L’Instituto Nacional de Cinema (l’INC)

L’Instituto Nacional de Cinema (l’INC)

Nous avons déjà mentionné à plusieurs reprises dans ce travail l’existence, notamment (mais non exclusivement) à partir de la création de la Companhia Cinematográfica Vera Cruz en 1949, de deux groupes différents et opposés au sein de la classe cinématographique brésilienne, particulièrement entre les producteurs, les réalisateurs et certains critiques. Conséquence directe des débats esthético-idéologiques de l’époque, d’un côté il y avait les nationalistes, qui cherchaient un cinéma typiquement brésilien dans la forme et dans le contenu et étaient normalement de gauche, de l’autre, il y a avait les cosmopolites (ou universalistes) qui défendaient l’existence d’un cinéma international et étaient invariablement des libéraux. Les seuls points de convergence entre les deux groupes concernaient la création, la valorisation, le développement et la préservation d’une industrie cinématographique brésilienne, ce qui fut, néanmoins, constamment oublié par les conflits idéologiques. La création de l’INC en novembre 1966 par l’État conservateur a ranimé cette querelle. L’INC est le remaniement d’un projet commandé en 1952 par le président Getúlio Vargas à un groupe coordonné par le cinéaste brésilien Alberto Cavalcanti. L’INC est également un développement du Geicine (Grupo Executivo da Industria Cinematográfica), créé en 1961 pendant le gouvernement du président Janio Quadros. Mais contrairement au Geicine, « lequel ne faisait que ‘recommander’, ‘acheminer’ ou ‘proposer’ des financements de la production cinématographique, ce fut avec l’INC que l’État a assumé explicitement le financement de la production nationale de films1141». L’État dictatorial a tout de suite assumé le contrôle et la centralisation de la diffusion de la culture, y inclus le cinéma, au niveau national par peur qu’un autre le fasse à sa place et diffuse une culture ou surtout une forme de culture qui ne l’intéressait pas de voir diffusée. L’INC, qui abritait l’INCE (l’Instituto Nacional de Cinema Educativo) et le Geicine, fonctionnait en autarcie. Il suivait le modèle de l’ancien Centre National de la Cinématographie français et était subordonné au Ministère de l’Éducation et de la Culture (MEC). Il était constitué d’un Conseil Technique – composé du président et des membres des Ministères de l’Economie, des Relations Étrangères, de l’Éducation et de la Culture (encore unifiés à l’époque), de la Justice et de l’Intérieur, de la Banque du Brésil et de la Banque Nationale de Développement Économique (BNDE), entre autres institutions publiques – et d’un Conseil Consultatif – composé du président et des membres de la classe cinématographique tels que les producteurs, distributeurs, exploitants, réalisateurs, critiques, techniciens et acteurs. Contrairement à ce que l’on pouvait imaginer, les professionnels de RAMOS, Fernão, MIRANDA, Luis Felipe (orgs). Enciclopédia do cinema brasileiro. Op. cit. p. 298. 1141 L’Instituto Nacional de Cinema (l’INC) 663 l’industrie ne participaient aux discussions que lorsqu’ils étaient sollicités par le Département du Film National, auquel ils étaient directement associés, ou par le président de l’INC. L’INC était responsable de la protection de l’industrie cinématographique brésilienne, mais aussi de la fiscalisation, du paiement des charges et des droits artistiques et des droits d’auteur, ainsi que de la politique des prix des billets. On doit à l’Institut l’obligation du « billet unique, du bordereau des ventes et des caisses enregistreuses», ce qui était une vieille revendication des producteurs, déjà présentée lors du IIème Congrès National du Cinéma Brésilien, de 1953, afin d’éviter les fraudes récurrentes de la part des exploitants ou de leurs employés. Mais l’institut est aussi responsable de l’augmentation du taux annuel de projection obligatoire de films nationaux, qui est passé de 63 jours, en 1969, à 112 en 1975. Parmi ses principales initiatives, nous pouvons signaler la distribution de divers prix et récompenses, la plupart en argent, le choix des films brésiliens qui devaient participer à des festivals internationaux, le contrôle de la censure, dont les membres étaient choisis parmi non seulement les entités officielles désignées par les Ministères, mais également parmi les professionnels directement et indirectement liés à l’industrie cinématographique (critiques, acteurs, réalisateurs, distributeurs, écrivains, agents culturels, etc.) – et l’obligation que les copies des films étrangers distribués au Brésil soient réalisées par des laboratoires brésiliens afin de stimuler et de développer l’industrie cinématographique brésilienne. Ainsi, comme l’observe l’historien José Mário Ortiz Ramos, « le projet de création de l’INC (…) devient, alors, un nouveau jalon de référence autour duquel se positionneront les groupes du camp cinématographique qui, dès les années 1950, se battaient pour une politique de cinéma1143 ». Une grande partie des fonds de l’INC provenait du pourcentage des recettes, de la taxe de contribution au développement de l’industrie payée pour tous les films distribués commercialement, et de la rétention de l’impôt sur les recettes des films étrangers, argent des entreprises étrangères qui avaient l’obligation d’investir dans le cinéma brésilien sous forme de coproduction. Cette dernière recette a généré à elle toute seule presque une quarantaine de films entre 1967 et 1972, y inclus quelques réalisations de cinéastes du cinéma novo. Ainsi, l’INC a pu stimuler, de manière significative, le développement de l’industrie cinématographique brésilienne dont le nombre de films produits annuellement, qui a rarement dépassé la quarantaine entre 1957 et 1966, a pu parfois atteindre 80, entre 1967 et 1974. 

