Les fonctions propres des principes consécutifs d’égalité de traitement et de transparence

Les fonctions propres des principes consécutifs d’égalité de traitement et de transparence

Au temps de la liberté d’accès succède la mise en concurrence effective des candidats. Cette phase des procédures de passation constitue le deuxième temps de la commande publique. Les opérateurs économiques intéressés par le contrat et informés de son existence par la publicité manifestent leur volonté de soumissionner auprès de l’autorité adjudicatrice en déposant leurs candidatures et leurs offres. Cette dernière met en concurrence les candidats afin de choisir, in fine, son cocontractant. Lors de cette phase, l’autorité adjudicatrice doit veiller « à ce que la règle du jeu soit non seulement la même pour tous les candidats, mais encore qu’elle leur soit appliquée de manière identique » 1800. C’est cet objectif que poursuit le principe d’égalité de traitement des candidats, dont il convient de préciser les fonctions propres (Section 1). Le principe de transparence produit également ses effets lors du deuxième temps de la commande publique. Dans une logique d’accessibilité des informations administratives1801, la transparence poursuit un objectif d’intelligibilité des procédures de passation1802. À cet égard, elle garantit l’efficacité de la procédure de passation, les candidats étant suffisamment informés pour présenter utilement une soumission. La transparence dispose également d’une fonction de preuve d’impartialité de la procédure de passation1803. En garantissant sa traçabilité et en contraignant l’autorité adjudicatrice à communiquer certaines informations lors du troisième temps de la commande publique, après le choix des offres, la transparence favorise le contrôle du déroulement de la procédure et la vérification du bien-fondé du choix du cocontractant. Par conséquent, la transparence dispose de deux fonctions fondamentales, réparties sur les deuxième et troisième temps de la commande publique (Section 2). 

Les fonctions propres du principe d’égalité de traitement des candidats

L’assise du principe d’égalité de traitement en droit de la commande publique est ancienne. Dès le XIXème siècle, « la jurisprudence reconnaît aux entrepreneurs admis à une adjudication le droit d’en contester la régularité si tous les concurrents n’ont pas été, quant aux conditions à remplir, placés sur un pied d’égalité parfaite » 1804. Le commissaire du gouvernement Romieu 1805 affirme ainsi que « le soumissionnaire évincé a le droit de demander l’annulation de l’adjudication pour inobservation des règles fondamentales, même si elles sont édictées dans l’intérêt de l’administration, du moment où une inégalité a été créée entre les concurrents ». De manière générale, les principales conséquences du principe d’égalité de traitement sont les suivantes : « l’administration ne peut créer de discrimination juridiques, ni de discrimination de fait susceptibles soit d’avantager certains concurrents, soit de les handicaper » 1806. Selon une jurisprudence constante, ce principe exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié1807 . Dans le cadre de la vision temporelle des principes de la commande publique, l’égalité de traitement des candidats exerce ses fonctions uniquement lors du deuxième temps de la commande publique1808. Dès lors, le principe d’égalité bénéficie à une catégorie juridique  particulière, celle des candidats réels1809, c’est-à-dire ceux qui ont effectivement candidaté pour accéder à la mise en concurrence. Par ailleurs, ce principe implique que les candidats soient traités de manière identique par l’autorité adjudicatrice, et poursuit donc un objectif de traitement égal des candidats lors de la mise en œuvre de la procédure. Les implications de l’égalité de traitement peuvent être subdivisées en trois phases distinctes : l’autorité adjudicatrice doit respecter une égalité entre les candidats lors du déroulement de la procédure (paragraphe 1), lors du choix des candidatures et des offres (paragraphe 2), et doit veiller à ne pas remettre en cause l’impartialité de la procédure (paragraphe 3). Une analyse approfondie des procédures de passation révèle que l’égalité de traitement dispose de fonctions dont les effets varient selon la nature du contrat. Pour certains, comme les marchés publics à procédure formalisée, l’égalité de traitement doit être appréciée strictement ; elle ne laisse quasiment aucune marge de manœuvre à l’autorité adjudicatrice dans la mise en œuvre de la procédure. Pour d’autres, comme les délégations de service public, l’égalité de traitement, bien que devant être impérativement respectée, est appliquée de manière plus souple. Dans ce cas, l’autorité adjudicatrice dispose d’une liberté plus grande dans l’organisation de la mise en concurrence. Par conséquent, il est possible de déduire de cette analyse l’existence d’une « échelle de mise en concurrence », qui dépend de la  manière dont doit être appliquée l’égalité de traitement des candidats.

