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Les rencontres de jeunes luso-descendants (Portugal)

Espaces du communautaire : de l’association aux « communautés portugaises »

Cette recherche a acquis ses premiers contours dans le cadre dřune recherche ethnographique menée en 1998 au sein dřune association portugaise de la région parisienne83. Son groupe folklorique a constitué un terrain dřenquête privilégié pour la méthode de lřobservation participante, espace où plusieurs générations se réunissent en vue de partager une même expérience sociale et de transmettre une identité culturelle en situation migratoire. À lřorigine, groupe informel de solidarité entre primo-migrants, les associations portugaises se sont transformées à partir du milieu des années soixante-dix en un espace propre et multigénérationnel dřaffirmation et dřacquisition dřune identité collective, en proposant des activités aux différentes générations : enseignement de la langue portugaise, équipe de football, groupe folklorique.
Les activités de lřassociation portugaise de Brétigny-sur-Orge84 sont dispersées dans différents espaces de la ville. Un petit local, situé dans une partie résidentielle du centre ville, est mis à sa disposition par la municipalité. Il a lřallure dřun bistrot décoré des coupes gagnées par lřéquipe de football. En fin de semaine les hommes sřy rencontrent pour discuter, boire un verre, jouer aux cartes. Lřéquipe de football, indépendante de lřéquipe municipale, utilise les stades municipaux, tandis que le groupe folklorique se rassemble tout le long de lřannée pour des répétitions hebdomadaires, avec musiciens, chanteurs et danseurs, dans les différents gymnases de la ville, bien souvent excentrés. À travers une pratique hebdomadaire relativement contraignante, les jeunes, qui composent le groupe folklorique de lřAssociation récréative et de bienfaisance85, disent vouloir montrer quřils ne « renient » pas leur « origine », fondement de leur identité. Lřactivité folklorique (la musique et ses instruments, les chants, les danses et les habits qui la composent) fait sens en tant que symbolique dřun Portugal « authentique » et en tant que « tradition »86. Le Portugal symbolisé par le lieu dřorigine des aînés (grands-parents et/ou parents) y est idéalisé et le « retour » constitue une finalité dans de nombreux projets de vie professionnelle, même chez les jeunes87.
Cette enquête préliminaire soulevait un certain nombre de questions sur les pratiques de partage dřune expérience sociale et de construction dřune identité collective, dans un contexte à la fois dřéloignement dřavec le lieu dřorigine et de maintien de liens avec celui-ci. Sur quelles expériences de vie repose cette idéalisation dřun pays qui a pourtant été incapable de garantir une vie acceptable à leurs aînés ? Pour quelle(s) raison(s), vingt ans après lřémigration des parents, trente ans lorsquřil sřagit des grands-parents, la migration (le « retour ») semble-t-elle toujours de lřordre du présent ? Quelles sont les modalités de la relation à la culture transmise et au pays dřorigine ?
Cřest pour répondre à ces questions que sřest imposée lřidée de poursuivre ma recherche toujours dans lřespace associatif, mais cette fois au sein dřune association créée spécifiquement par des filles et fils de migrants portugais. Une collègue étudiante vivant dans le 11e arrondissement de Paris mřavait mis en contact avec la fille de sa gardienne dřimmeuble portugaise, étudiante en maîtrise de lettres et vice-présidente de quřelle désignait comme étant « la plus grande association de lusodescendants de France et d’Europe » : lřassociation Cap Magellan88. Créée en 1991, vingt ans après que lřAssociation récréative et de bienfaisance des Portugais de Brétigny-sur-Orge (1971), Cap Magellan constitue un espace de partage, de constructions et de revendications identitaires (stratégie de visibilité au sein de la société française, contrairement à lřentre-soi dřassociations traditionnelles) dřun même groupe dřâge, composé dřétudiants et de diplômés résidants à Paris ou dans sa périphérie89.

Cap Magellan : l’association des luso-descendants de Paris

Le siège de Cap Magellan se situe au premier étage dřun immeuble parisien du 4e arrondissement, à proximité du Centre national dřart et de culture Georges Pompidou : le lieu a été choisi pour son caractère « cosmopolite », parce quřil sřagit « d’un véritable carrefour au centre de la ville » (selon les mots du président de lřassociation). Le siège, une pièce centrale de 30 m², est meublé de multiples ordinateurs, dřune photocopieuse, de dizaines de cartons, de piles de CapMag – le magazine mensuel de lřassociation – et, de Guide Pratique du lusodescendant, Guide pratique de lřété, des monceaux de prospectus90. Des affiches de concerts de groupes pop-rock portugais ou de fado, organisés par lřassociation dans de grandes salles parisiennes (Olympia, Bataclan, Zénith), de lřExposition Mondiale qui a eu lieu en 1998 à Lisbonne, des cartes postales et le drapeau portugais décorent les murs. Association loi 1901 elle a pour but officiel de : … renforcer et développer les échanges entre la France et le Portugal, aux niveaux universitaires, professionnels, culturel et sportif ; mobiliser les jeunes lusophones et francophones pour la promotion de lřimage du Portugal en France et à lřétranger ; développer les échanges entre les jeunes lusophones résidant dans les pays de la C.E.E. »91.

