L’histoire du management à partir de la Harvard Business Review

L’histoire du management à partir de la Harvard Business Review

La place de la Harvard Business Review par rapport aux autres revues de gestion

 La Harvard Business Review a été créée en 1922, soit 14 ans après la Harvard Business School. Dès l’origine, cette revue se voulait généraliste dans le traitement des problèmes de gestion (New York Times, 1922). Elle présentait l’avantage de répondre à trois critères : premièrement, s’intéresser à l’ensemble des sous-disciplines de la gestion ; deuxièmement, offrir un horizon temporel très important à l’aune de la discipline et enfin être une revue influente et donc représentative de la pensée managériale. Si nous reprenons les revues considérées comme les plus pertinentes pour une bonne publication en « politique d’entreprise » (« business policy ») selon 40 professeurs reconnus dans le domaine (MacMillan, 1991), nous remarquons que la HBR est la plus ancienne de ces revues (voir tableau ci-dessous). De même, les revues généralistes françaises n’offrent pas une telle étendue historique. La Revue Française de Gestion date de 1975, Gérer et comprendre de 1985 et Finance Contrôle Stratégie de 1998.Selon Web of knowledge, qui est un ensemble de bases de données donnant notamment les citations d’articles en gestion avec Social Science Citation Index (SSCI) et un ensemble d’indicateurs pour évaluer les revues avec Journal Citation Reports (JCR), la HBR est classée dans les catégories Business et Management, ce qui fait d’elle une revue généraliste dans le domaine de la gestion. Le classement des revues citant la HBR permet aussi de saisir l’importance de la revue dans le monde académique. Nous remarquons ainsi que l’une des revues qui cite le plus la HBR est Strategic Management Journal (SMJ). Elle est en effet la 4ème à la citer en 2004 et la 1ère en 1999. Cependant, afin de contourner le biais lié au fait que cette revue présente une bibliographie beaucoup plus importante que les autres, nous pouvons nous orienter vers le classement des revues que SMJ cite le plus : nous remarquons alors que la HBR figure en 9ème position pour l’année 2004. Si nous étudions le nombre de citations de la revue par les journaux de sa discipline, pour une année – ce que l’on appelle le score de contribution à la discipline, critère défini par Pichappan (1993) – nous remarquons que la HBR est classée au 6ème rang 118 en 2004. Nous avons étudié la catégorie générale « management » au sein de celles définies par le Journal of Citation Reports. Celle-ci regroupe des revues qui s’intéressent aussi bien à des problèmes de ressources humaines, de système d’information ou de stratégie. Dans le classement des revues en « business » – catégorie qui comprend aussi des revues en marketing –, la HBR est classée 7ème en 2004.

