Les pratiques culturelles nocturnes

LA NUIT, CONSTRUCTION DU TERRITOIRE D’INVESTIGATION

Les pratiques culturelles nocturnes. L’enjeu de la thèse est de comprendre la différence d’expérience de visite qui existe au sein d’une pratique culturelle lors du passage du jour à la nuit. En raison des caractéristiques de l’exposition muséale, il a été choisi d’analyser la variation dans ce contexte. Il se pose alors différentes questions de terminologie mais aussi de communication autour de ces visites dans la nuit. Quels sont les termes désignant ces pratiques et par qui sont-ils employés ? Quelle est l’image associée à ces pratiques ? Le poids des représentations de la nuit agit-il sur la communication de ces visites nocturnes aux publics ? Quelques études de cas serviront de base à cette réflexion : les nocturnes du musée du Louvre et la Nuit européenne des musées. Un autre point important est la définition des marges de la nocturne en tant que pratique culturelle et plus précisément d’interroger son dispositif technique : l’éclairage artificiel. En effet, la nocturne en tant qu’activité culturelle n’existerait pas sans la lumière et il se trouve qu’éclairer n’est pas un geste neutre mais, bien au contraire, un geste porteur de signification. L’impact fort de l’éclairage dévoile que la recomposition de l’environnement obéit à certaines règles, en particulier dans le milieu de l’exposition et plus largement du patrimoine. Prendre en compte ces règles revient à mieux comprendre le langage de l’exposition muséale et par conséquent sa perception par les visiteurs. Or, c’est la variation de l’interprétation de ce langage qu’il faut atteindre pour comprendre la différence entre une visite de jour et une visite de nuit. 

Nuit, nocturne, soirée

 La recherche se heurte à une ambiguïté des termes « nuit », « nocturne » et « soirée », qui entraîne la nécessité d’une définition claire de ces termes et de leur emploi dans la thèse. Chacun d’eux est avant tout considéré dans cette recherche comme appartenant à un domaine d’étude précis : la nuit pour l’impact contextuel et idéel sur les visiteurs ; la nocturne en tant que terme avant tout employé par les institutions pour désigner les évènements se déroulant la nuit ou voulant s’y rapporter qui, dans l’étude, désigne les ouvertures de musées le soir en tant qu’horaire aménagé ; la soirée qui fait appel à un temps social bien particulier en tant que fin des activités de la journée et début d’une période de liberté, elle marque la transition entre jour et nuit et est globalement le temps des ouvertures nocturnes. Cela revient à faire ressortir un terme conceptuel, un terme communicationnel et un terme temporel. Il est utile de comprendre l’organisation de ces termes entre eux, puis, ce qu’ils englobent. Dans un premier temps, il faut donc situer temporellement la période de la soirée et ses rapports avec la nuit et le jour ce qui mène naturellement à la nocturne et ses rapports à la nuit et à la soirée par le biais des activités disponibles.  La nuit est avant tout considérée comme un espace-temps indépendant qui permet à la société de s’exprimer d’un point de vue individuel, se différenciant ainsi du jour par une plus grande liberté et un mode plus sensible de rapport au monde. En même temps, et peut-être à cause de ces caractéristiques, elle est constamment opposée au jour surtout dans un rapport à la lumière. Cette opposition mène, comme cela a été vu au précédent chapitre, au système antinomique de la lumière face à l’obscurité. Il semble donc que ce soit cet axe fondamental qui permette de toucher au sensible, à l’imaginaire de la nuit et aux associations d’idées de cet espace-temps. La présence de la nuit pourrait donc se faire sentir à travers la subjectivité et l’intimité mais aussi par la transgression et le privilège ou encore la magie et le mystère. Ces représentations étant supportées par le noir de la nuit, sa toile sombre, support de développement de la fantasmatique. Autant d’implications qui pèsent sur la définition de la soirée. La soirée en elle-même est une zone de passage entre jour et nuit, ni tout à fait jour, ni tout à fait nuit, dont la temporalité varie selon les saisons. Autrement dit, la soirée est ici considérée comme la période d’activité liée au soir qui est lui même, selon le CNRTL13, « la fin de la journée, annoncée par la tombée du jour et le coucher du soleil; première partie de la nuit ». La soirée est par conséquent définit par la période temporelle correspondant à la fin des activités diurnes jusqu’au coucher du soleil, période qui coïncide avec l’arrivée de la nuit noire. Il s’agit donc d’une période marquée par l’arrêt des activités d’une part, et de l’autre par la baisse graduelle de luminosité et le démarrage des éclairages électriques. Elle est très courte en hiver où le soleil commence à se coucher entre 17h et 18h et très longue en été où il se couche entre 21h et 22h. Or, il se trouve que la période horaire entre 18h et 22h est celle la plus active de toute la nuit, au quotidien. C’est donc particulièrement dans cette période de transition que peuvent s’analyser les changements de considération et d’utilisation de l’espace nocturne. 

