L’État de droit comme corollaire du secret professionnel

Tout État qui se respecte est tenu de se présenter comme étant un État de droit conformément à une série de textes internationaux . En effet, l’État de droit apparaît comme une référence incontournable, au même titre que la démocratie et les droits de l’homme formant un triptyque inséparable . L’article 2 du TUE érige l’État de droit comme valeur commune à tous les États membres .

L’État de droit est garant des droits fondamentaux reconnus aux individus et fonde sa légitimité sur le droit plutôt que sur la force ou sur l’autorité d’un despote . La puissance de l’État est, dès lors, limitée par ces droits fondamentaux . L’article 2 du TUE garantit que toutes les autorités publiques agissent toujours dans les limites fixées par la loi, conformément aux valeurs de la démocratie et aux droits fondamentaux, et sous le contrôle de juridictions indépendantes et impartiales .

La Commission européenne ajoute que cette notion recouvre également « le principe de légalité, qui suppose l’existence d’une procédure d’adoption des textes de loi transparente, responsable, démocratique et pluraliste, ainsi que que les principes de sécurité juridique, d’interdiction de l’exercice arbitraire du pouvoir exécutif, de protection juridictionnelle effective assurée par des juridictions indépendantes et impartiales, de contrôle juridictionnel effectif, y compris le respect des droits fondamentaux, de séparation des pouvoirs et d’égalité devant la loi »  . Ces principes ont été confirmés par la Cour de justice de l’Union européenne (ci- après « C.J.U.E. ») et par la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après « Cour eur. D.H ») .

Partant, trois grands principes semblent caractériser l’État de droit dans un système démocratique : le respect de la hiérarchie des normes, l’égalité devant la loi et l’indépendance de la justice .

La CEDH et la Charte des droits fondamentaux de l’UE

Le secret professionnel de l’avocat constitue, selon notamment la Cour eur. D.H. « l’un des principes fondamentaux sur lesquels repose l’organisation de la justice dans une société démocratique » . Traditionnellement, le secret professionnel se définit comme « [l]’obligation, pour les personnes qui ont eu connaissance de faits confidentiels dans l’exercice ou à l’occasion de leurs fonctions, de ne pas les divulguer hors le cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret » .

Bien que la loi belge ne donne aucune définition ou fondement au secret professionnel, le secret professionnel de l’avocat trouve sa racine légale en droit européen dans les articles 6 et 8 de la CEDH . En effet, le secret professionnel de l’avocat est une composante essentielle du droit au respect de la vie privée (art. 8) et du droit à un procès équitable (art. 6), ce qui fût, par ailleurs, à nouveau, confirmé par la Cour constitutionnelle belge dans deux arrêts du 11 mars 2021 faisant référence à son arrêt du 17 décembre 2020.

Il est à noter d’emblée que la Cour constitutionnelle, dans ces trois arrêts susmentionnés, ordonne la suspension de dispositions des décret flamand et wallon ainsi que l’ordonnance bruxelloise qui ont pour objet la transposition de la directive DAC 6, dans l’attente d’une décision de la C.J.U.E. En effet, la Cour constitutionnelle, dans l’arrêt du 17 décembre 2020, pose une question préjudicielle à la C.J.U.E. concernant la compatibilité de ladite directive, relevant du droit de l’Union, avec le droit à un procès équitable et le droit au respect de la vie privée garantis par les articles 7 et 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE (ci après « la Charte »). Nous soulignons que l’article 7 de la Charte est fondé sur l’article 8 de la CEDH et l’article 47 de la Charte correspond à l’article 6, § 1 de la CEDH.