Vue intérieure du siège de l’association Cap Magellan, Paris

Ces prospectus diffusent des informations de lřInstitut portugais de la jeunesse et du Ministère français de la jeunesse et des sports. On y trouve aussi le Guide étudiant à Paris édité par la Mairie de Paris, de la publicité pour les activités de lřassociation (concerts, programme radio, Supporters de la Sélection portugaise de football), et pour des discothèques portugaises de la région parisienne, pour une société de téléphonie et une banque portugaises installées en France.
Une première enquête de dix mois (en 2000) réalisée au sein de lřassociation, en y assurant une permanence secrétariat au rythme dřun après-midi hebdomadaire (envoi de courrier, aide à lřorganisation dřévènements) mřa permis de mieux percevoir le fonctionnement, lřorganisation et les activités de lřassociation, ainsi que de comprendre les motivations de ses membres dits « actifs » : une dizaine dřétudiants bénévoles et des salariés « emplois jeunes »95. Pendant cette période, jřai aussi recueilli des bribes de récits de vie, mais de façon éparse et informelle. Cřest seulement plus tard que jřai pris conscience du peu de notes que jřavais alors consigné dans mon carnet de terrain. Jřobservais la manière de partager une expérience commune, celle de jeunes Franco-Portugais (ou Français dřorigine portugaise), et de se réapproprier un héritage, en le valorisant, qui mřinterpellait intimement96.
Un travail dřenquête plus systématique, mené jusquřà la fin 2003, a eu pour objectif de mřimprégner du discours identitaire et de collecter des récits de vie dřindividus engagés dans ce projet associatif, par le biais dřentretiens, plusieurs fois complétés, avec des membres actifs – dont Anne-Marie, David, Michel, Anabela, Christelle et Helder97 -, ainsi que dřautres adhérents – dont Paulo et Manuel. Une autre partie de lřenquête sřest focalisée sur lřanalyse des divers évènements, ceux organisés par lřassociation et ceux auxquels ses membres participent : rencontres régionales de jeunes luso-descendants (à Paris, Lyon, Strasbourg, Marseille) organisées autour de la thématique de « lřimplication des jeunes dans la vie associative » ; rencontre de luso-descendants organisée par des membres du Parti Social Démocrate portugais (PSD) en octobre 2000 à lřapproche des élections présidentielles portugaises98 ; soirées dans des discothèques portugaises, comme celle organisée à la Costa do Sol99 en juin 2000, pour le lancement de lřalbum du groupe de rappeurs La Harissa100 ; matchs de football de la coupe du monde et du championnat dřEurope, animés par la Torcida Juventude Lusitana101 de Cap Magellan ; manifestation à lřoccasion du Salon du Livre102 ; concerts dans le cadre des célébrations du Jour du Portugal, de Camões et des communautés portugaises (fête nationale portugaise) ; forum annuel « Études, Formations, Emplois, Culture, Société »103.
Le forum Cap Magellan, qui comptait plusieurs milliers de visiteurs, a été lřoccasion de mesurer la légitimité acquise par lřassociation auprès des institutions portugaises et françaises, à travers la présence des diverses personnalités institutionnelles portugaises et françaises (membres du gouvernement, maire de Paris et de Lisbonne) venues présider la cérémonie dřouverture ou de clôture. Ces forums permettent à lřassociation de mettre en avant des problématiques phares : lřavenir du mouvement associatif portugais en France, lřélaboration dřun réseau mondial de luso-descendants, les débouchées professionnelles de la langue portugaise, le « devoir de mémoire » de la « deuxième génération »104, qui légitiment lřexistence et lřampleur de la place prise par Cap Magellan au sein du réseau associatif portugais en France, ainsi que les appuis financiers obtenus. Ces évènements réunissent un nombre variable de participants, oscillant entre trente (pour la rencontre des dirigeants associatifs) et dix participants (rencontre sur le devoir de mémoire).
La rencontre des jeunes dirigeants associatifs organisée dans le cadre du forum, mřa permis de prendre contact avec des membres dřautres associations dirigées et/ou créées par des jeunes et appartenant, à lřinstar de Cap Magellan, au réseau national dřassociations de la Coordination des Communautés Portugaises de France (CCPF)105. Chaque année, le forum Cap Magellan mřa permis de mesurer les transformations de ce réseau associatif : ses activités, le renouvellement des cadres, lřévolution des liens avec les autorités françaises et portugaises, les conflits entre associations). Certaines des associations de la CCPF, principalement celles dirigées par des jeunes, étaient invitées à participer au forum, en y tenant un stand.
Le forum a été organisé annuellement à partir de 1992 à lřEspace Champerret (Porte de Champerret, Paris) et sřétend sur trois jours. Depuis la fin de lřenquête, il a été renommé « Lusophonie mode dřemploi », puis suspendu et intégré au forum Animafac (réseau français dřassociations étudiantes) et au Salon de lřÉducation de Paris (espace « je parle portugais », depuis 2005)

