Les particularités de l’infomédiaire Naver News et son impact dans le milieu médiatique coréen

Télécharger le fichier original (Mémoire de fin d’études)

Naver News ou la création prudente d’un agrégateur d’actualité controversé

Bien qu’il existe des agrégateurs d’actualité autonomes, la plupart sont reliés à des moteurs de recherche. Il conviendra donc tout d’abord d’étudier ce lien grâce à l’étude de l’origine des agrégateurs d’actualité (A.1.) et les controverses qui en sont nées, pour comprendre pourquoi Naver News a été créé avec autant de prudence (A.2.).

Aux origines des agrégateurs d’actualité : l’importance des moteurs de recherches

Le moteur de recherche Google référence les sites internet disponibles sur la Toile tout entière. Pour affiner les résultats des recherches des internautes, Google a mis en ligne plusieurs « sous-moteurs » de recherche, tels que Google Image, Google Actualité, Google Vidéo… Ces sous-moteurs permettent à l’internaute de sélectionner le format de la source qu’il préfère obtenir pour satisfaire sa recherche : une image, une vidéo, des informations issues des médias, et bien d’autres encore.
La création de Google Actualité a été concomitante à l’évolution du moteur de recherche Google. En effet, comme évoqué précédemment, le moteur de recherche s’était trouvé incapable de satisfaire le besoin en information des internautes lors des attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis. Les algorithmes des différents moteurs de recherche étaient alors programmés pour permettre aux internautes de retrouver les informations dans des pages dont la réputation et le contenu étaient approuvés par plusieurs critères. Pour connaître le contenu des pages internet, de petits logiciels, les crawlers*, étaient « lancés » sur la Toile pour lire les nouveaux sites internet et en extraire les informations nécessaires à leur indexation, telles que l’auteur de la page, le nombre de liens qu’elle contient, le nombre de personnes qui visitent le site quotidiennement, etc..
Comme il est impossible pour ces logiciels de scanner toutes les pages nouvellement créées par les internautes, certains sites internet peuvent parfois mettre quelques jours à être référencés par les moteurs de recherche. Avec Google Actualité, Krishna Bharat a imaginé un système de reconnaissance qui recenserait uniquement les sites produisant de l’actualité qui seraient identifiés au préalable. Grâce à cette reconnaissance, les pages nouvelles publiées par ces sites sont inspectées plus régulièrement, ce qui permet au moteur de recherche de savoir lorsqu’un nouvel article est mis en ligne, et de l’intégrer à sa base de données. L’information est alors retransmise directement par le sous-moteur Google Actualité.
Aussi, nous nous concentrerons principalement sur la fonction d’agrégateur d’actualité du sous-moteur de recherche, qui correspond à une page internet contenant les articles récents de manière plus ou moins éditorialisés. Ces articles sont présentés en clusters*24, qui sont des grappes d’articles de différentes sources traitant du même sujet, et regroupés au même endroit par l’agrégateur. Selon Google, ce regroupement permet de proposer à l’internaute une diversité de sources sur un même sujet, et donc de proposer un contenu qui, s’il est lu entièrement, est objectif. C’est « l’opportunité d’avoir un intermédiaire objectif et algorithmique. Si vous avez confiance en l’algorithme pour croiser correctement les points de vue, alors il n’est plus gênant que ces points de vue soient biaisés »25.
Néanmoins, cette objectivité s’est souvent faite au détriment des éditeurs d’actualité. Alors que la création de Google Actualité avait été plutôt prudente aux États-Unis, les médias européens se sont vus imposer du jour au lendemain cette plateforme agrégatrice de médias, sans même avoir été concertés.
Des articles créés par des éditeurs (les médias), Google n’extrait que le titre et le chapeau, qui permettent de donner une description rapide du contenu à l’internaute. Un lien est alors créé entre des données extraites. L’internaute n’aura plus qu’à cliquer sur ce lien pour accéder à l’article qu’il souhaite lire, sur le site du média qui l’a publié. Selon les éditeurs de presse, cette extraction sans leur accord préalable contrevient au droit d’auteur.
En effet, Google News ne rémunère pas les éditeurs directement pour le contenu qu’il utilise. Comme pour son moteur de recherche, Google considère que ses services ne font qu’apparier la recherche d’un internaute avec l’information disponible sur internet. Selon l’entreprise, Google guiderait ainsi les internautes vers des sites internet sur lesquels ils ne seraient allés sans le moteur de recherche26. Les médias sont donc, selon Google, favorisés par ce fonctionnement.
Le droit appliqué dans ce cas est le même que celui appliqué aux moteurs de recherches. Il est différents aux États-Unis et en Europe, et la Corée semble avoir penché pour un système proche de celui des américains, prônant un « usage juste » (fair use theory)27. Cette théorie permet de faire une exception au droit d’auteur grâce à plusieurs points qui seront utilisés comme un faisceau d’indices, comme notamment l’utilisation du contenu identique à celle qui en est faite sur le site source, et les bénéfices que peut retirer un éditeur de la reprise de son contenu.
En créant son agrégateur d’actualité plus de quatre ans après Google Actualité, Naver a pu devancer ces différentes critiques et mettre en œuvre un autre modèle d’agrégateur de média. Ce dernier s’imposera rapidement en Corée du Sud, et sera repris par ses concurrents.

