Les élèves face à la notation scolaire : source de motivation à apprendre ?

« Oser l’apprentissage… à l’école ! », tel est le titre plutôt surprenant d’un ouvrage signé Jamaer et Stordeur (2006). Surprenant, pour la simple et bonne raison que l’école représente le lieu par excellence où il s’agit d’apprendre ! Cependant, dans chaque classe, alors que certains élèves mettent du cœur à l’ouvrage et apprennent sans inquiétude, d’autres peinent à entrer dans les apprentissages, se cachant derrière une sorte de timidité (d’où le terme « oser » dans l’ouvrage de Jamaer & Stordeur). Face à ces réfractaires, les raisons et hypothèses d’explication peuvent être multiples : simple difficulté, obstacle cognitif, problème personnel (situation familiale difficile par exemple), manque de motivation… Et oui, le fameux « manque de motivation », revenons-y. Celui tant redouté par certains enseignants, et décrié par d’autres. Alors qu’autrefois l’accent était placé uniquement sur l’acquisition des apprentissages par les élèves, l’importance de la motivation de ces derniers s’y est progressivement ajoutée au fil du temps. Mais comment donc la favoriser ? Mille et une idées surgirent dans les ouvrages scientifiques et continuent d’être développées, la motivation à l’école restant un thème actuel. Parallèlement à cette recherche de décuplement/développement de la motivation en contexte scolaire, les notes, quant à elles, voyaient leur côte de popularité baisser. Critiquées par les scientifiques pour leur subjectivité notamment, leurs fondements pédagogiques furent rapidement remis en question. Et c’est là qu’intervint le concept en vogue de motivation ! Au nom de celle-ci, les partisans des notes demandaient le maintien de ces chiffres, sous peine de supprimer toute ardeur au travail chez les élèves. Cet argument, qui revient encore aujourd’hui dans les discours des « pro-notes », est à considérer. Dans le fond, quel rapport entretiennent les notes et la motivation ? Les notes peuvent-elles provoquer un réel découragement de certains ? Ou motivent-elles généralement les élèves ?

Pour introduire la thématique de notre travail, nous allons retracer dans cette partie l’historique des recherches réalisées sur l’évaluation ainsi que sur la motivation face aux apprentissages. Il en découlera donc un état des lieux concernant les connaissances sur ces deux sujets.

Avant toute chose, il convient de préciser que le terme d’évaluation sera restreint ici– pour une question de commodité – au sens d’examen, et sous-entendra donc l’attribution d’une note chiffrée.

Le terme de motivation, quant à lui, sera considéré comme « ce qui pousse à… […] qui donne l’élan » (Aubert, 1994, p. 91). De plus, lorsque nous mentionnerons ce terme, nous sous-entendrons la motivation à apprendre. La raison de cet assemblage est que ces deux notions sont fortement liées. En outre, procéder à un état des lieux sur la motivation nous paraît pertinent, car celle-ci représente un aspect fondamental dans notre recherche. A l’inverse, le fait de présenter une synthèse des recherches sur l’apprentissage ne nous semble pas essentiel, du fait que cela n’apportera rien pour la suite de notre travail, notamment pour le cadre conceptuel.

Etat des lieux 

L’évaluation et les notes

A l’origine, l’évaluation naquit d’une volonté de justice (Meyer, 2007). En effet, jusqu’à Napoléon Ier, l’hérédité prévalait sur toute compétence dans l’accomplissement de chaque métier. Aux alentours du XVIIIe siècle, avec la révolution française, l’abolition des privilèges et l’introduction d’évaluations avaient pour but l’attribution de métiers selon les capacités de chacun, les évaluations étant censées être un instrument qui mesurait les aptitudes de manière exacte et juste (Meyer).

Cependant, l’évaluation et sa supposée justesse firent très tôt l’objet de contestations. En 1805 déjà, Lacroix (dans Meyer, 2007) dénonçait le manque de pertinence des examens. Selon lui, cet instrument ne permettait pas de mesurer la capacité réelle des élèves dans tel ou tel domaine (Meyer). Il faut néanmoins attendre 1930 pour qu’apparaissent les premières recherches sur l’évaluation à l’école. Découlant de ces travaux, des critiques liées à l’évaluation et principalement dirigées vers les notes, émergent (Cardinet, 1991). En cause, de nombreuses études, dont celle réalisée par Laugier et Weinberg (dans Gimmonet, 2007), qui démontrent une différence importante dans l’attribution des notes par les enseignants. Effectivement, l’enquête de Laugier et Weinberg (cités par Cardinet) révèle que les notes d’une même copie d’examen du baccalauréat varient grandement en fonction de l’enseignant qui les évalue. Une expérience (décrite par Barlow, 2003) réalisée en Grande-Bretagne confirme ces résultats, en démontrant que les notes d’un examen de mathématiques, corrigé par 200 professeurs, s’étendent de 3,2/20 à 19,2/20 selon les différents correcteurs ! Face à ces constats, Piéron (mentionné par Cardinet) affirme qu’en fin de compte, réussir et obtenir le baccalauréat dépend bien plus de l’évaluateur (soit l’enseignant ou un expert) que de l’évalué (l’élève en l’occurrence).

