Les stades du développement de la compréhension des émotions

Le langage musical

« Tant le langage que la musique sont des caractéristiques de l’espèce humaine qui semblent à la fois universelles à tous les humains et spécifiques aux humains. Dire du langage et de la musique qu’ils sont universels, c’est dire que les êtres humains ont une aptitude générale à acquérir une compétence linguistique et musicale.!» (Sloboda, 1985, p. 32). La musique serait donc, selon Sloboda (1985), une sorte d’aptitude innée chez les êtres humains. Ce qui relie la compétence musicale à la compétence linguistique, c’est le fait que les deux soient des moyens vocaux. Cette aptitude pourtant commence avant même la naissance de l’enfant. Gratier (2007) nous dit que différents chercheurs ont montré « qu’in utero le foetus connaît déjà les rythmes et les inflexions de la voix de sa mère. » (p. 48). En plus de cela, le bébé comprend les émotions qu’on lui manifeste. Il comprend avant même de parler.

Et ces interactions non verbales ressemblent bien plus à la musique qu’au langage. D’ailleurs, Gratier ajoute que l’unité fondamentale de la communication s’appelle le « contour de vitalité ». (p. 49). Selon elle, ce sont des formes tracées par la voix et les gestes. C’est ainsi une sorte de vocabulaire de l’émotion. « Les formes de communication du bébé dans les premiers mois sont plus proches de la musique que du langage. » (Gratier, 2007, p. 49). Croset et Oppliger Mercado (2010) parlent d’un langage infra-verbal. Un langage dont la reconnaissance dépasse la compréhension des mots. Ce langage est véhiculé par le son de la voix, il est chargé de sens et d’émotions. Différents éléments composant la musique se retrouvent dans ce langage : l’intonation, les accents, le rythme, les variations d’intensité, les répétitions, les silences et l’articulation. Selon Agawu (cité par Pelet, 2012), chaque musique peut être vue comme un langage qui s’opère à l’aide d’unité dans un contexte culturel bien délimité. La musique peut donc être perçue comme un langage, mais un langage qui reste toutefois plein de subjectivité. Après avoir défini la musique comme étant un langage, nous avons choisi différentes composantes à ce langage.

La musique est faite de rythme, de hauteur, d’intensité, etc. que nous allons présenter. Existant de multiples définitions des composantes qui vont suivre, nous avons décidé de retenir celles que Croset et Oppliger Mercado (2010) définissent dans le lexique d’Amuse-Bouches ainsi que celles du Petit Robert (Rey-Debove & Rey, 2011). Le tempo C’est la vitesse d’exécution d’une oeuvre, d’une mélodie, d’un rythme. La structure rythmique reste toujours la même tout en étant jouée à des allures différentes. 9 Le rythme Le rythme, selon Croset et Oppliger Mercado (2010), est défini comme étant « l’alternance de temps forts et faibles ». C’est aussi « l’agencement des sons suivant leur intensité et leur durée ». (p. 49). En d’autres termes, nous pouvons dire que le rythme est l’élément de base de la forme musicale. Les nuances Il s’agit des différents degrés d’intensité (douceur ou force) que l’on peut donner aux sons. Ces degrés sont indiqués par des termes en général italiens, allant de pianissimo à fortissimo, et par des signes : crescendo et decrescendo, qui modifient les nuances. Le timbre Le timbre est défini comme étant le caractère, la qualité sonore et spécifique d’une voix ou d’un instrument. (Rey-Debove & Rey, 2011).

L’empathie

Dans la communication, nous avons parlé d’un aller-retour entre les partenaires. L’émetteur s’exprime (aller) et le récepteur, ou l’écoutant, va ensuite lui donner un feed-back sur ce qu’il a compris (retour). Nous allons nous intéresser de plus près à ce rôle d’écoutant, car nous avons constaté que l’écoute est une tâche complexe et que, soignée, elle peut être un bénéfice dans la communication. Comme nous l’avons lu dans Ecouter l’autre, tant de choses à dire (Vannesse, 1998), la langue hongroise n’a qu’un seul mot pour dire « écouter » et « se taire » (p. 14). En effet, pour écouter il faut se taire. Se taire dans le sens d’arrêter de parler, mais aussi se taire à l’intérieur. Arriver à un silence intérieur est une tâche difficile, car cela demande de se centrer sur son partenaire et non pas sur les pensées, les souvenirs ou les émotions que suscite en nous ce qu’il exprime. Il ne s’agit pas de se centrer sur ce qu’il dit et d’essayer de comprendre intellectuellement, mais de se centrer sur ce qu’il vit, de le rejoindre et de comprendre avec le coeur. En d’autres mots, Vannesse dit qu’écouter c’est se rendre disponible.