La création de Naver News : naissance prudente d’un modèle agrégateur d’actualité coréen

Le mois de juin 1999 correspond à la date de lancement du portail de recherche NaverCom, l’ancêtre du portail Naver que les Coréens connaissent aujourd’hui. Le même mois, Naver Junior et Hangame étaient également lancés, respectivement un moteur de recherche destiné aux enfants, et un portail de jeu destiné au public coréen, qui n’appartenait pas encore au groupe Naver. Les deux portails de recherche étaient le fruit d’un projet interne lancé en 1997 par Lee Hae-Jin et trois collègues dans le département des solutions technologiques de Samsung. Le projet a ensuite été poursuivi indépendamment du géant des hautes technologies.
La structure de Naver telle qu’on la connaît aujourd’hui est apparue en février 2000, suite à plusieurs mois de tractations concernant la fusion de plusieurs entreprises : Hangame Communication et Cue-On, ainsi que par l’acquisition de Search Solution. En effet, en 1999, trois dirigeants d’entreprises se rencontrent dans un bar de quartier pour discuter de leurs affaires. Kim Jeong-Ho (김정호) et Lee Hae-Jin (이해진) sont tous les deux représentants de NaverCom, respectivement PDG et Directeur de la stratégie du groupe. Ensuite vient Kim Beom-Su (김범수), le PDG de Hangame Communication. Cette société de jeu en ligne se trouve progressivement dans une impasse : malgré de nombreux utilisateurs réguliers, elle manque cruellement de fonds et ne semble pas pouvoir poursuivre son activité avec le modèle économique qu’elle possède. De plus, Kim Beom-Su était socialement déconsidéré pour avoir fondé son succès sur les paris en ligne de la population coréenne. Au contraire, NaverCom ne manque pas de fonds, mais les utilisateurs sont plus fidèles à ses concurrents : Yahoo et Daum. L’entreprise ainsi formée par la fusion se nomme alors NHN ( Next Human Network).
Interrogé en 2006 sur cette réunion, Kim Jeong-Ho répondra que personne ne pensait à l’ampleur que prendrait leur entreprise après cette fusion. « Nous nous sommes seulement réunis avec beaucoup de soucis, nous avons bu, nous nous sommes compris mutuellement et nous avons pris une décision. […] Il fallait simplement [que les entreprises] survivent ».28 C’est pourtant grâce à cette fusion que Naver connaîtra un succès sans précédent grâce à deux services particuliers : les jeux en ligne et le partage de connaissances.
Plusieurs services et sous-moteurs de recherches sont apparus suite à la création de Naver. Ces derniers ont tous un rôle dans la progression des parts de marché du portail de recherche. En effet, bien que la section jeux en ligne ait permis au portail naissant de gagner des internautes fidèles, les Coréens n’utilisent pas le portail Naver pour les recherches en ligne.
Néanmoins, alors que très peu de pages ou de sites internet étaient créés ou traduits en Coréen, Naver a eu l’idée de créer une nouvelle section : 지식 IN (Connaissances-IN)29. Cette section fonctionne à la manière d’un forum, en collaboration avec les internautes. Certains posent des questions, d’autres y répondent, et les réponses les plus pertinentes sont mises en avant sur la plateforme. Cette fonctionnalité a eu beaucoup de succès, et a permis à Naver d’augmenter encore son nombre d’abonnés ainsi que d’avoir de plus en plus de pages internet rédigées en coréen et hébergées sur sa plateforme. Ces pages ne sont pas accessibles directement via d’autres moteurs ou portails de recherche, et les habitués de 지식 IN se sont mis à utiliser principalement Naver comme moteur de recherche.
En Septembre 2006, quatre ans après la mise en ligne de Google Actualité, Naver lançait sa plateforme agrégatrice d’actualité : Naver News. Conscient des différentes critiques qui avaient été adressées à son homologue américain, Naver propose en parallèle une plateforme d’appel en continu qui permet de répondre aux interrogations des internautes quant à cette nouvelle fonctionnalité de Naver. Ce service permet également aux victimes de diffamation de disposer d’un droit de réponse ou de correction, ou bien de faire supprimer les articles concernés dans les cas extrêmes30.
En parallèle à ce service, Naver met en place un comité de suivi de son service : le « Comité d’utilisateur Naver News » ( 네이버 뉴스 이용자위원회). Il est composé de groupes de presse, de citoyens et de juristes. Ce comité se réunit chaque mois pour discuter de ses activités sur Naver News et des problèmes qui sont rencontrés. Il permet ainsi à Naver d’avoir des retours directs des principaux concernés, d’améliorer ainsi son système, et de préempter les possibles dérives qui pourraient apparaître31.
Les relations entre Naver News et ses médias sources sont de natures différentes en comparaison de celles qui lient Google Actualité et les médias. En effet, dès sa création, Naver News dispose de partenariats avec une centaine de médias, dont les articles seront ensuite sélectionnés et hiérarchisés par Naver pour apparaître sur l’agrégateur d’actualité.
Le nombre de partenariats entre Naver et les médias a augmentés à 624 en fin 2017, avec 124 partenaires privilégiés qui verront leurs articles apparaître dans Naver News, et 500 autres qui seront référencés si l’internaute effectue une recherche32. Étant donné que plus de 70 % des recherches d’actualité en Corée du Sud sont effectuées sur Naver News, de plus en plus d’éditeurs d’actualité souhaitent être référencés sur l’agrégateur.
L’agrégateur d’actualité coréen s’éloigne donc du mode de fonctionnement d’un moteur de recherche, puisqu’il sélectionne les sources qu’il souhaite montrer ou non à l’internaute, avant même que ces derniers ne formulent une requête. Il n’est pourtant pas considéré comme un média, mais comme un infomédiaire.

