LES HABITANTS DU VILLAGE 2 À L’ÉPREUVE DE LA RÉNOVATION URBAINE

Dans le contexte du programme de rénovation urbaine du Village 2, précisons tout d’abord que le vocabulaire de la ville durable reste peu tangible pour les habitants. Les différentes dimensions du projet qui leur sont présentées sont systématiquement rapportées à une amélioration de l’existant, à l’échelle du quartier ou celle des logements : elles revêtent donc un caractère avant tout pragmatique et fonctionnel. De fait, ce vocabulaire fortement mis en avant dans les cas de Greenwich et de Confluence apparait de manière relativement marginale dans le cadre de la rénovation urbaine du Village 2. Il est mobilisé par les acteurs du projet d’une part pour satisfaire à des cahiers des charges thématiques ouvrant droit à des subventions spécifiques, d’autre part pour insister, dans des actions de communication institutionnelle, sur la qualité des opérations réalisées, et faire valoir ainsi les compétences de la municipalité et du bailleur en la matière. Nous verrons qu’en raison de ce mode d’engagement dans l’action, la part d’utopie, d’imaginaire, ne se déploie pas de manière aussi marquée que dans les projets de Confluence et de Greenwich. Plus que de réinventer les manières de vivre la ville, il est question d’actualiser des normes de confort et de fonctionnement urbain. On se trouve ainsi plus proche du « pire à éliminer » que du « meilleur à construire », pour reprendre l’analyse de Chalas et Torgue (1987) selon laquelle l’imaginaire aménageur, schizomorphe, est dominé par une disjonction continuelle entre ces deux polarités. L’exception n’est plus ici un horizon à atteindre, mais une réalité à laquelle remédier.

Nous chercherons à comprendre comment l’expérience habitante134 prend corps dans le contexte d’un quartier tel que le Village 2, et à en dégager les critères de variation (section 1). Nous chercherons ensuite à analyser l’accueil réservé par les habitants au projet de rénovation urbaine (section 2) avant de considérer la manière dont ce dernier modifie le rapport entretenu à l’égard du quartier (section 3). En amorce de cette partie, nous souhaitons présenter chacune des personnes rencontrées et interrogées en donnant quelques éléments essentiels qui permettront de cerner leurs profils, leur situation, leur rapport au quartier, les caractéristiques de leurs logements ou encore les conditions d’enquête. Ces portraits donneront davantage de corps à l’analyse, et il sera ainsi possible de relier chaque extrait d’entretien avec leur situation d’énonciation plus générale. Nous ne créerons pas de regroupement comme dans les quartiers de Confluence et de Greenwich dans la mesure où la population du Village 2 est beaucoup plus homogène socialement et que des critères de différenciation naitront progressivement dans le courant de l’analyse.

Entre attachement et contrainte. Un rapport ambivalent au quartier

Mme Gomez habite l’une des sept grandes tours de quatorze étages du Village 2, dans un F3 d’environ 60 m² qu’elle occupe seule. L’intérieur est soigné et très ordonné. Chaque chose semble à sa place. Elle a un peu moins de quatre-vingt ans. Lors de la prise de rendez-vous, lorsque je lui parle au téléphone, elle m’indique ne pas habiter le quartier depuis longtemps. En réalité, cela fait près de vingt-cinq ans. Comme elle l’explique : « c’est-à-dire que 2 ans après j’ai eu la retraite et après… bon ben les années elles sont passées ». Son regard reste définitivement tourné vers un « avant » glorifié, elle ne se sent pas pleinement habitante du Village 2. Elle vivait auparavant au Village Olympique, un autre quartier populaire relativement proche du sud-grenoblois, où elle a élevé seule ses quatre enfants à partir du moment où le plus jeune d’entre eux était âgée de trois mois. Elle dit y avoir passé ses « plus belles années », tous les évènements importants de sa vie y étant associés : la naissance de ses enfants, puis leurs mariages et la naissance de ses petits-enfants.