L’intégration du principe des capacités évolutives en contexte de protection de l’enfance

En vue de l’obtention du Master interdisciplinaire en droits de l’enfant, nous avons choisi de consacrer notre travail au principe des capacités évolutives, tel qu’il est perçu dans un contexte de protection de l’enfance. Pour ce faire, nous allons mener une enquête au sein de l’Autorité de protection de l’enfant et de l’adulte du Canton du Jura, située à Delémont. Cet intérêt découle d’une expérience de stage au sein du service en question.

Le principe des capacités évolutives 

Définition du concept 

Avec l’entrée en vigueur de la Convention Internationale des droits de l’enfant (ciaprès CDE), le statut de l’enfant se transforme : on lui accorde un statut de personne à part entière, d’acteur social capable de participer aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité. On ne perçoit plus l’enfant comme un « être dépendant, invisible et membre passif de la famille » (traduit, Discussions générales sur le rôle de la famille, 1994 : 36) comme auparavant, mais on lui reconnaît des capacités. Ce nouveau statut social n’empêche pas que l’on concède tout de même à l’enfant un droit à la protection et aux prestations qui lui sont octroyées spécifiquement au vu de sa vulnérabilité particulière.

Ces considérations nous conduisent au principe des capacités évolutives qui est mentionné, pour la première fois, à l’article 5 de la CDE :

« Les Etats parties respectent la responsabilité, le droit et le devoir qu’ont les parents ou, le cas échéant, les membres de la famille élargie ou de la communauté, comme prévu par la coutume locale, les tuteurs ou autres personnes légalement responsables de l’enfant, de donner à celui-ci, d’une manière qui corresponde au développement de ses capacités, l’orientation et les conseils appropriés à l’exercice des droits que lui reconnaît la présente Convention » (CDE, 1989).

Les capacités sont en lien avec le développement de « facultés cognitives, physiques, sociales, émotionnelles et morales » (Lansdown, 2005b :1), chez l’enfant. Elles lui permettent de se mouvoir dans la société de manière socialement acceptable ainsi que de raisonner de telle sorte qu’il puisse prendre les décisions qui le concernent avec le discernement nécessaire. Cet aspect développemental est au cœur de la CDE qui contient plusieurs articles y faisant référence à l’instar des articles 6, 27 et 29. Ces derniers stipulent tous que l’enfant a le droit à un développement optimal (Hodgkin & Holmberg, 2000 : 95).

L’article 5 de la CDE précise que le développement de l’enfant doit évoluer grâce à l’implication des parents dans son éducation. Les parents sont tenus d’apporter conseils et orientation à leurs enfants, tout en adaptant leur degré de soutien à l’évolution de ces derniers. Hodgkin et Newell (2002) parlent d’un constant réajustement de la part des parents concernant leurs niveaux de soutien. Pour ce faire, ils sont tenus de tenir compte tant des intérêts que des capacités des enfants à se positionner sur les questions les concernant.

Jean Zermatten (2005) aborde le principe des capacités des enfants selon une perspective évolutionniste. L’enfant est un sujet de droits qu’il « exerce progressivement en fonction de l’évolution de son âge, de sa maturité et de sa capacité de discernement. Avant qu’il ne soit en mesure d’exercer ses droits de manière personnelle, ce sont ses parents qui se chargent de leur exercice, selon l’article 5 CDE » (Zermatten, 2005 : 34).

Cette approche peut être mise en relation avec les théories psychologiques développementales. Lansdown (2005b) fait référence à deux courants théoriques qui abordent le développement de l’enfant. Dans un premier temps, elle présente les théories traditionnelles « par étapes », qui considèrent que l’enfant se développe par stades, selon un ordre naturel et des « règles indiscutables qui gouvernent la progression vers l’âge adulte » (Lansdown, 2005b : 26). Piaget (cité par Lansdown, 2005b : 25), quant à lui, estime que l’enfant évolue en fonction d’une série de stades et qu’il acquiert le raisonnement adulte une fois qu’il a accès à la pensée opératoire formelle, à savoir vers l’âge de 12 ans. Il découle de sa théorie que les jeunes enfants ne sont pas perçus comme des êtres capables de « comprendre des règles ou d’exercer des jugements moraux (…), ni d’envisager des situations d’un autre point de vue que le leur » (Lansdown, 2005b : 25). Cette approche appréhende le développement de l’enfant selon des facteurs biologiques et psychologiques mais ne prend par en compte les critères qui émanent de l’environnement social ou culturel de l’enfant. De même, elle ne prend pas en considération le fonctionnement et le contexte individuel de chaque enfant. Lansdown (2005b : 26) qualifie cette vision du développement de l’enfant de « modèle de l’enfance déficitaire » qui ne reconnaît pas les capacités individuelles de chaque enfant.

