L’influence des représentations sociales sur la production écrite des apprenants

Catégorisation et stéréotypes 

A chaque fois qu’un objet, un individu, un événement ou un phénomène se présente à nous, nous tentons de le cerner, de le comprendre et de le ranger au sein d’une catégorie avec laquelle il partage des traits communs. Il arrive même quelque fois que ceci se passe sans qu’on s’en rende compte, parce que le phénomène en question nous en rappelle un autre, ou bien parce que l’objet ou l’individu possède une ou plusieurs caractéristiques qui le place automatiquement dans une catégorie ou un groupe donné. Cette action dite de repérage ou de reconnaissance a pour base l’un des processus majeurs du fonctionnement cognitif des individus : la catégorisation. Catégoriser les objets est un moyen pratique de gérer la réalité. Ainsi, intégrer un objet nouveau ‘’B’’ dans une catégorie préétablie ‘’A’’, va nous permettre, par association comparative avec les objets déjà présents, de faire usage de l’expérience que l’on à de ‘’A’’ pour réagir à et maîtriser la nouveauté ‘’B’’. Ce processus simple, facilite l’intégration de la nouveauté et nous évite l’étude au cas par cas. Cordier et Dubois définissent la catégorie « comme un ensemble de dimensions descriptives dont les valeurs peuvent varier dans certaines limites » (1981, p. 307). Autrement dit, tel objet fait partie de telle catégorie si ses caractéristiques répondent aux dimensions descriptives de la catégorie, tout en respectant les limites de variations.
Ce phénomène a été mis en évidence par Tajfel et Wilkes en 1963. Pour eux, la catégorisation peut se définir comme un processus qui tend «à ordonner l’environnement en termes de catégorie : groupes de personnes, d’objets, d’événements…en tant qu’ils sont soit similaires, soit équivalents les uns aux autres…» (Tajfel, 1972, p. 272). C’est un processus cognitif qui traite des informations en relation avec l’environnement du sujet. Il a un caractère inductif (aller du particulier au général), puisqu’il permet de classer certains objets dans des groupes bien définis. Il a aussi un aspect déductif (aller du général au particulier), puisqu’il permet d’attribuer à ces mêmes objets, les caractéristiques de la catégorie à laquelle ils ont été assignés (Beauvois et Deschamps, 1990). Appliqué aux individus, le processus de catégorisation devient catégorisation social : il « rend compte de la division entre le NOUS et le EUX, entre le in-group et le out-group » (Deschamps, 1973, p.710), ce qui contribue à la construction de l’identité sociale. Les recherches de Tajfel et Wilkes ont démontré que l’une des conséquences de la catégorisation sociale réside dans l’accentuation des traits caractérisant les différents groupes. On assistera donc à une accentuation des ressemblances entre les membres d’une même catégorie et une accentuation des différences entre les membres de catégories différentes. Ce sont dès lors, les caractéristiques que nous attribuons à notre groupe d’appartenance qui permettent de nous percevoir comme semblables et ce sont celles là même, qui, lorsqu’elles sont confrontées à celles que nous attribuons aux autres groupes qui nous permettent de nous percevoir comme différents. Il est question ici d’accentuation des contrastes : on perçoit les différences entre membres de catégories différentes comme étant plus importantes qu’elles ne le sont réellement et d’homogénéité : on atténue les différences entre les membres à l’intérieur de la même catégorie.

Les représentations sociales 

La notion de représentation a été introduite pour la première fois par Emile Durkheim en 1895 sous le nom de « représentations collectives ». Pour lui, comprendre le fondement d’une société, c’est considérer la nature même de cette société et non celles des particuliers : « Les représentations collectives sont le produit d’une immense coopération qui s’étend non seulement dans l’espace, mais dans le temps; pour les faire, une multitude d’esprits divers ont associé, mêlé, combiné leurs idées et leurs sentiments ; de longues séries de générations y ont accumulé leur expérience et leur savoir. Une intellectualité très particulière, infiniment plus riche et plus complexe que celle de l’individu, y est donc comme concentrée » (Durkheim, 1912, p. 25-26).
Toujours selon Durkheim, il est inconcevable de séparer l’individu de la société dans laquelle il vit, il est donc impossible d’expliquer l’individuel par le social ou le social par l’individuel. Les phénomènes sociaux n’ont pas leur cause immédiate dans la nature de l’individu, c’est pour cela qu’ils doivent être considérés comme des choses , et comme extérieurs aux individus –observables, descriptibles, comparables- puisque la vie sociale ne peut être uniquement expliquée par des facteurs exclusivement psychologiques (états de conscience individuelle). « La société est une réalité sui generis ; elle a ses caractères propres qu’on ne retrouve pas, ou qu’on ne retrouve pas sous la même forme, dans le reste de l’univers. Les représentations qui l’expriment ont donc un tout autre contenu que les représentations purement individuelles et l’on peut être aussi assuré par avance que les premières ajoutent quelque chose aux deuxièmes». (Ibid.)
Après plusieurs années de latence, ce concept a connu un regain d’intérêt et ce dans toutes les disciplines : anthropologie, histoire, linguistique, didactique, psychanalyse, sociologie, psychologie sociale,… Mais c’est avec le psychosociologue Serge Moscovici que la notion de « représentation sociale » est reconnue comme outil fondamental dans l’étude de la relation entre l’individu et l’environnement dans lequel il évolue. Ce renouveau de la recherche s’est accompagné d’une transformation paradigmatique, les représentations collectives (au sens Durkheimien) ont été délaissées au profit des représentations sociales, nées de l’interaction individuelle et collective. Pour Moscovoci, «en reconnaissant que les représentations sont à la fois générées et générantes, on leur enlève ce côté préétabli, statique, qu’elles avaient dans la version classique. Ce ne sont pas les substrats, mais les interactions qui comptent […]. Il s’agit de comprendre non plus la tradition mais l’innovation, non plus la vie sociale déjà faite mais une vie sociale en train de se faire». (Moscovici, 1989, p. 81).