L’offre culturelle nocturne

Comment se décline l’offre culturelle nocturne ? La réponse à cette question suppose d’avoir un panorama des pratiques nocturnes et de leurs déclinaisons. Cela permet d’établir des typologies de nocturnes qui facilitent le choix du terrain. Mais obtenir cette réponse suppose également une deuxième étape. Au-delà de la classification de ces offres, il convient d’analyser les moyens qu’elles emploient tant du point de vue communicationnel que du point de vue référentiel. Cela suppose cette fois de s’intéresser non à la forme de ces offres nocturnes mais au contenu. Existe-t-il un imaginaire propre aux nocturnes 134 culturelles ? Bref, il s’agit d’étudier comment se manifeste l’offre culturelle et quels moyens elle emploie pour attirer les visiteurs. Quelques auteurs se sont déjà penchés sur cette question de l’animation culturelle nocturne, notamment avec l’éclairage artificiel patrimonial, leur optique était plutôt utilitaire et liée aux problématiques touristiques. Ainsi, Ébrard (1998) dans un rapport pour le Ministère du Tourisme a établi une définition large des animations nocturnes. Il s’agirait d’un « terme générique des manifestations de type divers destinées à créer, la nuit, la vie dans la ville ou les sites » (ibid., p.11). Puisque les nocturnes se développent dans le monde culturel en prenant diverses formes, elles rendent nécessaire une tentative de classification. Ebrard avait déjà établi quatre catégories pour caractériser les animations nocturnes, d’un point de vue touristique, principalement attachées aux sites patrimoniaux. – La première catégorie concerne le spectacle évènementiel ou festif qui emploie de gros moyens pour une unique soirée et qu’il qualifie de feux d’artifices modernes. Du point de vue des musées, cette catégorie rejoint les évènements ponctuels d’envergure nationale tels que la Nuit européenne des musées. – La deuxième catégorie est celle du spectacle où le lieu devient théâtre ; dans ce cas, le site est davantage considéré comme un cadre pour une représentation d’acteurs qui cette fois peut être reproduite plusieurs soirs. Les visites costumées et théâtralisées des monuments entrent dans cette catégorie. – La troisième catégorie est celle du spectacle avec figuration, qui puise son sujet dans l’histoire des lieux et privilégie l’évocation visuelle avec figurants. Il s’agit encore une fois de représentation théâtrale mais à plus grande échelle dont il existe plusieurs exemples dans les sites historiques, comme à Provins. Cela rejoint un peu le parc à thème. – Enfin, la dernière catégorie correspond au Son et Lumière, qui est, selon Ebrard, à l’opposé des autres formes d’animations nocturnes dans la 135 mesure où il repose essentiellement sur le caractère unique d’un lieu exceptionnel. De plus, il doit être représenté chaque soir sur une longue période. Cette étude datant de 1998 et s’axant principalement sur les sites patrimoniaux est intéressante car elle suppose qu’il faut prendre en compte plusieurs points pour établir une typologie des nocturnes tels la durée de l’opération, son animation et son rapport au lieu. Il semble toutefois bon de la réactualiser en intégrant également les musées qui en étaient écartés. Ces quatre catégories semblent également un peu réductrices dans le sens où elles ne considèrent comme animation que ce qui relève d’un spectacle très visible. En procédant à un recoupement des diverses offres nocturnes à l’aide d’une recherche large sur internet, il a été possible d’établir des typologies de nocturnes qui dépassent ces catégories. Pour étudier les offres nocturnes il fallait établir une classification précise portant sur différents points. Les offres ont ainsi été classées suivant le lieu où elles se déroulaient, la période, le cas échéant l’évènement auquel elles se rattachaient, les médiations proposées et enfin la communication mise en place (voir annexe A). Ce tri permet de constater que les nocturnes se différencient déjà par leur fréquence qu’il est possible de regrouper en trois types : les nocturnes exceptionnelles qui n’ont lieu qu’une ou deux fois dans l’année ; les nocturnes estivales qui se déroulent pendant les mois d’été, à l’intérieur desquelles se trouvent celles qui ont lieu tous les jours de la semaine, les moins fréquentes, et celles qui n’ont lieu que le vendredi et samedi soirs ; enfin, les nocturnes annuelles qui se déroulent toute l’année, certaines étant mensuelles et d’autres hebdomadaires, donnant accès à des expositions temporaires ou permanentes. Ce premier classement par récurrence de l’offre semble bien diviser les nocturnes en celles qui sont exceptionnelles et celles qui deviennent habituelles. Ce sont ces dernières que la typologie d’Ebrard laissait de côté. 

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