. En ce sens, elles ont un caractère ambigu. Nous avons constaté, au travers du parcours d’Ani, que la répétition des visites amenait une forme d’habituation au regard d’autrui. Ani, qui bénéficie de visites plus nombreuses et effectuées entre autres par un conseiller pédagogique (au contraire des autres PEFI qui ne côtoient pas le conseiller pédagogique), aborde plus sereinement son inspection. Cette étape ne la renvoie pas à un statut d’étudiante.
Suite à la visite, l’entretien post-leçon est très attendu par les PEFI, soucieux de découvrir l’avis de leur visiteur. Sam, Eve, Tom et Sofi considèrent que ces entretiens sont utiles, se sont bien déroulés et en sont satisfaits. Tom est par exemple « rassuré » et « soulagé » que sa visite se passe bien (ACS du 15.12, UA 60). Mais ces propos sont tenus après l’entretien luimême. Les entretiens d’AC menés avec les participants de l’étude leur permettent une prise de recul et une analyse réflexive de ce moment, même si pendant l’entretien, les PEFI sont moins à l’aise et cherchent avant tout à répondre aux exigences du visiteur. Au-delà de l’utilité reconnue de certains conseils prodigués par l’inspecteur, Toni perçoit, au contraire des autres stagiaires, une situation qui le renvoie à son concours plus qu’une situation d’échange entre collègues. Mais il semble oublier que l’inspecteur est son supérieur hiérarchique et non son collègue. Ainsi, non seulement le temps d’observation, mais aussi l’entretien post-leçon, ne lui permettent pas de percevoir la reconnaissance par l’inspecteur (ACS du 27.04).
Enfin, le rapport de visite est un élément de reconnaissance important aux yeux des enseignants stagiaires. Rédigé par l’inspecteur, c’est le document qui permet d’être titularisé, donc d’être officiellement reconnu par la tutelle comme un enseignant. Selon Sam et Ani, le rapport de visite permet d’avoir « confiance en soi » (ACS de Sam du 27.11, UA 49 et ACS d’Ani du 8.07, UA 27). La visite et le rapport de visite ne constituent pas seulement un soutien émotionnel aux stagiaires. L’avis favorable délivré par un supérieur hiérarchique favorise le façonnage de l’IP.

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