les facteurs naturels de la dynamique
Malgré l’apparence que donnent les unités morphologique des îles Karones et Bliss et qui laissent apparaitre un aspect homogène, les écosystèmes de notre milieu d’étude à l’instar de tout le pays subissent une dynamique induit par la variabilité climatique, la géologie et l’hydrodynamisme de son réseau hydrographique. En effet la dégradation des paramètres climatiques constaté ces dernières décennies, ajouté au régime hydrologique de notre site et à la nature du substratum agit très fortement sur la dynamique du milieu des îles Karones Bliss. Un gradient longitudinal existant depuis la genèse de ces écosystèmes s’est renforcé récemment sous l’influence de ces divers facteurs naturels (Montoroi 1994). Les unités morphologiques de ces îles ont évolué en raison de tous ces paramètres mais aussi des réactions du milieu à cette variabilité. Ainsi donc les facteurs physiques qui régissent les grandes tendances de cette dynamique sont abordés dans ce chapitre.
le climat
Les îles Karones et Bliss ont connu au cours des années 1970 et 1980 une forte variabilité climatique marquée par une succession de période d’excèdent et de déficit pluviométrie mais aussi par une hausse tes température qui résulte du réchauffement sensible noté ces dernières années. Si nous nous référons aux chroniques des données climatiques de la région, les températures ont une tendance significative à la hausse alors que les précipitations ont une distribution aléatoire. En effet l’étude des données climatiques dans la station synoptique de Ziguinchor a produit les informations suivantes : une augmentation des températures, une intensité de l’ensoleillement, une irrégularité des de la pluviométrie, des vents de plus en plus violent surtout en période hivernale, une baisse des précipitation avec une concentration des jours de pluies sur des périodes de plus en plus en plus réduites, un début tardif de la saison des pluie et un arrêt précoce de celle-ci et enfin une forte évaporation.
Le climat peut être considéré comme le facteur principal dans la dynamique des unités morphologiques des îles Karones et Bliss. La péjoration climatique qui sévit dans tout le pays ces dernières décennies à induit des modifications significatives des écosystèmes de notre site. L’IRD ira même jusqu’à dire qu’un retour aux conditions naturelles connues au début du XI X siècle ne semble pas envisageable.
La baisse de la pluviométrie
Les îles Karones et Bliss subissent une baisse générale de la pluviométrie très significative. L’analyse des données climatiques recueillies dans la station de Ziguinchor montre clairement des périodes déficitaires. De 1983 à 1990 le total pluviométrique pour chaque année est inférieur à la moyenne annuelle qu’enregistre la région. En effet le total annuel des toutes ces années est dessous des 1500 mm que la station enregistre généralement pour le compte de la région de Ziguinchor. Une forte diminution des précipitations en nombre et en quantité, une demande évaporatoire supérieure à la pluviométrie sur une période de l’année plus longue, une occurrence d’années sèches plus forte ainsi qu’une forte variabilité spatiale et temporelle des précipitations avec un amincissement de la saison des pluies, sont observées dans la région et s’inscrivent dans la phase de sècheresse des pays sahéliens (Albergel 1988, Dacosta 1992).
Conséquence du recul pluviométrique
Le recul pluviométrie entraine des modifications énormes sur l’environnement des îles Karones et Bliss. Ces modifications affectent les cours d’eau, la nappe aquifère, les sols et les sédiments.
Les cours d’eaux
La baisse de la pluviométrie dans les bassins versant de la Basse Casamance déjà favorable par leur configuration plane, à l’évaporation conduit à une diminution nette des écoulements en amont des bassins. Les débits d’eaux douces sont devenus nuls ou quasi nuls dans la plupart des rivières (Dacosta 1989). L’entrée d’eau marine est de plus en plus marquée. Les Pmm ne sont pas suffisamment abondantes pour diluer l’eau de mer fortement concentrée en sel pendant la saison sèche sous l’effet de l’évaporation. D’après Gningue (1991) la salinité était dans ces bolongs à 160 pour mille en fin de saison sèche en 1986. La Casamance est devenue un système paralique typique où la salinité n’est qu’une conséquence du confinement des eaux et du bilan hydrique de ses bassins.