Le Tropicalisme

Comme nous avons déjà analysé, l’immense majorité des analyses ou des représentations du Brésil des années 1950 et 1960 mettait en avant l’opposition entre un centre urbain bien développé, moderne, et un intérieur sous-développé, archaïque. Le Tropicalisme refuse cette dichotomie en établissant les deux types de Brésil non pas comme une opposition irréconciliable, mais comme deux caractéristiques juxtaposées d’un même pays. Dans les œuvres du mouvement, il n’y a pas de place pour des lectures négatives de la campagne, comme celles présentes dans les films Barravento, Os fuzis et Deus e o diabo na terra do sol. Il est difficile de définir un fondateur, une paternité de ce mouvement qui a existé entre septembre 1967 et décembre 1968 et qui a été important dans la musique, le cinéma, les arts plastiques et le théâtre. Le mouvement est la conséquence de quelques événements survenus presque simultanément tout au long de 1967 : la sortie de Terra em transe, le film de Glauber Rocha, l’exposition de l’œuvre Tropicália, d’Hélio Oiticica, au Musée d’Art Moderne (MAM) de Rio de Janeiro, la présentation des chansons de Caetano Veloso, Alegria, alegria, et de Gilberto Gil, Domingo no parque, dans le cadre du IIème Festival da Musica Popular Brasileira (Festival de la Musique Populaire Brésilienne, MPB1166) organisé par la TV Record, et le lancement de la pièce O rei da vela, de José Martinez Correa. Autant les chanteurs que le metteur en scène se disaient très influencés par le film de Glauber Rocha. L’œuvre d’Oiticica faisait partie de l’exposition Nova Objetividade Brasileira (« Nouvelle Objectivité Brésilienne»), qui a réuni plusieurs versants de l’avant-garde brésilienne de l’époque qui était en quête d’une esthétique typiquement nationale dans les arts plastiques, revivifiant ainsi le débat alors récurrent dans le cinéma et le théâtre entre un art national et militant et un art cosmopolite et réactionnaire. Tropicália1167, l’œuvre présentée par Hélio Oiticica dans cette exposition, était constituée de deux chapiteaux, dont le principal était composé d’une sorte de labyrinthe rappelant les favelas que l’on parcourait dans l’obscurité. L’œuvre intégrait, avec les Parangolés1168 qu’il avait créés en 1964, la série de ce qu’il appelait « pénétrables» et qui visaient la rupture de l’aspect bidimensionnel des œuvres d’art. Au lieu de faire de l’observation passive, le spectateur devait pénétrer l’œuvre et interagir directement avec elle, de manière à ce que tous ses sens fussent sollicités pour sentir littéralement l’œuvre. Ainsi, le public devrait enlever ses chaussures afin de marcher pieds nus pour pouvoir sentir le sable, l’eau et le gravier dans un scénario typiquement tropical avec des plantes et des oiseaux caractéristiques. À la fin du petit parcours, il était confronté à une télévision1169, symbole de la modernité et de la puissance des moyens de communication opposés à la misère de la favela. Tous les deux placés à l’intérieur d’un même et unique espace tropical que nous pourrions appeler le Brésil. Outre sa volonté critique, l’œuvre rompait avec le conformisme du public en l’obligeant non seulement à voir, mais à vraiment sentir les choses. Selon Oiticica : « La Tropicália a contribué largement à cette objectivation d’une image brésilienne totale, à la chute du mythe universaliste de la culture brésilienne, entièrement appuyée sur l’Europe et l’Amérique du Nord, dans un arianisme inadmissible ici : en vérité, j’ai voulu avec Tropicália créer le mythe du métissage – nous sommes Noirs, Indiens, Blancs, tout à la fois – notre culture n’a rien à voir avec l’européenne, bien qu’elle lui a été soumise jusqu’à aujourd’hui : il n’y a que l’Indien et le Noir qui n’ont pas capitulé face à elle. […] Pour la création d’une véritable culture brésilienne, caractéristique et forte, au moins expressive, ce maudit héritage européen et américain devra être absorbé, de manière anthropophage, par la culture noire et l’indienne de notre terre, qui en vérité sont les seules significatives, étant donné que la majorité des produits d’art brésilien sont hybrides, excessivement intellectualisés, vide d’un sens propre. C’est la chute définitive de la culture universaliste parmi nous ; de l’intellectualité qui prédomine sur la créativité1170 ». Le nom du mouvement vient du titre de cet œuvre. Grâce à une suggestion du producteur et chef opérateur cinémanoviste Luiz Carlos Barreto, Caetano Veloso emprunte le nom pour l’une de ses chansons qui donne aussi le nom à l’album mythique intitulé Tropicália ou Panis et Circencis(sic) lancé en 1968. L’album collectif a réuni la participation de Caetano Veloso, Gilberto Gil, Tom Zé, Gal Costa, Rogério Duprat, le poète Torquato Neto et Os mutantes, un jeune groupe de rock de São Paulo. Mais si Hélio Oiticica parlait de « chute de la culture universaliste», la partie musicale du mouvement a cherché justement l’universalité, sans jamais nier l’envie de dialoguer avec le public, ce qui était synonyme de succès commercial. Mais ce cosmopolitisme des tropicalistes ne se faisait pas au détriment de la musique nationale. Bien au contraire, ils ont rajouté la guitare électrique à des arrangements très modernes – ce qui a tout de même été considéré comme un sacrilège et fut violemment critiqué à l’époque – qui mélangeaient la musique traditionnelle et la samba avec l’influence des Beatles et de Bob Dylan, entre autres groupes et rythmes internationaux dont ils ont dégluti les influences, dans l’objectif de créer une nouvelle musique brésilienne, en la sortant de ce qu’ils considéraient comme son sous-développement.

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