L’autre courant théorique mentionné par Lansdown (2005b : 28) se réfère aux théories culturelles. Cette approche amène une critique des théories traditionnelles du développement par étapes. Elle s’oppose au statut d’acteur passif de l’enfant et met en exergue que les enfants « possèdent une faculté d’action individuelle, et sont en mesure d’interpréter et d’influencer leurs propres vies » (Lansdown, 2005b : 28). Il en résulte que le développement de l’enfant ne se base pas uniquement sur des facteurs biologiques ou psychologiques mais englobe également trois éléments essentiels qui sont les suivants : l’environnement de l’enfant, les pratiques éducatives ainsi que « les convictions ou les ethno-théories des parents » (Lansdown, 2005b : 28). Par conséquent, l’évolution des capacités de l’enfant ne dépend pas uniquement de son âge et du stade de développement qui lui correspondrait mais recouvre tout un panel de critères, tels que ceux que nous venons d’exposer.

Approche du principe selon trois concepts : développement, participation et protection 

L’aspect développemental, comme nous l’avons développé ci-dessus, est fondamental dans la définition du principe des capacités évolutives. Selon Lansdown (2005b : 31), il doit être complété par deux autres concepts que sont la participation et la protection.

Développement
Ce principe fait référence à la promotion et au respect du développement, des compétences et de l’autonomie progressive des enfants. Pour respecter ce principe et en référence à l’article 27 CDE, chaque instance responsable de l’enfant doit veiller à lui apporter un environnement adéquat. Le préambule de la CDE précise que la famille devrait représenter un environnement au sein duquel règnent « le bonheur, l’amour et la compréhension » (Lansdown, 2005b : 34) en vue de combler les besoins de chaque enfant. Ces besoins peuvent être répartis au sein de 4 catégories, selon Kellmer Pringle : « l’amour et la sécurité, les expériences nouvelles, les éloges et la reconnaissance, et la responsabilité » (cité par Lansdown, 2005b : 34). Lansdown (2005b) note qu’un accès difficile « aux soins et aux ressources élémentaires de base » (Lansdown, 2005 : p. 38) est susceptible de compromettre le développement de l’enfant.

Selon Hodgkin et Holmberg (2000 : 94), des conditions spécifiques devraient être fournies à l’enfant pour qu’il se développe pleinement. Ces conditions englobent, d’une part, tout ce qui doit satisfaire les besoins fondamentaux de l’enfant, comme la nourriture, le logement, ou les vêtements appropriés. D’une autre part, l’éducation ou des moments de jeu ont un poids important. De même, il semblerait que le développement des capacités de l’enfant dépende de l’amour et du respect que l’on porte à ce dernier.

Participation
Le deuxième concept correspond à la participation, également nommée «émancipation ». Issu de l’article 12 de la CDE, ce concept est omniprésent dans l’intégralité de la Convention. Il s’agit d’un droit substantiel dont les enfants peuvent se prévaloir. En effet, ces derniers détiennent le droit d’être entendus et de voir leurs avis pris en considération. Il s’agit de surcroît d’un droit procédural qui offre la possibilité aux enfants d’être acteurs de leur propre vie et, par suite, de faire valoir d’autres droits.

Selon Vygotsky, la participation est un moyen d’acquérir des compétences sociales et intellectuelles. Elle permet également le développement de l’autonomie, de l’indépendance, « d’une aptitude et d’une résilience sociales majeures » (cité par Lansdown, 2005b : 33). Par conséquent, donner l’opportunité aux enfants de participer leur permettra de développer leurs capacités, d’acquérir progressivement davantage de responsabilités et de voir les droits que leurs parents exercent en leur nom transmis à leur propre personne. Lansdown (2005a : 3) ajoute que la participation des enfants aux décisions et aux actions qui les concernent est une base essentielle à la promotion, au respect et à la protection de leurs capacités évolutives. Stoecklin (2009 : 51) fait référence à l’article 12 CDE comme étant une fin et un moyen : il doit permettre aux enfants de voir leur vie enrichie par la participation et d’exercer d’autres droits à travers la participation.

Table des matières

1. Introduction
2. Le principe des capacités évolutives
2.1 Définition du concept
2.1 Approche du principe selon trois concepts : développement, participation et protection
2.2 L’importance de la famille
2.3 La particularité du principe appliqué à la population adolescente
2.4 La compétence de l’enfant
2.5 La conception du cadre juridique pour le respect des capacités évolutives
2.6 Synthèse
3. Problématique, question de recherche et hypothèse
4. Méthodologie
4.1 Ethique de la recherche
5. Etat des lieux de la protection de l’enfance
5.1 Evolution de la protection de l’enfance : d’enfant-objet à enfant-sujet
5.2 Le dispositif de protection de l’enfance en Suisse
5.2.1 La réforme du droit tutélaire de 2013 : avant et après
5.2.2 Traitement des situations
5.2.3 Le but de l’intervention des professionnels : servir le bien de l’enfant
6. L’autorité de protection de l’enfant et de l’adulte du Canton du Jura
7. Analyse des résultats
7.1 Préambule
7.2 Définition des pratiques professionnelles et concepts importants mobilisés par les répondants lors de leur intervention
7.3 Le rôle de l’enfant
7.4 La place accordée à la parole de l’enfant
7.5 Attentes et rôle de la famille
7.6 Réflexion sur le principe des capacités évolutives
7.7 Synthèse des résultats et réponse à la question de recherche
8. Bref commentaire sur la méthode choisie
9. Recommandations
10. Conclusion

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