Ces travaux de recherche donnèrent naissance à une nouvelle discipline : la docimologie. Définie par De Landsheere (1992) comme une « science qui a pour objet l’étude systématique des examens, en particulier des systèmes de notation, et du comportement des examinateurs et des examinés » (p.83), la docimologie considère que l’évaluateur est soumis à des biais, comme celui de la fameuse « courbe de Gauss ». Effectivement, durant la correction des copies, il fut démontré que tout enseignant tendait à répartir ses notes selon une courbe « en cloche ». Cela signifie que lors d’un examen, la majorité des élèves d’une classe se voient attribuer une note dite « moyenne » (en se situant au milieu de la courbe de Gauss), seuls quelques élèves obtenant une note excellente ou médiocre (Barlow, 2003). Face à l’inexactitude des évaluations, le but recherché de la docimologie était de parvenir à l’objectivité des notes (Gimmonet, 2007). Pour cela, il s’agissait d’affiner les techniques et méthodes permettant de construire une évaluation, afin de limiter le plus possible l’influence des facteurs à l’origine des biais, telle la subjectivité des enseignants. L’aspect de « mesure », supposé rendre l’évaluation précise, était donc central (Gimmonet).

La docimologie tomba cependant en désuétude une quarantaine d’années plus tard, remplacée par des recherches davantage axées sur l’aspect psychologique de l’évaluation (la part « subjective », justement) (Gimmonet, 2007). Ces travaux montrèrent que la connaissance des élèves influence l’enseignant lors des examens. En effet, des aspects visibles, comme le genre de l’élève, ainsi que son apparence physique, jouent un rôle dans la favorisation ou la dureté de l’enseignant lors de la correction des copies. De même, le statut socio-économique de l’étudiant, ou encore son niveau scolaire, font varier la correction des épreuves. Effectivement, l’étude de Bonniol, Caverni et Noizet (1972) releva que la copie d’un élève catégorisé comme « fort » était mieux notée que la même copie d’un élève annoncé comme « faible ». En connaissant le niveau scolaire « bon » ou plus « mauvais » de l’élève, les enseignants s’attendent à une performance à l’image de ce statut, et se laissent donc influencer par cette information. Ainsi, les recherches de ce type prouvèrent que le contexte fermé de l’école, et donc « intime », confère à l’enseignant une quantité d’informations sur chacun de ses élèves, chose qui se répercutera, généralement de façon inconsciente, dans la manière de noter ces derniers (Gimmonet).

Enfin, un troisième type de recherches sur la notation scolaire mettait l’accent sur la relation entre l’enseignant et l’élève (Merle, 1998). Ces études se concentraient sur la décision de l’enseignant pour attribuer les notes, décision basée sur les valeurs et les intérêts mêmes de celui-ci. Les résultats montrèrent que la notation scolaire était utilisée par les enseignants dans un but d’ « arrangements évaluatifs » (Gimmonet, 2007, p.23).

Cela signifie qu’un enseignant surévalue certains élèves, ou à l’inverse a tendance à diminuer leurs notes, en fonction de ses désirs conscients ou inconscients (Leclerq, Nicaise & Demeuse, 2004). Ainsi, la volonté de garantir une ambiance de paix, et l’encouragement d’un élève en difficulté se traduiront par une hausse des notes, alors que le maintien de l’autorité professorale se ressentira au travers de notes baissées envers les élèves dissipés. Ces formes d’arrangements sont dits « internes», car ils se limitent à la classe même (Leclerq et al.). Dans le cas où ces modifications de notation visent la direction de l’établissement scolaire, les collègues de travail (en l’occurrence : les autres enseignants du centre) ou encore les parents d’élèves, on parle d’arrangements « externes » (Leclerq et al.). Ceux-ci surviennent généralement dans le but d’afficher une bonne image de la classe face aux acteurs nommés auparavant. Par exemple, le fait d’utiliser la répartition gaussienne des notes, afin que les moyennes de classe soient plutôt bonnes, c’est-à-dire dans la norme, est une forme d’arrangement externe. Finalement, les arrangements « pour soi » se manifestent lorsque l’enseignant modifie les notes d’après ses représentations (influencées par son vécu d’écolier notamment) et autres conceptions propres à chacun (égalité des chances, rejet du redoublement…) (Leclerq et al.).

Table des matières

I INTRODUCTION
II PARTIE THÉORIQUE
1 La problématique
1.1 Etat des lieux
1.1.1 L’évaluation et les notes
1.1.2 La motivation face à l’apprentissage
1.1.3 Lien entre motivation à apprendre et notes
2 Le cadre conceptuel
2.1 Liens entre les concepts
2.2 L’évaluation
2.2.1 Définition
2.2.2 Types d’évaluation
2.2.3 Les notes
2.2.4 Fonctions des notes
2.3 L’apprentissage
2.3.1 Définition
2.3.2 Quelques confusions à éviter
2.3.3 Comment apprendre
2.3.4 La motivation, définitions
2.3.5 Motivation intrinsèque et extrinsèque
2.3.6 Les trois facteurs de la motivation
2.3.6.1 La conception des buts poursuivis par l’école
2.3.6.2 La conception de l’intelligence
2.3.6.3 La perception de la contrôlabilité de la tâche
3 La question de recherche
4 La méthode
4.1 L’échantillon
4.2 L’élaboration de l’instrument d’enquête
4.3 Récolte des données
III PARTIE EMPIRIQUE
1 Présentation des résultats et analyse des données
1.1 Perception des notes
1.1.1 Utilité des notes
1.1.2 Impacts des notes
1.2 Les notes et la motivation
1.2.1 Types de motivation 39
1.2.2 Répercussions selon le résultat
2 L’interprétation et la discussion des résultats
2.1 Perception des notes
2.1.1 Utilité des notes
2.1.2 Impacts des notes
2.2 Les notes et la motivation
2.2.1 Types de motivation
2.2.2 Répercussions selon le résultat
2.3 Synthèse
IV CONCLUSION

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