Le réseau associatif « jeune » de la Coordination des Communautés Portugaises de France (CCPF)

Il existe environ huit cent associations portugaises régies par la loi 1901, répertoriées en France et regroupées dans des fédérations ou collectifs régionaux et nationaux. La Fédération des Associations Portugaises de France (FAPF)106 et la Coordination des Communautés Portugaises de France (CCPF)107 étant les deux seules organisations dřenvergure nationale. Elles ont été créées entre 1985 et 1990 par des membres du Conseil des Communautés Portugaises de France qui a implosé à la même époque108.
Cřest par le bais des évènements les plus divers, organisés au sein de ce réseau associatif, que jřai rencontré ces jeunes dirigeants. Cřest par ce biais que jřai connu Saúl, membre fondateur de lřassociation La Caravelle dřOrphée (créée à Nantes en 1993 dans lřespace universitaire et à lřinitiative dřun festival de cinéma portugais), dans le cadre dřune rencontre européenne de luso-descendants, organisée au Portugal par la Coordination des Communautés Portugaises de France (CCPF). Jřai cherché à garder le contact avec lui, acceptant ses invitations à des bacalhoadas109 chez lui entre amis (des milieux du cinéma, littéraire et universitaire portugais de Paris), ainsi quřà des rencontres informelles dans des cafés parisiens et de Porto, région dřorigine de ses parents. Cřest en participant à une manifestation de dénonciation des massacres perpétrés par lřarmée indonésienne au Timor Oriental, une ancienne colonie portugaise, à laquelle Saúl mřavait conviée110, que jřai été présentée à Lionel, un membre du Cercle des Poètes de Langue Lusophone (créé en 1998 à Paris) et fondateur de lřassociation AccordřArt111. Jřai ensuite rencontré Lionel à de nombreuses occasions, à Paris, toujours dans des lieux publics (dont le café La Flamme, derrière les Champs-Elysées, Siège à Houilles, département des Yvelines (78), région Ile-de-France.
Siège à Aubervilliers, département de Seine-Saint-Denis (93), banlieue parisienne, puis dans le 20e arrondissement de Paris, et finalement, suite à des problèmes financiers, dans les locaux de Cap Magellan.
Le Conseil des Communautés Portugaises de France a été une sous-section nationale du Conseil des Communautés Portugaises (CCP), un organe consultatif auprès du gouvernement sur les questions relatives aux émigrants, créé en 1980 par lřÉtat portugais et toujours actif.
Repas à base de morue (bacalhau).
Lřassociation française Agir pour Timor nous avait été présentée à Olhão (Portugal), lors de la rencontre européenne de luso-descendants ; son président est un ancien dirigeant de la CCPF.
Cette association a pour objectif « la création et la promotion artistique et culturelle en générale (notamment lusophone), ayant comme maître mot la fusion : fusion interculturelle et intercommunautaire, dans la quête de rapprocher progressivement les différentes cultures et ethnies présentes en France » fréquenté, dřaprès lui, par dřautres « jeunes Portugais du 16ème »), jamais à son domicile, la loge de concierge de ses parents. Lionel me contacte pour échanger autour de son mémoire de maîtrise112, mais aussi pour mřinviter à assister à lřémission musicale quřil anime à radio Alfa (radio portugaise commerciale de la région parisienne créée en 1987, dont les studios se trouvent dans une zone industrielle de la ville de Créteil), à des concerts organisés par lřassociation AccordřArt, ou encore à un récital de poésie des membres de lřassociation du Cercle des Poètes de Langue Lusophone (dans le cadre du Festival de théâtre de la CCPF).

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