La nappe aquifère
La baisse de la pluviométrie a des conséquences sur l’importance des réserves mais aussi sur la qualité des eaux de la nappe phréatique. Le déficit hydrique conduit à une baisse du niveau piézométrique des nappes du Continental Terminal (Le Priol1983, Saos et Dacosta 1985 cité par IRD 2015), l’’intrusion d’eau de mer dans les nappes mais aussi la contamination par les eaux salées ou sur salées proches des nappes superficielles (Marius 1985). Dans les îles Karones et Bliss la nappe d’eau douce est infiltrée par les eaux salées et sur salées de la mer et de la nappe des vasières nues qui ont une salinité six à dix fois supérieure à la salinité de l’eau de mer. Aujourd’hui les îles comme Kailo sont confrontées à ce problème. En effet la population de ce village a du mal à trouver un seul puits d’eau douce potable et buvable. La nappe est lourdement touchée par l’intrusion d’eau de mer et le manque d’eau douce est devenu un problème quotidien pour les habitants de ce village. Ce phénomène est aussi observé au niveau des sols.
Les sols
Le manque d’eau douce lié à une baisse des précipitations et à une évaporation intense provoque une succession de processus de modification des sols (surtout les sols à mangrove qui dominent dans notre milieu d’étude) qui peuvent être irréversibles (IRD 2015). Ces processus sont pour l’essentiel la salinisation et l’acidification des sols. En effet des études faites sur la Basse Casamance ont montré que le recul pluviométrique très sévère par endroit a provoqué une salinisation et une acidification très avancées des sols. Ces études ont révélé également que la baisse des précipitations a conduit à l’installation des tannes (vasière dénudées dans notre milieu d’étude). Les sols sont devenus très salés et très acides. Pour exemple en 1985 Marius a noté des taux de salinisation des sols très élevés pouvant atteindre quatre fois le taux de salinité de la mer en basse Casamance. Il aussi relevé la formation de gypse suite à l’oxydation très poussée de la pyrite dans les sols à mangrove de la basse Casamance. Aussi le recul pluviométrique a fini par entrainer une oxydation des composés du souffre et une acidification extrême des sols. Cela a donné naissance aux sols sulfatés acides observés dans notre site. D’après Marius les vasières dénudées et les tannes nus de la basse Casamance ont un PH de 3.
Les sédiments ne sont pas épargnés par la péjoration climatique. Depuis le début des années 1970, une évolution des sédiments et de leur transport par le vent et l’eau est constatée par les nombreuses études effectuées dans ce domaine. Dans notre zone, la réduction des débits et les processus d’altérations ont conduit à une diminution des apports fins (IRD 2015). Ce déficit de la charge sédimentaire et des capacités de dépôts qu’elle conditionne a pour impact de suractiver les processus de remaniement hydro-sédimentaire dans les parties estuariennes des îles Karones et Bliss. La persistance d’un bilan déséquilibré entre le flot et le jusant entretien une activité de transport et de dépôts qui ne peut qu’affecter le matériel déjà en place qui est ainsi soumis à un régime de reprise se traduisant par le fréquence accrue des phénomènes de recoupements de méandres et l’interconnexion entre les bolongs. C’est le cas de Diogué, une île au sud de Karone (zone du petit Kassa, troisième entité des îles de CR de Kafountine) qui est aujourd’hui menacée d’être séparée par l’introduction d’un bolong en connexion direct avec le fleuve et qui s’agrandit au fil des temps sous l’influence de la dynamique marine. Tous ces processus démontrent la prépondérance de l’énergie des flots et évoque aussi le fonctionnement de certains milieux. Aussi la péjoration climatique ajoutée à des vents forts et fréquents entraine un accroissement du phénomène d’érosion le long de l’estuaire.
