L’influence des stéréotypes de sexe sur les comportements de conduite déclarés et effectifs

Bien que depuis 1989 la loi prévoit l’enseignement de l’égalité hommes/femmes à l’école, et que depuis le 4 août 2014 la loi pour l’égalité entre les hommes et les femmes vise à combattre les inégalités dans les sphères privées, professionnelles, et publiques, il arrive que ces types de discours sexistes émergent dans des milieux aussi divers que le monde politique, du cinéma, du sport, ou de la publicité. Ces discours révèlent des croyances essentialistes des rôles des hommes et des femmes profondément ancrées dans notre société. De plus, ces discours et pensées ne semblent pas évoluer avec le temps puisque déjà Freud, lors de la première moitié du 20ème siècle, attribuait de façon essentialiste le rôle domestique et nourricier aux femmes et le rôle de pourvoyeur aux hommes. Ces différents rôles traditionnels attribués de façon stéréotypée aux hommes et aux femmes forment ainsi des repères qui sont au fondement de notre société et qui en constituent le principe organisateur. Le masculin et toutes les caractéristiques qui y sont associées sont ainsi considérés comme supérieurs au féminin et ses caractéristiques (Héritier, 2005), ce qui crée une asymétrie entre les sexes. En effet les hommes sont par exemple socialement décrits comme dominants et les femmes comme soumises (Bem, 1974, 1981, 1993; Deaux & Lewis, 1983, 1984; Fontayne, Sarrazin, & Famose, 2000; Gana, 1995; Kelling, Zirkes, & Myerowitz, 1976; Pomerantz & Ruble, 1998; Spence & Buckner, 2000; Spence, Helmreich, & Holahan, 1979; Williams & Best, 1990), et ce qui relève du masculin, tant en termes de comportements que d’activités, ne relève surtout pas du féminin (Ayral, 2011 ; Morin-Messabel & Ferrière, 2008).

La prégnance de ces stéréotypes peut avoir de lourdes conséquences puisque les femmes sont effectivement plus nombreuses à pratiquer des métiers et des activités associés de façon stéréotypée aux femmes (e.g., infirmière, danse) et les hommes à pratiquer des métiers et activités associés aux hommes (e.g., pilote, football) qui souvent donnent lieu à plus de responsabilités ou sont plus valorisés socialement. La prégnance de ces stéréotypes a également des conséquences en termes de représentation de ses propres compétences puisque les femmes « s’aventurant » dans des activités traditionnellement réservées aux hommes s’attribuent tout de même moins de compétences qu’eux (Marro & Vouillot, 1991). Ainsi, bien que la mixité se soit généralisée dans de nombreux domaines tels qu’à l’école depuis les années 1960, « (…) pour Mosconi (1994), la situation de mixité véhicule tout un curriculum caché qui, loin d’être neutre, est plutôt masculin neutre » (Morin-Messabel & Ferrière, 2008, p.13). Dans une société où la masculinité est valorisée, nous pouvons donc nous demander quelles sont les conséquences pour les femmes, tant en termes de représentation de leurs propres compétences que de comportements, d’une telle domination du masculin ? Cependant, les femmes ne sont pas les seules victimes de ces croyances stéréotypées. En effet, la prise de risques est de façon stéréotypée associée au masculin (Bem, 1981, 1983; Granié, 2013; Kelling et al., 1976) et les hommes représentent le plus haut risque démographique de mortalité précoce dans les pays développés (Kruger & Nesse, 2004). Les hommes sont plus enclins à prendre des risques, notamment des risques routiers, et cette surreprésentation des hommes dans les accidents de la route représente un problème de santé publique majeur.

«Tant qu’il y aura des hommes pour mourir sur la route, il faudra des femmes pour que ça change. 75 % des morts sur la route sont des hommes. Des hommes que nous connaissons, des hommes que nous aimons. Un mari, un compagnon, un fils, un père, un ami. La vitesse ne leur fait pas peur. La fatigue non plus. Et ce ne sont pas quelques verres au milieu du repas qui les empêchent de prendre la voiture. Ils conduisent bien. Ils maîtrisent. Ils le disent […]. »

(Marie Desplechin, 2012. Texte de la campagne de Sécurité Routière « Le manifeste des femmes », mars 2012) .

Les êtres humains, qu’ils soient hommes ou femmes, sont composés de quarante-six chromosomes : quarante-quatre appelés autosomes et deux appelés chromosomes sexuels. Les deux chromosomes sexuels des femmes sont des chromosomes longs nommés X, alors que les hommes possèdent un seul chromosome X et un chromosome incomplet nommé Y (Archer & Lloyd, 1985). Ainsi, au niveau chromosomique, seul le chromosome Y différencie les hommes des femmes. C’est pourquoi, afin d’étudier les différences de comportements entre hommes et femmes, les chercheurs se sont particulièrement intéressés au rôle que pouvait jouer ce chromosome Y. En effet, étant donné que ce chromosome n’est présent que chez les hommes, les caractéristiques déterminées uniquement par ce chromosome ne devraient se retrouver que chez eux (Owen Blakemore, Berenbaum, & Liben, 2009). Cependant, étant donné la difficulté à isoler les gènes pour les étudier indépendamment des autres facteurs, les chercheurs se sont concentrés sur les individus présentant des anomalies génétiques afin d’étudier le rôle du chromosome Y. Les chercheurs se sont par exemple intéressés aux individus présentant le syndrome d’insensibilité aux androgènes. Ces individus ont la particularité de présenter un caryotype (i.e., photographie de l’ensemble des chromosomes d’une cellule) XY mais, bien que possédant le matériel génétique masculin, leurs récepteurs aux androgènes dysfonctionnent, ce qui entraîne chez eux le développement d’un phénotype féminin (i.e., un corps de femme). De plus, au cours de leur développement ils sont élevés comme des femmes. Les études ont montré qu’en termes d’orientation sexuelle, de statut marital, de rôle de sexe, d’identité de genre , ces individus sont identiques aux femmes contrôles (Hines, Ahmed, & Hughes, 2003; Owen Blakemore et al., 2009; Wisniewski et al., 2000). Cela met donc en avant que le chromosome Y seul ne semble pas jouer de rôle majeur dans les comportements différenciés des hommes et des femmes puisque ces individus sont similaires aux femmes XX alors qu’ils possèdent un chromosome Y. Les chercheurs ont également voulu étudier les effets du chromosome X, notamment chez les femmes présentant un syndrome de Turner, c’est-à-dire celles ayant un chromosome X partiellement ou complètement absent. Ils ont ainsi pu montrer que ces femmes ont des habiletés cognitives, notamment en termes d’habileté spatiales et de compétences sociales, inférieures aux femmes ayant un caryotype normal XX (Ross, Roeltgen, & Zinn, 2006; Rovet, 1990). Cependant, ils concluent ne pas pouvoir s’assurer que ces différences sont dues uniquement au manque d’un chromosome X et non pas à d’autres facteurs tels que les hormones par exemple. Les différentes études menées sur les différences chromosomiques entre hommes et femmes montrent des résultats non systématiques et peu concluants dans l’explication des comportements différenciés entre hommes et femmes. Ainsi, les gènes à eux seuls ne semblent pas expliquer les différences de comportements entre hommes et femmes et il semblerait que d’autres facteurs tels que les hormones soient impliqués.

Chez les êtres humains, trois hormones sont impliquées dans le développement sexuel : la testostérone qui est la principale hormone sexuelle mâle générée par le chromosome Y, et les œstrogènes et la progestérone qui sont les principales hormones sexuelles femelles. Jusqu’à trois mois après la conception, l’être humain possède à la fois les canaux masculins et féminins, et c’est à ce moment-là que les hormones entrent en jeu dans la différenciation sexuelle. En effet vers trois mois les conduits masculins s’élargissent en présence de testostérone alors qu’en son absence ils dégénèrent et les conduits féminins s’élargissent (Goy & McEwan, 1980; Simpson, 1976, cités par Archer & Lloyd, 1985). Cette différence d’exposition à la testostérone entre les hommes et les femmes durant la vie prénatale aurait une influence sur la structure différente de leur cerveau (Bourgeois, 2008; Ravel, ChantotBastaraud, & Siffroi, 2004) et sur le déclenchement de la puberté. De plus, certaines études mettent en évidence un effet de cette exposition sur les comportements adultes (Archer, 2006; Auyeung et al., 2009; Udry, 2000) et suggèrent notamment que les hormones ont une influence sur les habiletés cognitives, visuo-spatiales, verbales, les activités motrices et exploratoires, la sensibilité tactile, l’agressivité, la personnalité, et les centres d’intérêts des individus (Bourgeois, 2008).