 Une fonction de respect de l’égalité entre les candidats dans la conduite de la mise en concurrence

Globalement, le principe d’égalité de traitement garantit que les mêmes règles soient appliquées à l’ensemble des candidats lors du déroulement de la mise en concurrence. L’autorité adjudicatrice doit donc veiller à déterminer et à mettre en œuvre des modalités de mise en concurrence de manière à ne pas avantager ou désavantager un candidat sans raison objective liée à l’objet du contrat. En outre, les modifications des conditions de consultation intervenant lors du déroulement de la procédure doivent s’opérer dans des conditions strictes d’égalité, ce qui implique que l’autorité adjudicatrice communique les mêmes informations à tous les candidats, et leur laisse le même délai de remise des offres s’il est nécessaire de les adapter1811. À ce titre, l’égalité de traitement des candidats est fondamentale pour le bon déroulement de la procédure de passation. Au-delà de cette fonction globale applicable à l’ensemble des procédures, une analyse approfondie du droit positif révèle que la teneur du principe d’égalité diffère en fonction de la nature du contrat envisagé. Afin de laisser une certaine marge de manœuvre à l’autorité délégante, l’égalité de traitement fait l’objet d’une application souple lors de la mise en concurrence des délégations de service public (A). Pour les autres contrats, notamment les marchés publics, l’égalité de traitement doit être appréciée strictement (B). Ainsi, les fonctions de l’égalité de traitement lors du déroulement de la mise en concurrence ne font pas l’objet d’une application uniforme, mais varient en fonction de l’objet et de la nature du futur contrat.

Une égalité souple dans le déroulement des procédures de passation des délégations de service public

 Les textes encadrent très peu les modalités de passation des délégations de service public. À cet égard, le délégant dispose d’une grande marge de manœuvre dans la conduite de la procédure, et dispose du libre choix du futur délégataire . Concernant la négociation, il est seulement indiqué que les offres « sont librement négociées par l’autorité responsable de la personne publique délégante qui, au terme de ces négociations, choisit le délégataire »  . Ainsi, aucune règle particulière n’encadre les modalités d’organisation des négociations par la personne publique, qui n’est en particulier pas tenue de fixer un calendrier préalable de négociation, ni de faire connaître son choix de ne pas poursuivre les négociations avec l’un des candidats. Cette liberté dans la conduite de la procédure n’affranchit pas le délégant du respect des principes fondamentaux de la commande publique 1816, en particulier celui d’égalité de traitement des candidats. Dès lors, « ce n’est pas parce que l’administration est tout d’un coup dispensée des termes les plus rigides de la mise en concurrence qu’elle échappe au respect du principe d’égalité, qui se situe sur un tout autre plan, et enveloppe toujours son action, aussi discrétionnaire qu’elle soit » 1817. Par conséquent, le délégant doit veiller à ce que la procédure soit conduite dans des conditions d’égalité, notamment pendant la phase de négociation1818 . Ainsi, la conduite de la négociation n’échappe pas au principe d’égalité de traitement des candidats, dès lors qu’elle « n’est pas – ne peut pas être – ne doit pas être une maison de verre ; le respect de l’égalité de traitement, de la non discrimination, doit savoir s’y formuler de manière adéquate » 1819. L’autorité délégante doit veiller à ce que les conditions de présentation des candidatures et des offres soient les mêmes pour tous les candidats dans le cadre de la négociation1820. Les informations relatives à la procédure et au futur contrat doivent être transmises à l’ensemble des candidats dans des conditions de stricte égalité1821. À l’inverse des procédures d’appel d’offre1822, l’autorité délégante n’est pas strictement tenue par les documents de consultation. Par conséquent, elle peut, lors des phases de négociations, apporter des modifications à ces derniers. Toutefois, elle ne peut le faire que dans l’intérêt du service, et si ces modifications ne bouleversent pas l’économie du contrat et n’ont pas pour but d’avantager un candidat1823. Les candidats disposent également de la possibilité de modifier leur offre en cours de négociation. De manière générale, ces adaptations en cours de procédure ne doivent pas avoir un caractère discriminatoire1824, dans la mesure où elles ne doivent pas contribuer à orienter la consultation dans un sens plus favorable pour un candidat. Suite à ces adaptations, si l’autorité délégante décide de proroger le délai de remise des offres, elle doit en faire bénéficier l’ensemble des candidats et veiller à ce qu’il n’en découle pas une atteinte au principe d’égalité de traitement des candidats1825 . Le principe d’égalité de traitement, en l’absence de précision dans les textes, permet ainsi d’encadrer la conduite des procédures de passation des délégations de service public. Toutefois, pour ne pas tomber dans un formalisme excessif, le juge admet que l’autorité adjudicatrice puisse garder une certaine marge de manœuvre. Ainsi, cette dernière n’est pas dans l’obligation de négocier jusqu’au bout avec chacun des candidats1826. Par conséquent, elle choisit librement les candidats avec lesquels elle engage des discussions, sans que cela s’apparente à une rupture d’égalité1827. Dès lors, même si « l’autorité publique ne peut certainement pas adopter au cours des négociations qui impliquent deux candidats, une attitude discriminatoire à l’égard de l’un d’entre eux » 1828, elle dispose d’une certaine marge de manœuvre dans le choix des candidats lors de la phase de négociation. Le principe d’égalité dispose donc d’une fonction fondamentale dans cette étape du processus, car c’est à travers lui que doit être trouvé l’équilibre entre le respect des règles de mise en concurrence, et la liberté devant nécessairement être reconnue à l’autorité délégante. 