Caractéristique d’une représentation sociale 

Dans le tableau qui suit, extrait des travaux de D. Jodelet (1989, p. 60), nous allons aborder le schéma de base d’une représentation sociale considérée comme une forme de savoir pratique reliant un sujet à un objet. Plusieurs éléments de relations ont dès lors pu être établis : La représentation constitue le lien qui unit le sujet à l’objet. Il est question ici du « rapport de ‘’symbolisation’’, elle en tient lieu, et ‘’d’interprétation’’, elle lui confère des significations. Ces significations résultent d’une activité qui fait de la représentation une ‘’construction’’ et une ‘’expression’’ du sujet ». (ibid., p. 61).
Considérée comme forme de savoir, la représentation opérera une « modélisation » de l’objet de représentation.
Ce savoir sera par la suite qualifié de « pratique » en raison de l’intervention de l’expérience ainsi que des cadres et conditions dans lequel il est produit, puisque, rappelons-le, la représentation sert à agir sur le monde et sur autrui.
A la suite de ses recherches, et en stipulant que la représentation sociale est le « contenu mental d’un acte de pensée qui restitue symboliquement quelque chose d’absent, qui rapproche quelque chose de lointain», (ibid.), Denise Jodelet va proposer cinq éléments qui caractérisent une représentation sociale.

Différentes optiques pour une construction d’une représentation 

Passant du statut de concept à celui de théorie, la représentation sociale est à présent considérée comme l’outil indispensable à la compréhension et à l’analyse des comportements individuels et sociaux. Puisant ses origines en sociologie (Durkheim), elle s’établit et prend racine en psychologie sociale (Moscovici). Par la suite, plusieurs chercheurs se sont intéressés à cette théorie, on retrouve notamment des psychosociologues tels que Chombart de Lauwe (1971), Farr (1977, 1984, 1987) et Herzlich (1972), des anthropologues comme Laplantine (1978, 1987), des sociologues tel que Bourdieu (1982), des historiens comme Ariès (1962) et Duby (1978).
Cette multidisciplinarité va aider la théorie des représentations sociales à se préciser. Elle va permettre aux connaissances de se développer et au domaine de recherche de se cristalliser. Dès lors, des champs spécifiques et des optiques différentes se dessineront. Ces optiques, au nombre de six, sont autant de manières d’aborder la construction d’une représentation sociale. Une première optique s’attache à l’activité purement cognitive par laquelle le sujet construit sa représentation. L’aspect social lui est attribué par le biais de deux dimensions : la première est dite de contexte, « le sujet est en situation d’interaction sociale ou face à un stimulus social, la représentation apparaît alors comme un cas de la cognition sociale ». (Jodelet, 1984, p. 371). La deuxième est une dimension d’appartenance. Puisque le sujet est considéré comme sujet social, ses représentations sont liées aux « idées, valeurs et modèles qu’il tient de son groupe d’appartenance ou des idéologies véhiculées dans la société ». (Ibid.).
Une deuxième optique s’attarde sur les aspects signifiants de l’activité représentative, c’est-à-dire sur le travail individuel de production de sens. Etant un producteur de sens, le sujet « exprime dans sa représentation, le sens qu’il donne à son expérience dans le monde social ». (Ibid., p. 372). L’aspect social de la représentation est lié aux codes sociaux et aux valeurs reconnues par la société, en ce sens, elle peut aussi être considérée comme l’expression d’une société donnée. La représentation peut faire référence à une dynamique où intervient l’imaginaire quand celle-ci est commune aux sujets partageant la même expérience ou la même condition sociale.
Une troisième approche voit dans la représentation une forme de discours : ainsi, ses caractéristiques vont être associées à la pratique discursive des sujets socialement situés. C’est dans la communication que la représentation va puiser son caractère social, dans l’appartenance des sujets parlants et dans la finalité de leurs discours.
La quatrième optique se penche plus sur la pratique sociale du sujet. Considéré comme acteur social, occupant une position précise au sein de la société, le sujet va produire une représentation qui sera un reflet «des normes institutionnelles découlant de sa position ou les idéologies liées à la place qu’il occupe». (Ibid., p. 372).
Un cinquième courant met en évidence les relations intergroupes qui agissent sur la dynamique des représentations. En effet, c’est grâce à l’échange et au contact que les différents groupes modifient et font évoluer leur représentation des autres groupes, de leur membres et d’eux mêmes. « Le développement des interactions entre les groupes infléchit les représentations que les membres ont d’eux mêmes, de leur groupe, des autres groupes et de leur membres ». (Ibid.). Ce développement «mobilise une activité représentative destinée à réguler, anticiper et justifier les relations sociales qui s’établissent ainsi». (Ibid.).