Le rôle de l’infomédiaire : un médiateur protéiforme aux prérogatives multiples

L’objet d’étude des agrégateurs d’actualités et des moteurs de recherche étant relativement récent, les concepts apparus pour en cerner leurs caractéristiques sont méconnus. Le concept de média ne convient plus à cette nouvelle réalité, étant donné que l’agrégateur d’actualité n’est pas créateur de contenu, mais qu’il reprend le contenu déjà existant créé par d’autres médias. Ainsi, il conviendra de donner une définition précise de l’infomédiaire comme intermédiaire entre les médias et leurs publics (B.1.), et d’identifier les conséquences de leur position auprès du milieu journalistique (B.2.).

Le concept d’infomédiaire : un intermédiaire entre les médias et leur public.

Comme évoqué en introduction, le concept de média est flou, et ne semble pas être approprié pour définir avec précision l’agrégateur d’actualité. En effet, selon Francis Balle, le média est à la fois une technique qui permet aux Hommes de « s’exprimer et de communiquer à autrui cette expression », et à la fois l’usage qui en est fait, comme organe d’information ou moyen de divertissement par exemple33. Cependant, l’agrégateur d’actualité semble ne pas partager cette définition, puisqu’il n’est, selon ses gestionnaires, qu’un passeur entre les médias et leur public. Il ne permet donc pas aux hommes de s’exprimer, puisque les hommes le font via le média « source » de l’actualité qui sera reprise sur la plateforme agrégatrice.
En 1981, Kimon Valaskakis introduit pour la première fois le terme d’infomédiaire pour parler du : « processus selon lequel un nombre croissant d’activité humaines dans tous les domaines […] font l’objet d’une médiation, ou sont prises en charge par des machines d’information de haute technologie »34.
Ce n’est qu’à l’apparition de Google Actualité en 2002 que ce terme sera repris pour désigner les agrégateurs d’actualité, qui sert effectivement à faire la médiation entre l’information et celui qui la recherche. Le concept d’infomédiaire est un néologisme entre deux termes : celui d’information, et celui d’intermédiaire. Selon les chercheurs R. Boure et N. Smyrnaois, il a une « fonction consistant à relier des besoins ciblés et des ressources pertinentes au sein de volumes de données considérables et hétérogènes.[Il] met à disposition des contenus et des liens issus d’une sélection, se présentant sous forme éditorialisée »35.
Plusieurs points sont primordiaux dans cette définition, et permettent de définir avec précision un infomédiaire d’actualité. Le premier qui apparaît est la notion d’appariement. L’information d’actualité n’est pas créée par l’infomédiaire. Il sert simplement à faire le lien entre celui qui crée l’information et celui qui la recherche. En ce sens, il se rapproche d’un moteur de recherche, et s’éloigne d’un éditeur d’actualité : il n’a qu’un rôle de passeur. Ainsi, alors que la production médiatique sur internet devient pléthorique, l’infomédiaire permet à l’internaute de savoir quoi lire, et parfois même quoi rechercher dans les méandres de l’information en ligne