Une égalité stricte dans le déroulement des autres procédures de passation

 L’appel d’offre est la procédure dans laquelle l’égalité de traitement est appréciée le plus strictement (I). Applicable aux marchés publics relevant du Code des marchés publics dont le montant dépasse un certain seuil, cette procédure ne laisse aucune marge de manœuvre à l’autorité adjudicatrice dans la conduite de la mise en concurrence, ni aux candidats dans l’élaboration de leur offre. Par conséquent, tout comportement n’entrant pas dans les conditions de consultation prévues par le Code des marchés publics est susceptible d’entraîner une rupture d’égalité entre les candidats. S’agissant des autres procédures qui, à l’inverse de l’appel d’offre, peuvent intégrer une phase de négociation ou de dialogue, l’égalité de traitement est également appréciée strictement (II). À ce titre, l’autorité adjudicatrice doit organiser dans de strictes conditions d’égalité les différents échanges qu’elle peut avoir avec l’ensemble des candidats. 

Une égalité strictement appréciée dans la procédure d’appel d’offre

En matière d’appel d’offre, il est rare que l’autorité adjudicatrice puisse porter atteinte à l’égalité de traitement des candidats lors de la mise en œuvre de la procédure. Cette dernière est fortement encadrée par les textes et ne laisse aucune marge de manœuvre à l’autorité adjudicatrice dans la conduite de la mise en concurrence. Les modalités de publicité sont prévues par les textes, ainsi que le déroulement de la consultation. Ces règles s’imposent tant aux candidats qu’au pouvoir adjudicateur, qui n’a aucune possibilité de les modifier. En outre, la violation d’une de ces règles peut aboutir à l’annulation de la procédure de passation. Surtout, « il ne peut y avoir de négociation avec les candidats » . La prohibition de toute négociation réduit fortement le risque d’une atteinte à l’égalité de traitement des candidats. En effet, la négociation est propice à la survenance d’un comportement discriminatoire du pouvoir adjudicateur à l’égard d’un ou plusieurs candidats. C’est certainement la raison pour laquelle elle est interdite pour les marchés publics dont l’enjeu économique est important. De plus, dans le cadre de l’appel d’offre, le dépôt d’une offre rend impossible toute modification ultérieure ou retrait de celle-ci, à l’initiative du pouvoir adjudicateur ou du candidat. C’est le principe d’intangibilité des offres. Ainsi, « le respect de ce principe est primordial dans la mesure où il permet de déterminer une période durant laquelle le contenu des offres est figé, afin de pouvoir les examiner et les comparer entre elles ». Ce principe permet d’attribuer le contrat dans des strictes conditions d’égalité entre les candidats, ces derniers déposant leurs offres en prenant en considération les seules caractéristiques du marché, et non l’offre faite par un autre candidat. Ainsi, « la procédure d’appel d’offres met face à face deux blocs rigides : le besoin exprimé par le pouvoir adjudicateur et l’offre élaborée par le candidat. L’offre remise par un candidat ne sert pas de base de négociation. Elle doit se conformer strictement au besoin exprimé. En l’absence de négociation, le candidat doit se borner à répondre à ce besoin et n’a pas à relever des incohérences, des contradictions, voire à juger de sa pertinence. Toute contrariété avec le besoin exprimé, quand bien même elle serait minime, entraîne l’irrégularité de l’offre ». Ce principe est sanctionné par le juge administratif, mais également par le juge judiciaire et le juge pénal.L’intangibilité des offres est une illustration éclatante de la rigidité avec laquelle l’égalité est appréciée dans le cadre de l’appel d’offre. Il arrive cependant que ces principes fassent l’objet d’une certaine souplesse. Le pouvoir adjudicateur a en effet la possibilité « de demander aux candidats de préciser ou de compléter la teneur de leur offre ». Cette demande doit être adressée de manière équivalente aux candidats dont l’offre nécessite effectivement un complément ou une précision. Dans ce cadre, le pouvoir adjudicateur doit traiter les candidats de manière égale et loyale, de telle sorte qu’une demande de clarification ne puisse apparaître comme ayant indûment favorisé ou défavorisé le ou les candidats ayant fait l’objet de cette demande . Afin de respecter les textes et le principe d’égalité de traitement des candidats, l’autorité adjudicatrice doit veiller à ce qu’une telle demande ne s’apparente pas à une modification de l’offre. À cet égard, l’avocat général Lenz affirme que « du point de vue sémantique, nous pensons qu’il faut entendre le terme « préciser » (…) dans le sens de communiquer des détails permettant de décrire plus clairement l’objet en question, ou de le définir avec une plus grande exactitude. Quant au second terme employé (…) celui de « compléter », nous y voyons l’apport d’indications supplémentaires qui n’étaient pas antérieurement disponibles. Les deux termes ont ceci de commun qu’il ne s’agit pas de remplacer des indications fournies antérieurement, mais au contraire de les concrétiser d’une façon ou d’une autre ». Le Conseil d’État admet qu’il puisse y avoir une modification de l’offre dans un seul cas, s’il s’agit « de rectifier une erreur purement matérielle, d’une nature telle que nul ne pourrait s’en prévaloir de bonne foi dans l’hypothèse où le candidat verrait son offre retenue »  . Si la modification excède le cadre de la correction d’une erreur matérielle, l’offre devient irrégulière.