Se rendre disponible extérieurement de par sa présence physique, mais aussi intérieurement en étant prêt à peut-être entendre des choses loin de nos valeurs, loin de ce qu’on pense, tout en les accueillant. La meilleure manière d’être disponible c’est de se décentrer de soi pour se centrer sur l’autre. Se centrer sur autrui, le rejoindre, comprendre ce qu’il vit c’est ce que les auteurs nomment l’empathie. Selon la définition de Kinget (cité par Bellenger & Couchaere, 2007), elle consiste en la « capacité de vraiment se mettre à la place de l’autre, de voir le monde comme le client le voit » (p. 38). Pour Mucchielli, 1974 (cité par Bellenger & Couchaere), « l’empathie est un effort de connaissance de l’univers étranger et non une fusion affective ou re-création en soi-même des émotions d’autrui, ce qui obnubilerait toute lucidité. » (p. 52). Autant Bellenger et Couchaere (2007) que Faure et Girardet (2003) font la différence entre la sympathie et l’empathie. Face à quelqu’un qui souffre, notre premier réflexe serait plutôt d’imaginer ce que l’autre devrait faire pour aller mieux en nous basant sur notre propre vécu. (Faure & Girardet).

Ce réflexe-là est de l’ordre de la sympathie. Pour Bellenger et Couchaere, « la sympathie consiste à éprouver les émotions de l’autre sans nécessairement tenter de se mettre soi à sa place. » (p. 45). Comme nous l’avons compris, l’empathie serait justement l’inverse ; se mettre à la place de l’autre sans éprouver ses émotions, mais en se les représentant. Chaque individu est différent et nous ne sommes pas appelés à devenir l’autre. Cette posture permet d’être empathique avec tout le monde. Il est par contre plus difficile d’être sympathique avec tout un chacun, car la sympathie fait que nous réagissons à l’émotion de l’autre en ressentant la même que lui. Il y a donc un attachement qui se crée entre les personnes, mais qui n’est pas possible avec tout le monde.

Dans leur ouvrage, Bellenger et Couchaere (2007) définissent différents niveaux d’exercice de l’empathie que nous trouvons intéressants à relever. Il y a la conscience empathique, l’attitude empathique et le comportement empathique. La conscience empathique se rapporte à l’état d’esprit. Dans toute communication, les personnes doivent essayer de prendre en compte les émotions que l’autre ne manifesterait pas forcément. Ce niveau d’empathie nécessite un travail sur soi-même, car c’est avant tout en apprenant à se comprendre soimême que nous pourrons comprendre les autres, leurs émotions et anticiper leurs réactions. Une fois le niveau de conscience empathique intégré, les individus sont en mesure d’avoir une attitude empathique. Les auteurs la définissent ainsi : « Avoir une attitude empathique, c’est manifester l’intention d’écouter et de chercher à comprendre les sentiments et les émotions d’autrui. L’attitude empathique vise en général à favoriser l’expression de l’autre sur ses ressentis. » (p. 48). Pour ce faire, il convient, comme déjà dit plus haut, d’être disponible intérieurement afin d’être réceptif aux émotions de l’autre. De plus, il est nécessaire de pouvoir identifier la nature des émotions (joie, tristesse, colère, peur). Les auteurs mentionnent également qu’il faut faire preuve de lucidité pour comprendre la cause d’une émotion. Étant donné que nous ne l’avons pas vécue nous-mêmes, nous devons donc nous la représenter, en nous aidant éventuellement de notre vécu personnel. Au-delà de comprendre l’autre, nous pouvons aussi avoir envie de partager quelque chose avec lui. C’est en adoptant un comportement empathique que Bellenger et Couchaere (2007) pensent pouvoir y arriver. Le comportement empathique implique la décentration de soi, car les auteurs écrivent que « c’est la capacité et l’effort de se mettre à la place de l’autre. » (p. 49). Il faut toutefois être conscient que même en nous décentrant, nous restons toujours nousmêmes ; il n’est pas possible d’être complètement l’autre. C’est malgré tout l’effort de se mettre à la place de l’autre qui permet de se rapprocher de lui et de partager quelque chose avec lui.