Cette question préjudicielle incluant la protection du droit à la vie privée est réjouissante car, jusqu’à présent et sauf omission de notre part, la C.J.U.E. a abordé le secret professionnel uniquement sur la base du droit au procès équitable et non sous l’angle de la protection de la vie privée, contrairement à la Cour eur. D.H. qui a déjà eu l’occasion de l’analyser sur base des deux garanties (à savoir les articles 6 et 8 de la CEDH) . Nous relevons, à titre exemplatif, que dans l’arrêt de la C.J.U.E. du 26 juin 2007 découlant d’une demande de décision préjudicielle portant sur la validité de l’article 2bis, point 5), de la directive du 10 juin 1991 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux, telle que modifiée par la directive du 4 décembre 2001, le débat n’a eu lieu que sur l’article 6 . D’ailleurs, certains auteurs regrettent que l’article 8 de la CEDH n’ait pas été analysé dans cette affaire . Cet arrêt découle d’un recours introduit par différents ordres des avocats tendant notamment à obtenir l’annulation de certains articles de la loi belge du 12 janvier 2004, modifiant la loi du 11 janvier 1993 transposant ladite directive de 2001, en ce qu’ils étendent aux avocats l’obligation d’informer les autorités compétentes lorsqu’ils constatent des faits qu’ils savent ou soupçonnent être liés au blanchiment de capitaux et celle de transmettre auxdites autorités les renseignements complémentaires que ces autorités jugent utiles. Selon les requérants, ces dispositions portent une atteinte injustifiée aux principes du secret professionnel et de l’indépendance de l’avocat, lesquels seraient un élément constitutif du droit fondamental de tout justiciable à un procès équitable et au respect des droits de la défense . Toutefois, la C.J.U.E. a considéré que ces obligations d’information et de coopération imposées aux avocats ne violent pas le droit à un procès équitable, tel qu’il est garanti par l’article 6 de la CEDH.

Le droit à un procès équitable

Le secret professionnel de l’avocat constitue la pierre angulaire du droit fondamental à un procès équitable fondé sur l’article 6 de la CEDH qui stipule que toute personne a droit à l’assistance d’un avocat . En tant qu’élément des droits de la défense, le secret professionnel est indispensable au fonctionnement et à la crédibilité de l’ensemble de l’appareil judiciaire . L’avocat fiscaliste et conseiller suppléant à la Cour d’appel de Bruxelles Thierry AFSCHRIFT invoque, à juste titre, qu’ « une justice devant laquelle les droits fondamentaux de la défense ne seraient pas respectés perdrait ce qui fait sa raison d’être, pour ne plus être qu’un instrument d’exercice du pouvoir » soulignant ainsi la nécessité de respecter les droits de la défense dans un État de droit . Il est à noter néanmoins que l’article 6 de la CEDH n’est pas applicable aux litiges fiscaux non pénaux. Toutefois, l’article 47 de la Charte garantissant également un droit d’accès à un tribunal ne se limite pas, contrairement à l’article 6, à des contestations relatives à des droits et obligations de caractère civil ou à des accusations en matière pénale . D’emblée, nous soulignons qu’en droit belge, le droit à un procès équitable est également garanti par un principe général de droit, en sus de la CEDH et de la Charte .

Table des matières

Introduction
Chapitre I. L’État de droit comme corollaire du secret professionnel
Section 1. La notion d’État de droit
Section 2. La CEDH et la Charte des droits fondamentaux de l’UE
1. Le droit à un procès équitable
2. Le droit à la vie privée
Chapitre II. Le secret professionnel
Section 1. Le cadre général
1. Au niveau européen
2. Au niveau national
Section 2. Le volet pénal
1. Le cadre général
2. Les éléments constitutifs
3. Les dérogations
Chapitre III. La Directive DAC 6
Section 1. Le contexte
Section 2. Les intermédiaires
Section 3. Les dispositifs transfrontières à caractère agressif
Section 4. Les informations à déclarer
Section 5. Le secret professionnel
1. Le cadre législatif
2. Les incompatibilités
3. Sous l’angle des justifications
A. Quant à l’obligation de communiquer l’identité de son client
a. Envers l’administration
b. Envers les autres intermédiaires
B. Quant à l’autorisation accordée par le client
C. Quant aux dispositifs commercialisables
D. Quant à l’absence de distinction entre les différents intermédiaires
E. Quant au parallélisme avec la législation anti-blanchiment
F. Quant à la détermination de la situation juridique
4. Sous l’angle de la base légale et de la proportionnalité
A. La base légale
B. La proportionnalité
Section 6. La sanction
Section 7. Les recours devant la Cour constitutionnelle
Section 8. En pratique
Conclusion

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