Le second point réside dans l’éditorialisation de la sélection effectuée. À titre d’exemple, l’agrégateur d’actualité Naver News publie mensuellement un peu plus de 3 000 articles36, qui seront classés dans une dizaine de sections, dans un ordre très précis défini par l’entreprise Naver. Comme évoqué précédemment, la sélection et la hiérarchisation de ces articles se fait grâce à un algorithme, et grâce à des employés de Naver qui sont dédiés uniquement à l’agencement des articles dans les différentes sections. Elle n’est pas laissée au hasard, puisqu’elle a un impact sur le temps de présence des internautes sur Naver News, mais aussi sur le nombre de clics sur les différents articles. Ces deux données sont essentielles, étant donné qu’elles ont un impact sur la rémunération que l’agrégateur d’actualité peut réclamer aux annonceurs qui demandent à placer des publicités sur sa plateforme. La hiérarchisation effectuée prendra alors le nom d’éditorialisation.
Néanmoins, plus que l’édition, c’est le terme de méta-édition qui convient le mieux aux infomédiaires, c’est-à-dire une édition de l’édition première37. Cette méta-édition lui permet de s’affranchir du statut d’éditeur, qui impliquerait que de nombreuses lois et règlements relatifs au journalisme (presse, radio, télévision) s’appliquent à lui. Google, l’infomédiaire le plus puissant « joue en même temps le rôle de guide, de filtre, de pare-chocs et de traducteur. [Il] nous aide à classer l’abondance d’éléments dans des cases, nous propose des orientations et des interprétations toutes faites38 »
Ce n’est pas lui qui crée le contenu, mais il crée quelque chose à partir du contenu qui lui est présenté.
La méta-édition permet à l’infomédiaire de paraître neutre, puisqu’il met en lien différents points de vue, comme nous l’avons évoqué précédemment. L’édition qu’il pratique ne sera qu’une sélection à travers différents articles, puis un classement, et enfin une hiérarchisation des articles. Parfois, la hiérarchisation se fait sans même que l’infomédiaire n’intervienne, grâce à un algorithme qui va décider que les articles qui ont le plus de commentaires sur un thème précis devront apparaître en premier.
Le concept d’infomédiaire regroupe des acteurs protéiformes, tels que Google Actualité ou Naver News, qui sont liés à des moteurs de recherche ; ou bien le site internet français Overblog, qui sélectionne et classe les blogs les plus intéressants pour permettre aux internautes de trouver ce qu’ils recherchent dans le monde des blogs, ou bien de découvrir de nouveaux blogs. Il nous conviendra donc de nous attarder principalement sur les infomédiaires d’information liés aux moteurs et portails de recherches, et sur les prérogatives qu’ils ont acquis dans le paysage médiatique.
Ces différentes caractéristiques sont la cause de prérogatives particulières dont les agrégateurs d’actualité jouissent tant auprès des internautes, qu’auprès des journalistes.

