L’expression du déplacement en chaozhou

La présente thèse porte sur l’expression du déplacement en chaozhou, langue sinitique du groupe min, parlée principalement dans la province du Guangdong, au sud-est de la Chine. L’expression du déplacement mobilise des moyens linguistiques très divers, autant au niveau morphosyntaxique (groupes prépositionnel et verbal) que sémantique (rôles des éléments de la phrase). Le chaozhou est une langue sinitique et à ce titre, certaines observations rejoindront certains faits connus concernant le chinois standard. Mais l’expression du déplacement est aussi révélatrice de particularités du chaozhou. Cette étude a donc une portée typologique et révèlera des différences internes aux langues sinitiques demeurées jusqu’ici peu explorées.

La problématique du déplacement, et particulièrement celle de la trajectoire, intéresse vivement la recherche typologique pour la comparaison interlinguistique. Le déplacement dans l’espace est une activité humaine quotidienne mais cognitivement complexe que toutes les langues doivent exprimer. Notre travail s’appuiera bien sûr sur les travaux existants dans ce domaine, mais nous espérons qu’il enrichira à son tour la réflexion linguistique sur la diversité des stratégies d’expression du déplacement. La fiabilité de ce travail repose sur un corpus constitué avec l’aide de plusieurs locuteurs natifs d’âge et de professions différentes qui parlent diverses variétés de chaozhou (principalement celles parlées à Chaozhou et à Shantou) et sur la diversité de la nature des différents corpus.

La structuration de la phrase en ses constituants ne saurait rendre compte seule de la notion linguistique de trajectoire. L’information sur la trajectoire n’est pas portée par tel ou tel constituant (Fortis et Vittrant 2011 : 78). C’est le point de départ du projet Trajectoire qui a nourri notre réflexion et nous intéresse par son objet, mais aussi par sa méthode, car il  s’inscrit dans une approche fonctionnaliste. Dans son bilan sur l’état de la recherche sur la notion de trajectoire (path) Colette Grinevald (2011b : 44-52) commence par un exposé méthodologique qui permet d’appréhender sa démarche scientifique (au sein du projet Trajectoire) et de situer le cadre de l’étude sur la trajectoire qui suit cet exposé. A l’inverse de la «linguistique de bureau» («desk linguistics ») qui est essentiellement un travail de seconde main produit à partir d’une littérature linguistique existante, la méthodologie que préconise Grinevald vise à établir une typologie linguistique construite à partir d’études de terrain. Pour elle, il n’y a pas de relation hiérarchique entre théorie, typologie et description, ni cloisonnement entre elles. Au contraire, les trois domaines sont interdépendants et chacun tire parti des avancées des deux autres.

Nous souhaitons inscrire notre travail dans la démarche esquissée par Colette Grinevald (2011b : 49). Grinevald préconise d’élargir la description des langues en travaillant sur un domaine fonctionnel précis (2011b : 49) :

It might be worth reiterating and underlining, for “desk linguists” with no experience of fieldwork or linguists of major languages with extensive available linguistic material, that the data necessary for descriptions of the type sought here are not like flowers to be picked in a field, but the result of laborious work at constructing a description. Hence the felt need to develop typologically oriented ‘descriptive strategies’, in order to encourage the production of comprehensive descriptions of specific themes (here PATH) for a large variety of languages. These descriptive strategies need to be developed in the form of essays conceived in a typological approach, of the kind to be outlined here for the notion of PATH.

Précisément, nous souhaiterions que notre travail sur l’expression du déplacement en chaozhou s’inscrive dans cette stratégie descriptive et puisse contribuer à la typologie de l’expression du déplacement.

Notre travail s’inspire directement de l’approche fonctionnaliste et typologique décrite par exemple dans Grinevald (2011b : 44-52). Celle-ci repose sur une relation dynamique entre la stratégie descriptive («descriptive strategy ») et une typologie dynamique («working typology »). Chacune tire son sens de l’autre. Cette méthode typologico-fonctionnelle suppose comme point de départ un domaine fonctionnel particulier, en l’occurrence la Trajectoire dans l’étude citée, qui est également un domaine essentiel dans le présent travail, comme sous-domaine de l’expression spatiale. Elle est attentive aux stratégies expressives dans les contextes des discours. Considérant la complexité du matériau à étudier, elle préfère faire appel à des prototypes et des continuums plutôt qu’à des catégories discrètes. Enfin, elle est sensible à ce phénomène central dans la construction grammaticale qu’est la grammaticalisation, et au mouvement inverse de lexicalisation.

La stratégie descriptive mise en œuvre pour alimenter la typologie opérationnelle passe par cinq étapes qu’on peut ainsi résumer :

1. L’identification d’un domaine fonctionnel, sa définition ou sa délimitation, en l’occurrence la Trajectoire,
2. L’identification du système ou du sous-système linguistique qui permet de l’exprimer linguistiquement, en commençant par distinguer les sous-systèmes lexical et grammatical.
3. L’analyse fonctionnelle de ces systèmes et sous-systèmes, notamment par l’inventaire des éléments, leur catégorisation sémantique,
4. Le repérage des phénomènes de grammaticalisation ou de lexicalisation, l’étude de l’interaction des sous-systèmes (adpositions, verbes, etc.),
5. Cette approche interne aux systèmes ou sous-systèmes doit être complétée par un traçage de ces éléments dans d’autres domaines, ce que Grinevald appelle l’approche périscopique («periscope approach ») .

Table des matières

INTRODUCTION
Chapitre 1 Introduction générale
1.1 Une étude sur la trajectoire
1.1.1 Le domaine fonctionnel de la trajectoire comme objet de recherche
1.1.2 Objet de la thèse
1.2 Approche méthodologique et corpus
1.2.1 La méthodologie typologico-fonctionnelle
1.2.2 Le corpus
1.2.3 Présentation des données
1.3 Structure de la thèse
Chapitre 2 L’expression du déplacement : cadre théorique
2.1 La typologie de Talmy
2.1.1 Les événements de déplacement et les motion events de Talmy
2.1.2 La trajectoire
2.1.3 La deixis
2.1.4 Les modèles de lexicalisation (lexicalization pattern) de Talmy
2.1.5 La classification binaire de la typologie de Talmy
2.2 L’expression de la trajectoire
2.2.1 Les différents modes d’encodage de la trajectoire
2.2.2 Les verbes de trajectoire
2.2.3 Les satellites de trajectoire
2.2.4 Les adnominaux
2.3 Autres éléments encodés par le verbe
2.3.1 Les verbes de co-événement (co-event verbs)
2.3.2 La polarité des verbes
2.3.3 Classification des verbes de déplacement
2.4 Bilan du chapitre
Chapitre 3 Le chaozhou, une langue min parlée au Guangdong
3.1 La région de Chao-Shan (Guangdong) et sa langue
3.1.1 La région de Chao-Shan
3.1.2 La langue de la région de Chao-Shan
3.2 Le chaozhou, une langue sinitique de la famille min
3.2.1 L’évolution de la langue min à partir du chinois ancien
3.2.2 Les langues min
3.3 Le chaozhou, une langue min du sud
3.3.1 Phonologie
3.3.2 La morphologie
3.3.3 Le temps, l’aspect et le mode
3.3.4 La syntaxe
3.3.5 Le lexique
3.4 Travaux sur le chaozhou
3.4.1 Travaux antérieurs au 20e siècle
3.4.2 Travaux sur le chaozhou au 20e et au 21e siècle
3.5 Bilan du chapitre
CONCLUSION

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