L’histoire dans le second degré en France au prisme de l’immigration musulmane 

L’histoire dans le second degré en France au prisme de l’immigration musulmane 

En France, les questions de l’Islam et de la colonisation-décolonisation sont apparues au programme de l’histoire scolaire à partir du milieu des années 1970. Une étude fine de l’évolution des programmes d’histoire au second degré montre comment ces questions y ont été progressivement insérées. On s’intéresse ensuite à la façon dont les manuels d’histoire ont interprété les programmes pour en faire des leçons. Dans le cas de la guerre d’Algérie, les manuels ont peut-être servi de banc d’essai aux programmes Mots-clés : Islam, colonisation-décolonisation, histoire scolaire, programmes, manuels Summary In France, the subjects of Islam and colonizing-decolonizing were taught from the 1970’. First, the chapter examines the history syllabus, showing how it progressively included these subjects up to 2010. Second, it turns to the way history textbooks have interpreted the curriculum to provide lessons on these matters. As far as the Algerian war is concerned, textbooks could have been bench tests for the syllabus. Key words: Islam, colonizing-decolonizing, history, syllabus, textbooks « Le discours sur l’histoire conçue comme vecteur d’une mémoire dans laquelle puissent communier tous les Français » est plus vieux que la République en France, comme le montrent les travaux historiques sur l’enseignement de l’histoire (Garcia Leduc, 2003, p. 50-51, Bruter, 2007). Il remonte au moins à Guizot, qui écrivait : « L’histoire c’est la nation, c’est la patrie à travers les siècles ».

Il parlait de sa politique en ces termes : « J’avais à cœur de faire rentrer la vieille France dans la mémoire et dans l’intelligence des générations nouvelles ». Pour lui comme pour Lavisse un peu plus tard et pour les penseurs de l’école républicaine, l’histoire que l’on écrit et que l’on enseigne est un « opérateur de réassurance » nationale, elle associe intimement une visée cognitive et une finalité politique. Aujourd’hui, la modalité politique et tendue vers l’avenir de l’histoire enseignée officiellement n’est plus la même qu’à l’époque de Guizot ou de Lavisse. Elle est moins patriotique, elle inclut une part de critique et d’internationalisme, on le verra. Mais la dimension politique du curriculum, passant spécifiquement par l’histoire, demeure sensible. Cette part politique intégrée au projet d’enseignement de l’histoire dans les Etats-nations contemporains se laisse lire comme une variante du programme anthropologique de l’histoire tel que Koselleck nous a appris à le comprendre : l’histoire est toujours encastrée dans un « horizon d’attente » qui l’oriente essentiellement (Koselleck, 1990). Tous les Etats contemporains ont besoin d’assurer l’avenir par la « communalisation » nationale (pour reprendre le concept de Weber). Ils s’efforcent de favoriser celle-ci notamment par l’école publique. Et l’histoire est souvent une composante privilégiée du curriculum à cette fin. Dans cette perspective, la question se pose de saisir la façon dont l’histoire enseignée à l’école aujourd’hui en France fait une place aux transformations sociétales qui engagent l’avenir collectif.

C’est le cas notamment des flux migratoires post-coloniaux, qui ont renouvelé la population de la France. Combien sont les élèves issus de ces flux ? Leur taux moyen est mal connu, mais il est à coup sûr significatif et peut être localement très élevé. De plus, ces flux ont modifié l’imaginaire collectif du Nous, ils ont introduit un sentiment de pluralité culturelle inédite donnant naissance à des représentations ethno-raciales de la diversité interne de la société, et ce en décrochage marqué par rapport au principe d’invisibilité des appartenances non-politiques cher à la philosophie républicaine. Du coup ils instillent de l’inquiétude et du « problème » dans l’appréhension de l’avenir commun. Comment l’histoire enseignée prend-elle en compte ces transformations, comment amène-t-elle les élèves, tous les élèves, à faire sens de leur expérience de la pluralité sociale et spécialement du racisme, dont tous sont conscients à des titres divers ? Comment les prépare-t-elle à leur destin commun ?

Antoine Prost disait en 1984, lors du Colloque national sur l’histoire et son enseignement réuni par Alain Savary : « D’une certaine manière, l’histoire nous permet de cohabiter, de vivre ensemble et de former une collectivité. Son importance pour la nation vient des divisions mêmes de celle-ci » (Prost, 1984, p. 136). Cette réflexion prend tout son sens dans le contexte des flux migratoires post-coloniaux. Jacques Le Goff, alors président de la commission consultative sur l’enseignement de l’histoire, est encore plus explicite dans les conclusions du même colloque : « L’histoire de Lavisse et de Mallet-Isaac était celle d’une nation rassemblée autour de la conscience de son unité affirmée vaille que vaille, de la valeur universelle de son modèle. L’histoire de la France aujourd’hui doit assumer ses divisions du passé et du présent et, sans les gommer, montrer que cela n’empêche pas les Français de vouloir vivre ensemble » (Le Goff, 1984, p. 166).

 

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