Les conséquences du mode de fonctionnement des infomédiaires sur le monde journalistique

La plupart des moteurs de recherches possèdent désormais un agrégateur d’actualité qui leur est lié. Les articles sont présentés sous formes de liens, de la même manière que les résultats d’un moteur de recherche. Ils sont également mis en page d’une manière similaire : avec un titre, un chapeau et le nom de la source. Les agrégateurs d’actualité rajoutent parfois des informations relatives à la popularité de l’article, ou à l’ancienneté de ce dernier.
Les articles sont regroupés en clusters*, des grappes d’articles, lorsqu’ils traitent du même sujet, et sont renouvelés régulièrement pour toujours proposer à l’internaute un contenu innovant. De plus, la plupart des infomédiaires d’actualité répartissent les clusters* en plusieurs catégories : Politique, Économie, Sport, Société, Divertissement, etc. Une page d’accueil est souvent proposée par l’agrégateur, qui contiendra une sélection d’articles dans ces différentes catégories.
Néanmoins, une caractéristique primordiale va distinguer deux types d’agrégateurs d’actualité : l’usage de liens sortants (outlink*) ou de liens entrants (inlink*) pour la distribution des articles d’actualité. Google utilise des outlinks*, ce qui signifie qu’une fois que l’internaute aura cliqué sur l’article qui l’intéresse, il sera directement redirigé vers le site 19 qui l’a produit, vers la source-mère de l’article. L’internaute sera alors sorti de l’infomédiaire, et la mission de la plateforme s’arrête dès que l’internaute sort de sa plateforme.
Au contraire, l’agrégateur Coréen Naver News fonctionne sur un système d’inlinks*. La totalité des articles disponibles sur la plateforme de l’agrégateur39 est extraite des sites des éditeurs, et se retrouve hébergée sur le site de Naver News directement. Il sera donc possible de lire les articles de tous les journaux partenaires sans même quitter la plateforme. L’internaute ne navigue donc que rarement vers le site de presse qui produit du contenu, et seuls 4 % des internautes coréens qui lisent la presse en ligne vont directement chercher l’information sur les sites internet des journaux en ligne ou de la télévision40.
Ainsi, l’infomédiaire aura un pouvoir important de définition des sujets intéressants pour les internautes. À titre d’exemple, les articles dont les thèmes ne seront pas choisis par Naver auront très peu de chance de trouver des lecteurs. En revanche, la section de Naver News qui s’intègre dans la page d’accueil de l’application Naver, et qui montre les cinq articles les plus populaires du moment, aurait le pouvoir d’influencer leur nombre de lecteurs par milliers41.
Le choix des thèmes mis en avant se fait principalement en fonction de l’intérêt qu’auront les internautes pour un sujet précis. Il n’est donc pas de la seule prérogative de l’infomédiaire, mais la hiérarchisation qu’il opère aura un impact sur l’écho que trouveront les nouvelles rédigées par les éditeurs. Néanmoins, il convient de relever que la sélection des sujets et le classement des articles ne sont pas faits avec le même objectif que les médias qui produisent les articles d’actualité. En effet, les choix de méta-édition de Naver News ne seraient pas effectués en fonction de l’intérêt d’un sujet, mais du nombre de clics et du temps d’attention que l’article peut potentiellement obtenir du lecteur42.
Dans les pays où le système d’inlink* est retenu, on observe une baisse du journalisme d’investigation et de la qualité des articles. N’ayant aucune possibilité de créer un suivi des sujets traités, les infomédiaires de ce type vont régulièrement « oublier » des sujets qui seront considérés comme peu vendeurs ou trop datés43. Les médias en ligne ne seront pas non plus incités à produire des enquêtes prolongées puisqu’elles trouveront difficilement un public réceptif.
En définissant les articles qui ont leur place sur leur site internet, les infomédiaires finissent par imposer certains comportements aux producteurs de l’actualité. Ainsi, pour l’infomédiaire Google Actualité, les chercheurs français R. Boure et N. Smyrnaios ont identifié une sorte « d’acculturation » des éditeurs de news au profit de l’infomédiaire. Certains vont adapter l’architecture de leur site internet pour inciter l’internaute à ne pas seulement lire l’article qu’il venait chercher, afin d’augmenter le temps de présence de ces derniers sur leur site internet. D’autres éditeurs auront tendance à « modifier continuellement leur contenu » pour remonter dans les résultats des infomédiaires44, lorsque celui-ci intègre un facteur temps dans son algorithme.
L’activité de la presse n’étant plus séparable de celle des infomédiaires, il est nécessaire qu’elle s’adapte à ce nouveau mode de fonctionnement. Une dernière prérogative réside ainsi dans le rapport de force entre les infomédiaires d’actualité et les éditeurs avec qui ils traitent. Lorsque l’infomédiaire est suffisamment puissant pour rapporter un trafic substantiel à l’éditeur, ce dernier ne pourra plus négocier les termes de l’extraction de ses articles avec autant de facilité. Ce rapport de force peut avoir un impact sur la production journalistique, et la position monopolistique d’un infomédiaire sur un marché peut avoir des risques pour la diffusion d’une information « complète et objective ». C’est ce qui apparaît dans le paysage médiatique en Corée du Sud.