Conditions d’émergence d’une représentation 

L’apparition d’un phénomène, sous-tend la présence au préalable, de conditions qui lui permettront de prendre place au sein de la société. Pour les représentations sociales, Moscovici (1961) a établi « les dimensions de la réalité sociale qui est associée à la production de la représentation sociale » en désignant trois conditions qui, conjointement, pourraient présider à son apparition :
La dispersion de l’information, qui comme son nom l’indique, concerne la diffusion et la propagation d’informations ou de renseignements. Relié directement à l’objet de la représentation, ce processus est le plus souvent déclenché quand les acteurs sociaux manquent de données objectives sur n’importe quel phénomène, qu’il soit scientifique, moral, culturel ou économique, du fait des différences de positions, de statut et de la complexité des individus. Dès lors, des biais et des distorsions sur sa définition en résultent et se propagent.
La focalisation qui est une procédure d’accentuation de certains traits d’un objet de représentation et d’occultation d’autres inadaptés au système de valeurs des acteurs ou des sujets. Elle conduit un groupe social à sélectionner les aspects qui correspondent à ses intérêts et qui donc déterminent sa position par rapport à l’objet. Une vision globale et complète de ce dernier est, dans ce cas, assez peu probable.
La pression à l’inférence qui vient compléter les deux conditions précédemment citées, se traduit par la nécessité de parvenir à une explication et à un code commun par rapport à des phénomènes et des objets de représentations. Elle se concrétise par des conversations et des formulations descriptives et évaluatives de l’objet, en interaction avec des membres de groupes sociaux. Le but de ces transactions verbales et cognitives est de parvenir à un accord sur le contenu de la représentation sociale et permet aux individus de combler les lacunes de leur savoir en reconstruisant en quelque sorte « sur le tas » une cohérence, réduisant ainsi la complexité de l’objet, ce qui conduit à sa maîtrise et facilite la communication entre les membres d’un groupe social.

Table des matières

Introduction générale 
Première partie : cadrage théorique
Chapitre n°1 : du concept à la théorie de la représentation sociale
Introduction 
1. Catégorisation et stéréotypes
2. Les représentations sociales
3. Caractéristiques d’une représentation sociale
4. Différentes optiques pour la construction d’une représentation
5. Condition d’émergence d’une représentation
6. Structure dynamique d’une représentation sociale
7. Théorie du noyau central
Conclusion 
Chapitre n°2 : Interactions sociales, représentations et production écrite
Introduction 
1. La place d la production écrite dans quelques méthodes d’enseignement
2. Aperçu historique des théories de l’apprentissage
3. La dimension sociale au cœur des apprentissages
4. Les représentations linguistiques
5. Représentations et attitudes : entre conceptions et comportements
6. Les représentations en didactiques
7. Le rapport à l’écriture
Conclusion 
Deuxième partie : Cadrage méthodologique et expérimentation
Chapitre n°1 : De leur représentation de la langue et de l’écriture
Introduction 
1. Présentation de la recherche
1.1 L’enquête
1.2 Les outils
1.2.1 Les questionnaires
1.2.2 Les entretiens
2. Résultats et analyse
2.1 Les questionnaires
2.1.1 Statut et utilisation de la langue française à l’oral
2.1.2 Statut et représentations de l’écriture en langue française
2.2 les entretiens
2.2.1 Résultats du groupe N1
2.2.2 Résultats du groupe N2
2.2.3 Résultats du groupe N3
Conclusion 
Chapitre n°2 : …A la réalité de leurs pratiques d’écriture
Introduction 
1. Aspects méthodologiques
1.1 L’expérimentation
1.2 La confection de la grille d’évaluation
2. Analyse des productions écrites
2.1 Plan pragmatique
2.2 Plan textuel : cohérence formelle
2.2.1 Structuration
2.2.2 Cohérence des systèmes des temps
2.2.3 La progression thématique
2.3 La cohérence énonciative
2.4 La cohérence sémantique
2.5 Le lexique
2.6 Plan morphosyntaxique
2.7 L’orthographe
3. Synthèse générale
4. Impact des RS sur la réussite/l’échec des apprenants en écriture
5. Quelques suggestions pour tenter de modifier les RS
Conclusion 
Conclusion générale 
Bibliographie 
Annexes

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