Les concepts dans notre dispositif et dans la prescription

Maintenant que nous avons présenté nos concepts de manière théorique, voyons plus concrètement leur place dans notre dispositif « Je m’exprime » tout en sachant que son déroulement sera détaillé dans le chapitre 3. En appui aux concepts, nous allons également nous référer au Plan d’Etudes Romand (PER, 2010) qui est un texte prescriptif fixant les objectifs de l’école obligatoire romande. Ceci pour permettre de percevoir la cohérence de notre dispositif au sein de la classe. Pour reprendre le concept du langage musical, son intérêt est fondamental étant donné qu’il est l’outil de base de notre dispositif. Dans le PER, nous retrouvons le langage musical pour « représenter et exprimer une idée, un imaginaire, une émotion en inventant des ambiances sonores librement, en choisissant les sons et les rythmes, ainsi qu’en choisissant les possibilités des différents instruments. » (A11 MU ; composantes 1, 2, 3). Nous pouvons donc comprendre la logique de ce concept dans nos moments « Je m’exprime ». En ce qui concerne la communication, nous avons constaté dans nos stages que son apprentissage n’est pas aussi explicite que le sont par exemple, les mathématiques ou le français. Salomé (1993) dit qu’ « il est possible d’apprendre à communiquer grâce à quelques repères » (p. 27).

Il propose par exemple de créer « un lieu de parole et d’échange à l’intérieur duquel tout pourra se dire, tout pourra être entendu. » (p. 29). Il suggère également d’utiliser un outil, en l’occurrence le bâton de parole, afin que la personne le possédant puisse s’exprimer librement sans être interrompue. Sa démarche ressemble fortement à celle que nous avons choisi de mettre en oeuvre dans notre dispositif « Je m’exprime », en remplaçant simplement le bâton de parole par un instrument à percussion et donc le langage verbal par le langage musical. Dans le PER, la communication est une capacité transversale, cela signifie que nous la retrouvons dans toutes les disciplines. Nous sommes allées voir ce que nous pouvions trouver et retenir dans le cadre de notre dispositif. Il est dit : « La capacité à communiquer est axée sur la mobilisation des informations et des ressources permettant de s’exprimer à l’aide du langage musical, en tenant compte du contexte. » Du point de vue de l’émetteur, il est attendu qu’il « adapte un langage pertinent en tenant compte de l’intention, du contexte et des destinataires. » Quant au récepteur, il est attendu qu’il « adopte une attitude réceptive. » (PER, Capacités transversales ; la communication)

Table des matières

1. INTRODUCTION
2. PROBLEMATIQUE
2.1. REFLEXIONS ET ENJEUX
2.2. HYPOTHESES
2.3. CADRE THEORIQUE
2.3.1. Le langage musical
2.3.2. La communication
2.3.3. Les émotions
2.3.3.1. Définition
2.3.3.2. Les émotions de base
2.3.3.3. Distinction entre émotion, sentiment et humeur
2.3.3.4. Les stades du développement de la compréhension des émotions
2.3.4. L’empathie
2.4. LES CONCEPTS DANS NOTRE DISPOSITIF ET DANS LA PRESCRIPTION
2.5. QUESTION DE RECHERCHE
3. METHODE
3.1. TECHNIQUES
3.1.1. Indicateurs
3.1.2. Grille d’observation
3.1.2.1. Évolution de la grille d’observation
3.2. VALIDITE DE LA METHODE
3.3. MISE EN PLACE DU DISPOSITIF
3.3.1. Travail préalable au dispositif
3.3.1.1. Travail sur les percussions
3.3.1.2. Travail sur le langage musical
3.3.1.3. Travail sur les émotions
3.3.2. Planification et déroulement type d’un moment « Je m’exprime »
4. RESULTATS
4.1. LES EMOTIONS
4.1.1. Expression, verbalisation et cause de l’émotion
4.1.2. Empathie
4.2. CHOIX DES INSTRUMENTS A PERCUSSION
4.2.1. Émotions et percussions
4.3. LE LANGAGE MUSICAL
4.4. LA DUREE
4.5. INTERET A S’EXPRIMER
5. DISCUSSION
5.1. LES EMOTIONS
5.2. L’EMPATHIE
5.3. LA MUSIQUE
5.3.1. Le choix des instruments
5.3.2. Le langage musical
5.3.3. La durée de l’expression de son émotion
5.4. LE DISPOSITIF « JE M’EXPRIME »
5.4.1. L’intérêt des élèves
5.4.2. La régularité
6. LIMITES ET LES PERSPECTIVES
6.1. LES LIMITES
6.2. LES PERSPECTIVES
7. CONCLUSION
8. REMERCIEMENTS
9. REFERENCES
10. ANNEXES

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