Les particularités de l’infomédiaire Naver News et son impact dans le milieu médiatique coréen

Naver News a très tôt occupé une position dominante dans la consommation de l’actualité en ligne. Cette position monopolistique présente des risques (A.) et a un impact direct sur le mode de consommation de l’actualité des internautes coréens (B.).

Les risques liés à la position monopolistique de Naver News dans le paysage médiatique coréen.

L’agrégateur d’actualité coréen Naver News a, dans de multiples déclarations, réfuté son statut de média, arguant qu’il n’éditait pas les informations qu’il distribuait. En procédant ainsi, l’agrégateur a échappé aux lois coréennes applicables à la télévision, la radio et la presse jusqu’à aujourd’hui, et ce malgré de nombreuses particularités démultipliant ses prérogatives (A.1.), et des conséquences inattendues de son mode de rémunération des médias sur le milieu journalistique lui-même (A.2.).

Naver News : les particularités d’un infomédiaire aux pouvoirs démultipliés

En Coréen, il n’existe pas de terme pour désigner l’infomédiaire ou l’agrégateur d’actualité, on parle de 포털 (poteol = portail). Ce terme se rapproche de « search portail », le portail de recherche traduit en langue anglaise. Il désigne aussi bien Naver en tant que portail de recherche, que Naver News qui en est une émanation, et qui est un agrégateur d’actualité. Il en va de même pour ses concurrents, Daum et Nate, qui possèdent également un agrégateur d’actualité Daum News et Nate News. On peut alors supposer que les internautes coréens assimilent le portail de recherche et l’agrégateur d’actualité comme un acteur unique, alors même que leur mode de fonctionnement est différent.
Comme défini précédemment, la page d’accueil de Naver se présente comme celle de Yahoo, sur un modèle de portail de recherche qui propose un contenu varié, qu’il soit celui de Naver ou qu’il soit hébergé par d’autres acteurs. La page d’accueil du portail n’est pas uniquement composée d’une barre de recherche, mais également d’une quantité non  négligeable de contenus, dont la plupart sont issus des propres sites de Naver45. L’évolution du portail par la proposition de différents services créateurs de contenu a permis d’augmenter le temps de navigation des internautes sur la plateforme Naver le plus possible, pour générer plus de trafic et accroître ses revenus publicitaires. Il est désormais possible de naviguer des heures sur l’internet coréen sans même quitter Naver, et d’y lire l’actualité, ses emails, d’y faire du shopping, de consulter une encyclopédie et de réaliser bien d’autres tâches qui sont désormais quotidiennes…

