Les facteurs de la compétitivité régionale

La question sous-jacente de cette thèse s’attache aux raisons pour lesquelles l’activité économique tend à se regrouper de façon géographiquement inégale et quelles sont les conséquences d’une telle clusterisation. Or, si l’activité se conglomère, c’est que l’espace économique n’est pas homogène, d’où l’observation de non-neutralité de la localisation. A côté de l’aspect géomorphologique, la raison de l’hétérogénéité spatiale réside dans les particularités sociales et institutionnelles des lieux. Ces caractéristiques innées des territoires peuvent exercer un impact sur la productivité de toute activité économique locale, provoquant des externalités dites agglomératives. Ces externalités peuvent avoir un effet de « prime à la productivité», celleci induisant les migrations des facteurs mobiles qui visent à maximiser son utilité. Néanmoins, ce processus possède une caractéristique intrinsèquement dynamique, les migrations des facteurs provoquant une série d’effets sur l’économie réelle. Autant dire que ces migrations fortifient les relations de type « centre périphérie » entre les agglomérations et ses alentours, une structure souvent très résiliente face aux politiques publiques ou même aux chocs exogènes. Ceci dit, la répartition de l’activité économique peut être sous-optimale, surtout si l’activité est surconcentrée dans l’agglomération, dans les conditions d’une « désertification » dans la périphérie. Cela peut provoquer, en outre, une utilisation sous optimale des ressources dans la périphérie et les coûts élevés de gestion de l’agglomération.

De fait, nous comprenons la compétitivité des territoires du point de vue de leur capacité d’attraction des facteurs de production, ou autrement dit, leur « centralité » vis-à-vis d’autres endroits. L’idée qu’un territoire n’est compétitif que vis-à-vis d’un autre, ouvre au moins deux questions connexes. D’abord, le principe de relativité implique la nécessité d’une estimation. Or, si un territoire est plus compétitif qu’un autre, il devient nécessaire de mesurer l’étendue des divergences interterritoriales. Par ailleurs, cette différence de compétitivité entre les territoires façonne la nature des migrations, l’efficience d’utilisation des ressources dans les centres et les périphéries, et impacte inévitablement la croissance et le développement des pays entiers.

L’observation sous-jacente de cette thèse est que l’activité économique est répartie inégalement du point de vue spatial. Le phénomène de forte concentration de population au sein de zones limitées et de déconcentration dans le reste du territoire, reste le point focal de notre attention. Cette répartition inégale, selon la littérature abondante portant sur l’économie géographique, est due aux particularités inhérentes de lieux qui attirent – ou éloignent – l’activité économique. C’est pour cela que les territoires semblent être en concurrence pour l’attraction et la rétention de l’activité économique. Si les facteurs migrent afin de maximiser leur utilité, la compétitivité territoriale représente alors une force d’attraction des endroits. Néanmoins, si les territoires proposent différentes « externalités agglomératives » aux facteurs de production mobiles, alors nous pouvons constater une non-neutralité de l’espace pour la localisation de l’activité. Cette non-neutralité devient la force derrière la création des inégalités spatiales, facilement visibles dans le « paysage » économique. Thisse (2011, p.2) souligne que « Just as matter in the solar system is concentrated in a small number of bodies (the planets and their satellites), economic life is concentrated in a fairly limited number of human settlements (cities and clusters), which are gathered under the heading of « economic agglomerations ».

A titre d’exemple, en observant l’activité économique en Europe, nous apercevons que sa densité est la plus exprimée sur le territoire s’étendant entre Londres et la Belgique au nord, les territoires limitrophes de la France et de l’Allemagne jusqu’au nord de l’Italie. En dehors de cette zone « centrale » compétitive, apparemment attractive pour l’afflux des facteurs de production mobiles, une vaste « périphérie » moins compétitive s’étend en fonction de la distance du noyau de l’activité. On désigne souvent une image satellitaire du continent européen pour représenter la répartition des activités économiques à l’aide de points lumineux.

Comme le souligne Krugman (1991, p.1) « bulk of the population resides in a few clusters of metropolitan areas ; forty percent are crowded into a not especially inviting section of the East Coast. It has often been noted that nighttime satellite photos of Europe reveal little of political boundaries, but clearly suggest a center-periphery pattern whose hub is somewhere in or near Belgium » . Certes, cette concentration inégale est présente dans un nombre très important de cas. Par exemple, les régions de la capitale et les villes principales du Japon : Aichi, Hyogo, Kanagawa, Osaka et Tokyo, ne constituent que 5% du territoire japonais, mais abritent 33% de sa population et 40% du PIB. La métropole sud-coréenne, Séoul, englobe 12% du territoire du pays, mais elle contient presque la moitié de sa population et de son PIB. L’Ile-de-France détient seulement 2% du territoire français, contre une part de 19% de la population et 30% du PIB . C’est une indication que l’activité économique est souvent caractérisée par un trait de concentration géographique.

Selon une tradition de l’économie géographique, ce processus résulte de l’interaction entre deux forces antagonistes, à savoir, l’agglomération, expansion de l’activité économique localisée, et la dispersion. Donc la configuration identifiée est la résultante de l’action de ces deux vecteurs (Thisse, 2011). La manière de création de ces deux forces, la façon dont elles exercent une influence l’une sur l’autre, et dont leur dynamique influence la naissance et la disparition des villes – ont occupé la science économique depuis sa création, mais ces questions sont restées en marge des recherches économiques jusqu’à la fin du XIXe siècle. Bien que les premières observations aient eu lieu à la fin du XIXe siècle, la plupart du XXe siècle n’a pas vu se former un cadre théorique plus concret de cette problématique au sein du mainstream de la théorie économique. Ce n’est que vers la fin du XXe siècle qu’on voit naître la Nouvelle économie géographique (NEG), qui fournit un outil essentiel à la recherche, en se servant des méthodes analytiques contemporaines. Cela a ainsi relié un riche héritage intellectuel avec des instruments techniques robustes, permettant le positionnement de cette recherche dans un cadre de l’économie conventionnelle. L’insertion de l’économie géographique au sein des théories du mainstream culmine en 2008, lorsque le prix Nobel a été attribué à Paul Krugman, pour ses contributions à la recherche dans ce domaine.

Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
CHAPITRE 1. LA BASE THEORIQUE DE L’ECONOMIE SPATIALE ET DE LA COMPETITIVITE REGIONALE
1.1 Les racines intellectuelles de l’économie spatiale
1.2 La Nouvelle économie géographique (NEG) – les hypothèses de base
1.3 L’unification des blocs théoriques
1.4 La NEG et la compétitivité régionale
1.5 Le niveau macroéconomique du concept et sa critique
1.6 Le niveau régional du concept
1.7 Les conclusions du chapitre 1
CHAPITRE 2. LA MESURE DE LA COMPETITIVITE REGIONALE
2.1 La compétitivité régionale, comment a-t-elle été mesurée jusqu’à présent ?
2.2 La critique des indices composites
2.3 La revue des indicateurs récents de la compétitivité
2.4 La proposition d’un nouvel indice de compétitivité régionale
2.5 Les conclusions du chapitre 2
CHAPITRE 3. LES IMPLICATIONS SUR LES POLITIQUES ET L’ANALYSE APPROFONDIE DE LA POSITION DES REGIONS SERBES
3.1 Les politiques régionales – les notions et les leçons de la NEG
3.2 Les politiques régionales européennes
3.3 Les implications sur les PECO et les propositions pour les futures politiques en Serbie
3.4 Les conclusions du chapitre 3
CONCLUSION GENERALE 

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