Afin d’étudier de façon plus spécifique l’influence des hormones sur les comportements différenciés des hommes et des femmes, certains chercheurs se sont concentrés sur des individus présentant des taux anormaux de testostérone et notamment sur les hommes eunuques (i.e., castrés) et les femmes atteintes d’hyperplasie congénitale des surrénales . Ainsi, Trivers (1972) suggère que plusieurs effets indirects de la testostérone peuvent potentiellement expliquer la plus grande espérance de vie des hommes eunuques par rapport aux autres (Trivers, 1972, cité par Archer & Lloyd, 1985). Concernant les femmes atteintes d’hyperplasie surrénale congénitale, exposées très tôt durant leur vie prénatale à des niveaux relativement hauts d’androgènes, il a été montré que, comparées à leurs sœurs ne présentant pas ce syndrome, elles ont de plus grandes habiletés spatiales et ce dès l’enfance. Elles sont également plus agressives, moins fertiles, moins intéressées par les enfants et le fait de devenir mère. Pendant l’enfance, elles sont également plus intéressées par les jouets traditionnellement réservés aux garçons (Berenbaum & Resnick, 1997; Berenbaum & Snyder, 1995; Leveroni & Berenbaum, 1998; Money & Ehrhardt, 1972; Resnick, Berenbaum, Gottesman, & Bouchard, 1986). Une étude a croisé leurs taux de testostérone avec le niveau de masculinité et de féminité des individus, c’est-à-dire leur niveau de conformité aux caractéristiques qui sont associées, de façon stéréotypée, aux hommes et aux femmes dans une culture donnée (Hurtig, 1982) . Elle a ainsi pu mettre en avant que les femmes ayant de hauts niveaux de masculinité sont celles qui ont un taux de testostérone plus important (Baucom, Besch, & Callahan, 1985).

Cependant, bien que les taux d’hormones et notamment de testostérone semblent expliquer les différences de comportements entre hommes et femmes, ces résultats, à l’instar de ceux concernant les différences génétiques, ne sont pas systématiques et sont donc à relativiser (Voracek, Pietschnig, Nader, & Stieger, 2011). Ainsi, un autre courant de recherche postule que ces comportements différenciés pourraient être le résultat des évolutions que l’espèce humaine a subi au cours du temps afin de pouvoir survivre aux changements : c’est la perspective évolutionniste.

Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE 1. LES DIVERSES PERSPECTIVES EXPLIQUANT LES DIFFERENCES DE SEXE
1. LES PERSPECTIVES BIOLOGIQUES ET EVOLUTIONNISTES
1.1 La perspective biologique
1.1.1 Les différences génétiques
1.1.2 Les différences hormonales
1.2 La perspective évolutionniste
1.3 Limites des perspectives biologiques et évolutionnistes
2. LA PERSPECTIVE PSYCHOSOCIALE
2.1 Passage du sexe au genre
2.2 Liens entre genre et stéréotypes
2.3 Les caractéristiques du genre
2.4 L’évolution de l’étude du genre
2.5 Le genre dans l’étude des comportements différenciés entre hommes et femmes
CHAPITRE 2. LES STEREOTYPES
1. DEFINITION, CARACTERISTIQUES ET FONCTIONS
1.1 Définition
1.2 Caractéristiques
1.3 Fonctions
1.3.1 La fonction sociocognitive des stéréotypes
1.3.2 La fonction socio-affective des stéréotypes
1.3.3 La dimension explicative des stéréotypes
2. LA DIFFUSION DES STEREOTYPES
3. DISTINCTION ENTRE ADHESION ET CONFORMITE AUX STEREOTYPES
3.1 L’adhésion aux stéréotypes
3.2 La conformité aux stéréotypes
4. RELATIONS ENTRE DIFFERENTES NOTIONS
4.1 Stéréotype et catégorisation sociale
4.2 Stéréotype et représentation sociale
4.3 Stéréotype et préjugé
5. L’IMPACT DES STEREOTYPES
5.1 L’intériorisation des stéréotypes
5.1.1 Le sentiment de compétence
5.1.2 La diminution de l’effort
5.2 La menace du stéréotype
5.2.1 Définition
L’étude princeps de la menace du stéréotype
5.2.2 Les caractéristiques de la menace du stéréotype
5.2.3 Facteurs influençant la menace du stéréotype
5.2.3.1 La conscience du stigmate
5.2.3.2 Le degré d’identification au groupe
5.2.3.3 Le degré d’identification au domaine
5.2.3.4 La difficulté de la tâche
5.2.4 L’impact de la menace du stéréotype
5.2.4.1 Les pensées interférentes
5.2.4.2 L’anxiété
5.2.4.3 Les attentes de performances
5.2.4.4 Les stratégies d’auto-handicap
CONCLUSION

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