Table des matières

Partie 1 : L’infomédiaire Naver News, un acteur particulier du secteur médiatique en Corée du Sud
I. L’apparition de Naver News et d’un nouvel acteur sur le marché médiatique en Corée du Sud : l’infomédiaire
A. Naver News ou la création prudente d’un agrégateur d’actualité controversé
A.1. Aux origines des agrégateurs d’actualité : l’importance des moteurs de recherches
A.2. La création de Naver News : naissance prudente d’un modèle agrégateur d’actualité coréen
B. Le rôle de l’infomédiaire : un médiateur protéiforme aux prérogatives multiples
B.1. Le concept d’infomédiaire : un intermédiaire entre les médias et leur public
B.2. Les conséquences du mode de fonctionnement des infomédiaires sur le monde journalistique
II. Les particularités de l’infomédiaire Naver News et son impact dans le milieu médiatique coréen
A. Les risques liés à la position monopolistique de Naver News dans le paysage médiatique coréen
A.1. Naver News : les particularités d’un infomédiaire aux pouvoirs démultipliés
A.2. Un modèle de rémunération des médias innovant aux conséquences inattendues
B. Évolution du mode de consommation des médias : entre objectivité affichée et méfiance envers les nouveaux médias
B.1. L’agrégateur d’actualité en Corée : entre une volonté d’objectivité et remise en question
B.2. Les nouveaux modes de consommation de l’actualité en Corée du Sud
Partie 2. L’influence de l’agenda médiatique et de l’opinion publique par Naver News : l’exemple de l’affaire Druking
I. La méta-édition de Naver News au coeur de l’influence de l’opinion publique
A. La théorie de l’agenda médiatique et l’infomédiaire : impact sur la pluralité des sujets médiatiques
A.1. L’agenda médiatique et l’opinion publique
A.2. Agenda setting et agrégateurs d’actualité : la matérialisation de la théorie
B. L’apparition de nouveaux acteurs dans la théorie de l’agenda setting : le rôle du fonctionnement de Naver News
B.1. L’importance de Naver News dans la construction de l’agenda médiatique
B.2. L’influence subtile de la perception d’un sujet grâce aux choix de Naver News
II. Le scandale Druking : manipulation de commentaires et d’opinion publique
A. Affaire Druking : manipulation de commentaires et indignation de la classe politique coréenne
A.1. L’affaire Druking : manipulation externe du fonctionnement de Naver News
A.2. Blocage de l’Assemblée nationale : la réaction divisée de la classe politique coréenne
B. L’impact de la manipulation des commentaires liés à l’actualité en Corée du Sud
B.1. Le rôle des commentaires de Naver News : reflet d’une société combative
B.2. Le scandale Druking : quand les commentaires ont une influence sur l’opinion publique
Partie 3 : Une plateforme inébranlable face aux critiques : l’évolution de Naver News
I. Entre déclarations et innovations : une position ferme face à l’affaire Druking
A. La réaction progressive de Naver face à l’affaire Druking
A.1. Des réactions dirigées vers les utilisateurs et leur manque de confiance en l’agrégateur d’actualité Naver News
A.2. Des relations avec les médias de plus en plus houleuses : la matérialisation d’un partenariat inégal
B. Des modifications substantielles en réaction au scandale Druking
B.1. La section commentaire : modification rapide d’une section dérangeante
B.2. Une nouvelle mise en page et un algorithme renouvelé pour plus de confiance
II. Naver News, un « quatrième pouvoir » sans contre-pouvoir évident
A. Le dépassement du rôle d’infomédiaire : un portail dont la responsabilité ne peut être engagée
A.1. Naver News, un nouveau « quatrième pouvoir »
A.2. L’absence de mise en oeuvre de la responsabilité sociale de Naver dans les affaires commises sur sa propre plateforme
B. Un sentiment d’absence de contre-pouvoir efficace pour atténuer l’influence de Naver
B.1. Position de monopole et alignement des concurrents coréens à Naver
B.2. Les projets de loi introduits par l’opposition : premiers espoirs de balance de pouvoirs
Conclusion
Annexes
Bibliographie

Télécharger le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *