Les techniques de différenciation employées et les types d’hétérogénéités visés

La naissance de la pédagogie active

Au vu des divers types d’hétérogénéité, la différenciation de la pédagogie semble être une condition sine qua non à l’enseignement d’aujourd’hui. Jean-Paul Donckèle (2003) stipule que la pédagogie différenciée n’a pas toujours été mise en oeuvre. Il y a eu tout d’abord le préceptorat initial, momentané et successif, qui a laissé place ensuite à la simultanéité de l’enseignement. Prenons l’exemple de la France. L’honorable volonté de J-B. la Salle au XVIIe siècle pousse ses frères à enseigner gratuitement aux enfants du peuple. Le maitre s’intéressant alors à tous les élèves, impose une égalité de conduite pour obtenir le respect et la soumission de tous. L’illusion groupale continue avec Jules Ferry au XIXe siècle qui rend obligatoire et gratuite l’école de la République. Dans ce système, l’hétérogénéité de la classe n’est pas prise en compte. Dès la fin du XIXe siècle, des courants pédagogiques s’opposent à l’enseignement magistral et transmissif du maitre à l’élève. Ils sont regroupés ensuite par Adolphe Ferrière en un mouvement d’Éducation nouvelle. On l’appelle aussi l’école active (Krüttli, 2009).

C’est un courant pédagogique centré sur l’enfant acteur de sa propre formation. Des pédagogues tels que Cousinet, Ferrière, Montessori et Freinet prennent en compte les rythmes de développement des enfants et prennent ainsi un rôle dans la mise en place de cette pédagogie nouvelle. Freinet est à l’origine des méthodes actives pour les enfants des milieux populaires et ruraux. Il a inventé des techniques centrées sur l’apprenant. Il avait l’ambition sociale de créer une école populaire et de former des citoyens-penseurs en abandonnant la scolastique. Peyronie (2001) souligne la notion de technique pour Freinet car un matériel était obligatoirement sous-jacent. En effet, Freinet affirmait la nécessité d’un matérialisme pédagogique. D’autres pédagogues ont un impact important sur la pédagogie active. Decroly instaure la méthode des centres d’intérêts dans l’organisation de l’enseignement. Pakhurst et Wathburne prônent l’enseignement individualisé. Montessori laisse chaque enfant expérimenter l’enthousiasme d’apprendre selon son propre choix.

Le plan de travail individuel

Freinet instaure le plan de travail hebdomadaire dans le but de rendre les enfants autonomes et dans un souci d’organisation au niveau matériel. En les poussant à prévoir leurs activités, il les incite à créer et mener à bien leurs propres projets. Actuellement, Connac (2009) définit le plan de travail comme suit : Support aux activités personnalisées dans la classe, à destination de chaque élève, le plan de travail est un document à partir duquel élève et enseignant s’entendent sur un parcours d’apprentissages résultant de la combinaison entre les choix de l’élève, ses capacités, les ressources de la classe, les obligations scolaires définies par l’enseignant. En fin de semaine, un bilan est effectué avec l’enseignant ; il détermine en partie le plan de travail suivant (p.325). Le plan de travail permet de prendre en compte l’hétérogénéité de la classe en personnalisant les apprentissages pour autant que l’enseignant propose des activités collectives et la possibilité pour l’élève de faire des choix dans les ressources proposées. Le plan de travail permet de faire varier les difficultés, les supports, les rythmes. La gestion de l’hétérogénéité des compétences cognitives peut être alors facilitée. De plus, le plan de travail prend appui sur le concept de Zone Proximale de Développement de Vygotski (Vermée, 2010), donc la motivation de l’élève s’accroit s’il est mis en capacité de réussir.

Les différents types de groupe

Les enseignants qui ne pratiquent pas cette technique dans leur enseignement mettent en cause les effets du groupe tels que le conformisme d’opinion et de comportement des membres qui le constituent (Donckèle, 2003). Or, ces effets se manifestent lors d’une situation que l’on ne pourrait nommer « travail de groupe », mais plutôt « travail d’un rassemblement de personnes isolées ». Il existe plusieurs types de groupe : le groupe primaire, le regroupement, la bande, la foule et le groupe secondaire. Pour cette recherche en enseignement, on parle de groupe primaire. Cooley (1909) définit le groupe primaire comme une association et une coopération intime. Le but du groupe devient alors le but de chaque individualité. Il décrit cette fusion comme un « nous ». Cette conception engendre des groupes d’affinités dans lesquels de forts liens sont créés. Donckèle (2003) stipule que cette catégorie de groupe n’est pas toujours favorable à l’apprentissage car au lieu de provoquer conflits cognitifs et argumentations, il laisse place à la confirmation des croyances initiales.

En effet, le groupe préfère se tourner vers une croyance collective afin de ne pas engendrer une dispute pouvant briser l’association des membres. La dispute affective étant évitée, la cohésion de l’ensemble est assurée. Le groupe primaire se manifeste sous une deuxième forme : le travail d’équipe (Donckèle, 2003). Ce concept ajoute au groupe primaire la convergence des compétences afin de viser un objectif commun. On différencie les tâches et les rôles de chacun afin d’aboutir à une production commune. Le risque ici est de privilégier cette production au détriment de l’apprentissage. De plus, la répartition des tâches valorise les membres les plus compétents. Leurs compétences s’accroissent alors que celles des autres, moins impliqués dans la production, stagnent. Freinet disait qu’il fallait donner un sens au savoir par une activité collective tout en veillant à la progression et aux apprentissages de chacun (Meirieu, 2001). Pour contrebalancer les dangers du travail de groupe, il a introduit les brevets individuels et les plans de travail.

Devis de recherche Rappelons la question de recherche : Quelles techniques de différenciation utilisent les enseignants du primaire afin de gérer l’hétérogénéité de leurs élèves ? Mon devis de recherche consiste en une étude descriptive mixte. Mon but est d’éprouver les intentions des enseignants quant à l’utilisation d’une technique plutôt qu’une autre afin de prendre en compte l’hétérogénéité des élèves de leur classe. Je m’appuie sur les réponses récoltées par un questionnaire et sur mes observations, deux outils que je décris par la suite. Quatre types d’hétérogénéité sont retenus : l’hétérogénéité des compétences cognitives, l’hétérogénéité des appétences scolaires/motivations, l’hétérogénéité culturelle, l’hétérogénéité sociale. L’hétérogénéité des compétences cognitives et l’hétérogénéité des motivations paraissent évidentes au sein d’une classe, ce qui justifie leur place dans mon étude et donc dans le questionnaire. De plus, dans un collège accueillant des populations immigrantes et dans une société actuelle pouvant refléter de grandes différences économiques et sociales, il me semble intéressant d’interroger les enseignants sur leur prise en compte de l’hétérogénéité culturelle et de l’hétérogénéité sociale.

J’ai décidé de ne pas poser de questions sur l’hétérogénéité du genre et sur l’hétérogénéité des âges pour diverses raisons. Tout d’abord, il semblerait que le fonctionnement cognitif soit le même pour les filles et les garçons. En outre, à l’époque de l’école mixte où aucune discrimination ni prédestination ne veut être faite, on n’encourage pas les enseignants à faire une distinction entre les élèves filles et les élèves garçons dans leur enseignement. Néanmoins, l’évaluation des cours d’éducation physique est souvent différenciée selon le genre. Ensuite, il me parait difficile de questionner les enseignants sur l’hétérogénéité des âges car ces derniers sont confrontés à des élèves de même classe d’âge. Il peut y avoir des élèves redoublants, mais ils sont très peu représentés. Parallèlement dans le questionnaire, les enseignants sont interrogés sur quatre techniques : le tâtonnement expérimental, le contrat, le plan de travail individuel et le travail de groupe. Ces techniques de différenciation sont celles que j’ai pu majoritairement observer en classe. Je souhaite aussi connaitre les autres techniques de différenciation que les enseignants mettent en oeuvre. Je réaliserai enfin un questionnement plus approfondi sur le travail de groupe pour connaitre le rapport qu’ont les enseignants avec cette technique.