La faune et la flore
La dynamique des unités morphologiques des îles Karones et Bliss sous l’influence du climat est aussi ressenti sur les écosystèmes. Ces modifications qui peuvent être considérées comme étant indirectement liées à la péjoration climatique, concernent pour l’essentiel l’appauvrissement biologique du milieu aquatique et terrestre, l’adaptation de la faune et de la flore à une sur-salure progressive de leur milieu de vie. Ainsi le couvert végétal sain et intact avant les années de sècheresse commence à montrer des signes de dégradations avancées avec un accroissement des individus morts. Marius en 1991 a observé une diminution spectaculaire de la Rhizophora mangle au profit d’une mangrove décadente ou d’un tapis herbacé à Sesuvium ainsi que le développement de vasières dénudées dans notre milieu d’étude et de tannes vifs dans le reste de la basse Casamance. Ce cas de figure existe dans les nombreux îlots de mangrove qui se trouvent dans les îles Karones et Bliss ou la superficie des vasières dénudée ne cessent de croitre. Sall en 1983 a noté une augmentation de 107 km² de la superficie des vasières dénudées au détriment des vasières à mangrove. La faune aquatique subit les mêmes agressions. Les espèces se réduisent tant en nombre qu’en individus. Les relevés les plus récents montrent la raréfaction des certains espèces tel que les mollusques particulièrement les huitres des palétuviers qui sont fortement touchés par ce phénomène. De même les espèces de poissons diminuent tout comme le taux de capture crevettière dans la zone. De 1982 à 1985 la persistance de la sécheresse à provoquer une sur-salure qui a fait chuter les captures. De 1500 tonnes 1976 elles passent à 745 tonnes en 1984 (Le Reste 1993).
L’évaporation
L’évaporation, paramètre du climat joue aussi un rôle dans les processus de modification des unités morphologiques. Au-dessus des autres profils, elle confirme l’intensification des températures, c’est-à dire une augmentation de son pouvoir qui conduit à une remontée saline par thermo capillarité, donc la dégradation des sols par salinisation et acidification. De 1971 à 1980, les températures moyennes varient de 23,3°C à 28,3°C contre 26°C à 29,7°C pour la période 1999-2008.
L’acidification est plutôt contrôlée par la température qui joue un rôle prédominant dans le développement des bactéries responsables du phénomène. En effet, l’activité microbiologique participe au processus d’oxygénation et connaît un maximum d’efficacité entre 20°C et 40°C.
Or la température moyenne annuelle en Casamance est de 28°C, donc propice à cette activité microbiologique. L’évaporation pour sa part est très importante à la station climatique de Ziguinchor. En 2004 les prélèvements par évaporation se situaient à 2 057 mm alors que le total des précipitations annuelles était de 1 061 mm, soit un indice d’aridité de 0.5, classant la station à la limite de la zone subhumide.
Les facteurs hydrodynamiques
La dynamique littorale
La dynamique littorale à l’inverse du climat entraine des modifications connues depuis le début du XX ieme siècle. Ces modifications se font à travers les changements susceptibles d’influencer les agents de transport des sédiments et de leur apport. Ces modifications peuvent être cyclique et pseudo cyclique. D’ailleurs l‘élucidation des rythmes de ces évolutions constitue l’un des thèmes important de la recherche actuelle. Nombreux sont les paramètres prise en compte pour évaluer rythmes. La variation et l’intensité des houles, la force et la fréquence des vents en domaine marin, le régime des précipitations, la modification de leur fréquence, la disponibilité des réservoirs de matériel sédimentaire sont autant de paramètres à cerner pour une bonne évaluation des rythmes de cette évolution. Cependant la morphologie des îles Karones et Bliss joue un rôle majeur dans la transformation des écosystèmes. Caractérisée de vulnérable la morphologie change si les facteurs sont modifiés mais aussi si ils continuent à agir uniformément au cours du temps. Ainsi des illustrations du changement de la morphologie sous la houlette de la dynamique littorale sont observées sur l’étendue du territoire national. À titre d’exemple, la langue de Barbarie qui détourne le fleuve Sénégal vers le sud et qui s’étire sur une longueur d’environ trente (30) km a connu entre 1900 et 1981 treize (13) ruptures de sa flèche (Gac et al 1985). Ces ruptures ont modifié la morphologie de ce domaine avec une extension de l’embouchure et un raccordement de la flèche avec le rivage. Aussi la pointe de Sangomar dont la flèche dévie le bief inferieur du Saloum vers le sud a connu entre 1960 et 1987 sept (7) ruptures. La dernière brèche percée en 1987 s’agrandie constamment depuis lors et avaient atteint en 1994, 3600 m (Diaw 1997).