Une représentativité de la recherche en management

Une grande partie des articles publiés dans la HBR font suite à des demandes de la part de la rédaction (Lewis, 1979). Ces dernières bénéficient des conseils, apports et réseaux des professeurs de la Havard Business School (HBS) : « nos membres du comité de rédaction maintiennent des contacts étroits avec les responsables de département de la faculté (HBS), pour connaître ce qui se passe et pour trouver, soit un professionnel soit un académique, qui pourrait produire des articles pour nous » (Lewis, 1979). Il n’est ainsi pas étonnant que des articles de la HBR soient signés par des Professeurs de Harvard qui sont en passe ou qui viennent de publier un ouvrage. Nous pouvons ainsi citer les exemples de Porter (1990 ; 1979 ; 1985), Wheelwright et Hayes (1985), Clark et Fujimoto (1990), Kaplan et Norton (1992 ; 2006), Simons (1995) ou encore de Cooper (1996). La HBR peut avoir un effet de publicité pour l’ouvrage en question par le biais d’une mention de celui-ci dans l’article. Par exemple, dans l’article de Clark et Fujimoto (1990), nous trouvons la mention suivante : « leur nouvel ouvrage, Product development performance, va être publié au début de l’année 1991 par la Harvard Business School Press ». Parfois, les articles sont tirés d’ouvrages et cette information est mentionnée, comme pour de l’article de Wheelwright et Hayes (1985) ou celui de Kaplan et Norton (2006). Dans ce dernier cas figurait la phrase suivante : « cet article est tiré de leur dernier ouvrage, Alignment, à venir dans la Harvard Business 1 http://www.hbs.edu/news/releases/062906_levittobit.html. 122 School Press ». Nous pouvons ainsi voir un lien évident entre la HBR, la Harvard Business School Press, et la HBS, même si les articles de la HBR peuvent faire la promotion d’ouvrages publiés par d’autres maisons d’édition, comme dans le cas de l’article de Wheelwright et Hayes (1985). Sur le marché des idées en management, la HBR occupe ainsi une place enviable, eu égard aux liens étroits qu’elle entretient avec les professeurs de Harvard et avec la maison d’édition attenante. Nous avons évoqué dans la partie précédente la large diffusion des articles de la HBR. Celle-ci constitue également un instrument de diffusion des idées très estimé tant des chercheurs que des praticiens et en particulier des consultants, qui peuvent y trouver un moyen de légitimation auprès de leurs clients (London, 2003). La démarche de prospection des auteurs susceptibles de produire des articles considérés comme pertinents par le comité rédactionnel est très développée. Dans un éditorial de 1973 est évoqué le fait qu’un quart des articles proviennent de Professeurs de Harvard et que parallélement, des membres du comité rédactionnel se déplacent à travers les Etats-Unis à la recherche d’« experts » (Lewis, 1973a). Par ailleurs, la revue reçoit de nombreux articles non sollicités. En 1973, il a été estimé qu’ils représentent la moitié des articles publiés, sachant qu’un article sur 25 seulement est publié (Lewis, 1973a). La revue possède ainsi un fort pouvoir d’attractivité des auteurs, du fait de la relation étroite avec la HBS, de la recherche délibérée d’experts, ou encore de l’effet que peut avoir un article pour un consultant cherchant à faire connaître et à faire accepter ses idées. L’aspect représentatif du développement de la recherche en management peut être estimé à partir de l’ouvrage de Scheid (2005 [1980]) qui recense « les grands auteurs en organisation ». Evidemment, la notoriété des ces auteurs peut être considérée comme liée à la publication d’un article dans la HBR et plusieurs d’entre eux sont des chercheurs de la HBS. Dans cette partie, nous ne voulons cependant pas rechercher la cause de la notoriété de l’auteur d’un article de la HBR. Il s’agit d’appréhender dans quelle mesure cette dernière est représentative de la recherche en management. Dans le tableau figurant cidessous (n° 6), nous n’avons retenu que les publications originales. Ceci nous a permis d’exclure les rééditions d’articles dans la HBR.  

Une approche discutée de la gestion

En raison certainement de son influence et de son ambivalence entre revue académique et revue de vulgarisation, la HBR a fait l’objet de plusieurs études. Celles-ci ont montré une tendance à préférer l’approche analytique à l’approche systémique (Norgaard, 2001), une absence de neutralité politique (Spector, 2006), une rhétorique qui suggère une « publication plutôt idéologique que scientifique » (Yogev, 2001, p. 62) et enfin l’imbrication de « règles d’action » et de « projets de connaissance » au sein des articles qui les distingue d’articles scientifiques (Noël, 2006). Les journaux non scientifiques, économiques et financiers, s’intéressent également à cette revue, soit pour dénoncer des affinités entre sa rédaction et certaines personnalités du monde des entreprises (London, 2003 ; Pastin, 2002), soit pour évoquer la considération importante que lui porte le monde professionnel (Deschamps, 2006 ; Griffith, 1997 ; London, 2003). Spector (2006) étudie « le degré avec lequel les auteurs de la HBR ont eu une approche rationnelle et basée sur de l’empirique de la relation des hommes d’affaire avec le monde ou une approche idéologique selon les valeurs » (Spector, 2006, p. 275). Pour cela, il analyse 57 articles sur les 500 parus entre 1945 et 1960, au moment de la Guerre froide. Le choix des articles s’est fait en fonction de leur sujet. Ont été retenus ceux « pour lesquels les auteurs réfléchissent explicitement à la relation entre la pensée et la pratique managériale et les évènements mondiaux » (Spector, 2006, p. 275). La conclusion de l’auteur est que la HBR a délibérément promu l’idéologie de la Guerre froide durant la période étudiée. La revue a ainsi montré une vision « exagérée » du monde tel qu’il était. « En acceptant l’idéologie de la guerre froide sans critique, la HBR a failli à offrir une 125 compréhension et une analyse profonde et sérieuse d’un monde complexe » (Spector, 2006, p. 286). L’auteur remet ainsi en cause la capacité de cette revue à offrir des « savoirs actionnables » en raison de son penchant idéologique. 

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