Une égalité strictement appréciée dans les autres procédures

S’agissant des marchés à procédure négociée, le principe d’égalité est prégnant, l’article 66 du Code des marchés publics disposant que « la négociation est conduite dans le respect du principe d’égalité de traitement de tous les candidats. Les informations données aux candidats ne peuvent être de nature à avantager certains d’entre eux ». Par conséquent, lors des négociations, toute attitude ou manœuvre visant à avantager ou désavantager un candidat est prohibée . De plus, « le pouvoir adjudicateur ne peut révéler aux autres candidats des solutions proposées ou des informations confidentielles communiquées par un candidat dans le cadre de la négociation, sans l’accord de celui-ci »  . Ainsi, méconnaît le principe d’égalité le fait d’informer une entreprise du montant de l’offre d’un autre candidat, alors que ce dernier n’a pas été informé des offres de ses concurrents  . Concernant les marchés à procédure adaptée, rien n’est précisé dans le Code des marchés publics, si ce n’est que « le pouvoir adjudicateur peut négocier avec les candidats ayant présenté une offre »  . Toutefois, cela ne dispense pas l’autorité adjudicatrice du respect du principe d’égalité de traitement des candidats qui s’impose à tous les marchés passés en application du Code . Ainsi, la procédure est légale tant « qu’aura été respectée tout au long de la procédure le principe d’égalité de traitement entre les candidats, dans l’expression des besoins et dans la communication de leurs modifications éventuelles, dans les délais, dans l’information communiquée, dans les relations entretenues avec chacun des candidats, dans les critères de choix » . Par conséquent, la procédure et la négociation doivent être conduites dans le respect du principe d’égalité de traitement des candidats  . Pour un certain nombre de contrats, l’autorité adjudicatrice peut recourir à la procédure de dialogue compétitif. Dans ce cadre, les textes  imposent que chaque candidat soit « entendu dans des conditions d’égalité » et ne reçoivent pas du pouvoir adjudicateur « des informations susceptibles de les avantager par rapport à d’autres ». De plus, « des précisions, clarifications, perfectionnements ou compléments peuvent être demandés aux candidats sur leur offre finale. Cependant, ces demandes ne peuvent (…) avoir un effet discriminatoire » 1866. Afin de respecter l’égalité de traitement des candidats, l’autorité adjudicatrice doit assurer des conditions de mise en concurrence égales pour tous. Dès lors, elle doit transmettre les mêmes informations à tous les candidats, et doit assurer un temps de discussion et une périodicité de convocation équivalents pour chacun. L’égalité de traitement dispose donc d’une fonction fondamentale lors de la mise en concurrence, qui est appréciée de manière souple pour les délégations de service public, et de manière stricte pour les autres types de contrats. Elle dispose également d’un rôle prépondérant dans le choix des candidatures et des offres. 

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