Toutes ces ruptures générées par la dynamique marine ont changé ou modifié intensément de toutes ces unités morphologiques. Dans notre zone, ces transformations existent mais sont moins développées. La flèche sédimentaire localisée au débouché des rivières, sur la façade de la zone Bliss n’a pas enregistré de rupture connue même si on note un amincissement du cordon qui témoigne de la présence de l’érosion induite par la dynamique marine. Dans la zone du Karone et une bonne partie du Petit Kassa (troisième entité des îles de la CR de Kafountine) l’évolution semble être favorable à la stabilité. Selon le PNUE (1985) la zone est globalement en engraissement et l’abondance des apports associé à la rétention des sédimentaire par la végétation, renverse le bilan dans le sens de l’accrétion.
Les facteurs Anthropiques de la dynamique
Les acteurs anthropiques
L’évolution démographique des îles Karones et Bliss et l’un des facteurs du changement de la dynamique des unités morphologiques depuis le début des années 1960, la dynamique démographique est caractérisée par une accélération de la croissance générale de la population, des mouvements de populations. Cette dynamique démographique s’est accompagnée de nouvelles structurations de l’espace dont la densification des anciens noyaux de peuplement la colonisation de terres neuves. Cette structuration de l’espace a des effets directs et indirects sur les écosystèmes .La péjoration climatique qui a fini par installer une crise des systèmes agricoles traditionnels, a fait déplacer les populations de l’intérieur vers les milieux littoraux. Ces migrants venus de l’intérieur du pays mais aussi mais aussi de la sousrégion sont souvent perçus comme des prédateurs. Ils sont pour l’essentielle des pécheurs (Saint louisiens, gandiolais, Lébou, pour ce qui est des migrants nationaux et Nigérians et Libériens pour les migrants internationaux). Ils concentrés dans les zones d’activités halieutiques dans l’estuaire (notamment la zone du Bliss dans les îles de Saloulou et Kailo qui sont des quais de débarquement.
Les activités et la dynamique
La filière des produits halieutiques dans les îles Karones et Bliss offre des opportunités aux acteurs qui évoluent ce secteur. Il n’en demeure pas moins que cette offre a pour contrepartie une pression croissante sur l’environnement et les ressources halieutiques et sylvicoles. De ce fait il est évident que la multiplication de campements de pécheurs et transformateurs des produits halieutiques dans ce milieu ne fait qu’accroitre. La présence accrue de migrants combinés au développement de la filière a des impacts directs sur l’environnement. Le bois de mangrove constitue la principale source de combustible pour le fumage de poissons.
L’exploitation à des fins multiples des forêts de mangrove (bois d’œuvre, de construction, de chauffe, charbon de bois etc) est couramment présentée comme l’un des facteurs de la dégradation de la mangrove. Il est certain que le développement des activités dans ces îles (la pèche, la fabrication de sel, le fumage du poisson et la cueillette des huitres) contribue à accroitre la pression sur les ressource sylvicole. Les estimations de prélèvements effectués sont très variables. L’érosion est très active dans la zone, certainement renforcé par la structuration nouvelle de ces îles. Par exemple à Saloulou en dix ans le village a perdu pres de 10 m de sa plage en l’espace de 10 ans. En effet d’après les populations dans les années 2002- 2004 il existait des campements de pécheurs sur le rivage. Mais lors de notre passage rien ne laisser voir l’existence de ces campements pas même des ruines pour témoigner de la présence des campements et abris de fortune des pécheurs migrants.
La portée des facteurs de la dynamique
La sensibilité de notre milieu d’étude face aux agents naturels et anthropiques de la dynamique fait que des îles Karones et Bliss sont de remarquables enregistreurs de l’histoire des événements climatique, océanographique et anthropique. Cette sensibilité aux sollicitations des variations des facteurs d’évolutions tient à l’identité du milieu. À l’état naturel, ces milieux ne sont pas le produit du seul contact côtier linéaire entre les nombreux bolongs et le fleuve mais celui de leur interpénétration. Les mangroves ne sont pas une forme de transition, un système paralique par diminution et disparition des caractères de l’un puis apparition et généralisation des caractères de l’autre. Ces milieux sont une entité distincte caractérisée par des constructions morpho sédimentaire édaphique et végétales. Les îles Karones et Bliss sont un milieu original, un cadre de vie spécifique.