Autres techniques de différenciation employées

Les enseignants sont interrogés sur la mise en place d’autres techniques afin de gérer l’hétérogénéité de leurs élèves. L’étude révèle qu’environ 60% des enseignants utilisent d’autres techniques et dispositifs de différenciation dans leur classe que ceux proposés dans la recherche. La question limite les enseignants à deux éléments de réponse. Le tableau suivant (Tableau 3) regroupe les dispositifs énoncés. Onze enseignants affirment utiliser d’autres techniques de différenciation. Ils proposent neuf dispositifs différents. On voit bien ici que les techniques proposées dans le questionnaire ne sont pas les seules utilisées par les enseignants en terme de différenciation pédagogique. La réponse la plus fréquemment donnée est celle impliquant l’aide d’un pair. C’est un dispositif qui s’apparente au tutorat, dont les statuts tuteur-tutoré ne sont pas explicites. Cependant, un pair vient en aide à un autre car il a terminé sa tâche, et implicitement car il est plus performant pour la résoudre.

Comme on l’a évoqué dans le cadre théorique (Donckèle, 2003), on peut regretter le faible nombre d’interactions sociales dans le tutorat « individuel » car les élèves travaillent par deux. Baudrit (2000) quant à lui, craint la création d’une dépendance au tuteur par celui qui est aidé, et un mal-être apparent lorsque le tuteur n’a plus sa fonction. Vient en seconde position l’aide donnée par l’adulte expert (MCDI ou maitre d’appui). La différenciation effectuée consiste en une différenciation des structures, mais elle doit être associée à une différenciation des processus pour être efficace. Le MCDI ou le maitre d’appui va expliquer d’une manière différente, passer par d’autres chemins pour que l’élève comprenne. Si ce dernier bénéficie d’un programme adapté, il y a aussi une différenciation des contenus. En troisième et quatrième positions, sont placés les dispositifs qui permettent de différencier les contenus (barèmes et contenus différents pour élèves dyslexiques par exemple, tâches différentes, exercices supplémentaires, fiches de référence) ou les processus d’apprentissage (travail autonome avec autoévaluation, explications individuelles par l’enseignant, entretien avec l’enseignant hors activité).

Table des matières

1. Introduction
2. Concepts théoriques
2.1. L’hétérogénéité
2.1.1. L’hétérogénéité du genre
2.1.2. L’hétérogénéité des âges
2.1.3. L’hétérogénéité des appétences scolaires des motivations
2.1.4. L’hétérogénéité des compétences et savoirAfaire dans les différents domaines de connaissance et dans les processus d’apprentissage
2.1.5. L’hétérogénéité d’appartenance socioAéconomique
2.1.6. L’hétérogénéité culturelle
2.2. Pédagogie active et différenciation
2.2.1. La naissance de la pédagogie active
2.2.2. La pédagogie différenciée de nos jours
2.2.3. Les dispositifs de la différenciation
2.2.4. La différenciation l’individualisation et la personnalisation
2.3. Quatre techniques de différenciation
2.3.1. Le tâtonnement expérimental
2.3.2. Le plan de travail individuel
2.3.3. Le contrat
2.3.4. Le travail de groupe
Les différents types de groupe
L’organisation du travail de groupe
La communication et le retour réflexif dans le travail de groupe
Les interactions sociales dans le travail de groupe
3. Cadre méthodologique
3.1. Devis de recherche
3.2. Recueils des données
3.2.1. Le questionnaire
3.2.2. Mes observations
3.3. Population Ecible
3.4. Résultats
4. Analyse des résultats
4.1. Les techniques de différenciation employées et les types d’hétérogénéités visés
4.1.1. Le tâtonnement expérimental
4.1.2. Le contrat
4.1.3. Le plan de travail individuel
4.1.4. Le travail de groupe
4.1.5. Les types d’hétérogénéité visés
4.2. Autres techniques de différenciation employées
4.3. Synthèse
4.4. Gros plan sur le travail de groupe
4.4.1. Analyse en fonction des formes du travail de groupe
4.4.2. Analyse des résultats en fonction des hétérogénéités
4.4.3. Les objectifs des enseignants à la mise en place du travail de groupe outre l’hétérogénéité
4.4.4. Les effets inattendus du travail de groupe
5. Conclusion
6. Bibliographie
7. Annexes

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