Littérature française méthodes de la critique

Cours littérature française méthodes de la critique, fonctions et compilation séparée, tutoriel & guide de travaux pratiques en pdf.

EXERCICES PRÉLIMINAIRES

Lecture du corpus: Relire quelques romans du XIXe siècle, (pré-requis de la licence)

  • FLAUBERT, Madame Bovary.
  • MAUPASSANT, Une vie.

Lecture d’ouvrages critiques :
-J. ROUSSET, Forme et signification, Paris, J. Corti, 1954.
-P. FONTANIER, Figures du discours, (rééd.) G.F. 1979. Préface de G. Genette.
-T. TODOROV, “Les deux principes du récit”, in La notion de littérature, Paris, Seuil, 1985.
Recherche méthodologique : expliquer: figure, structure, prosopographie, éthopée, réitération, paroxysme, actorial, auctorial, horizon d’attente, doxa…

SYNTHÈSE DU COURS

Figures
L’outil poétique sera ici le concept de figure ou de forme, au sens que lui donne Jean Rousset21. Pour ce qui est  de l’aspect dramatique, donc de l’action, essentiellement, on peut identifier quelques figures principales, récurrentes à l’intérieur de chaque nouvelle et dans l’ensemble du corpus, comme le paradoxisme22, la réitération23 ou le paroxysme24.
Le comportement d’Hélène (Stendhal), de Carmen (Mérimée), ou de Paquita (Balzac) illustre surtout la figure du paradoxisme. Le destin tragique de ces protagonistes est en fin de compte une justification romanesque d’un comportement féminin doublement paradoxal, qui leur aurait été dicté préalablement par leur folie. La première s’apitoie sur un brigand, fils de brigand, et se laisse séduire par lui. Elle oublie ainsi l’ordre établi, à la fois éthique et social. La seconde prend l’initiative de séduire un homme (la doxa, du XIXe siècle, et souvent d’aujourd’hui, veut que ce soit l’homme qui prenne les devants, dans ces cas), et de plus, elle séduit un homme soumis à l’ordre militaire. La troisième prend une amante et un amant, s’adonnant au plaisir homosexuel et hétérosexuel pareillement, donc trompant chacun de ses partenaires avec l’autre. Hélène se poignarde, Carmen est poignardée par José, Paquita est poignardée et déchiquetée par la marquise de San Réal. En condamnant ainsi les trois femmes à une mort atroce, le récit se construit sur l’antithèse entre la punition finale et le comportement paradoxal, destiné à réaliser un certain bonheur, mais qui serait le fruit d’une piètre imagination féminine. Quoi qu’en disent les autres personnages, à un moment ou à un autre de l’histoire, quoi que fasse l’auteur pour l’admirer ou nous la rendre pathétique, la femme apparaît victime d’abord de cette imprudence, de cette étourderie qu’on qualifierait aisément de folie, au sens métaphorique courant, et que la morale implicite de la nouvelle reprend assez fidèlement.
La conduite de Félicité et de Boule de suif illustre, quant à elle, et de la meilleure manière, la figure de la réitération. La vérité gnomique illustrée par cette figure dramatique est l’idée que la femme serait non seulement habitée par une imagination insidieuse comme la folie, mais qu’elle serait encore absolument incorrigible, c’est pourquoi elle retombe dans les mêmes folies ou dans des folies encore pires, si l’on peut dire. Ce qui est, en fait, réitéré dans les cinq textes, c’est l’erreur de jugement, l’appréhension ingénue des choses, des êtres et de leurs discours trompeurs.
Mais, c’est notamment dans les nouvelles de Flaubert et de Maupassant que, chez la femme, l’illusion naît d’une imagination pernicieuse et de manière très répétitive. Félicité fait continuellement confiance aux autres, à leur apparence, à leur discours et ne cesse de tomber dans leur piège: en amour (avec Théodore qui l’abandonne), en amitié (avec le Polonais qu’elle protège et qui devient un intrus), au travail (avec sa maîtresse qui est, dit Flaubert, désagréable …) Plusieurs fois de suite, elle imagine avoir trouvé l’être qui mérite son affection, mais déchante de sitôt. Qu’elle se dévoue pour quelqu’un, (les gens de son entourage) quelque bête (le perroquet vivant) ou quelque chose (le perroquet empaillé…), son dévouement simple et spontané est méconnu de retour, ou trahi, ou déçu par le hasard.
Boule de suif, de même, réitère la même erreur de jugement, au moins trois fois durant le voyage : elle imagine d’abord que ses compagnons l’estiment pour son passé patriotique ; elle imagine ensuite qu’ils lui sont reconnaissants d’avoir généreusement partagé avec eux ses provisions ; elle imagine enfin qu’ils lui pardonnent son statut dégradant de prostituée et admettent, comme un geste patriotique, le fait qu’elle se donne à l’officier prussien pour obtenir leur libération. Toutefois, le récit démystifie les deux héroïnes, à chaque coup, dans le cas de Félicité, et d’un seul coup, dans le cas de Boule de suif.
Pour ce qui est de la figure du paroxysme, notons qu’elle structure évidemment les cinq récits, car elle est le corollaire logique des autres figures. Le comportement paradoxal est réitéré au moins deux fois, et à chaque occurrence répétitive, on monte d’un cran dans l’exploration de la candeur du personnage : Hélène se laisse abuser par sa joie folle (p.138), et plusieurs fois par la tendresse folle (p. 147) de sa mère qui manigance des plans diaboliques pour la protéger des dangers de sa passion, jusqu’au jour où la fille réalise tout à coup l’ampleur de sa naïveté et, brusquement, se suicide ; Paquita, dans le texte balzacien, croit pouvoir duper doublement sa maîtresse et son amant, mais la multiplication des rendez-vous prépare de proche en proche l’apogée de la révélation qui aboutit à un bain de sang ; Carmen ne voit pas venir le danger, et ses défis passionnés lancés à l’encontre de l’ordre établi, représenté par José, la mènent au pire, quand elle avoue à cet amant mystifié qu’elle le hait et jette la bague qu’il lui avait offerte, ce qui introduit la réaction paroxystique : son assassinat ; Félicité, dans la nouvelle de Flaubert, va d’illusion en illusion, jusqu’à la plus inénarrable d’entre elles, quand elle confond, dans son agonie, le perroquet empaillé avec le Saint-Esprit ; enfin, Boule de suif arrive à croire à la plus grossière des mystifications tramées par ses compagnons de voyage, lorsqu’elle est convaincue qu’en se donnant à l’officier prussien, elle fait œuvre de patriotisme, à leurs yeux.
Bien entendu, ces trois figures syntagmatiques que sont le paradoxisme, la réitération et le paroxysme ne sont ni nouvelles dans l’art narratif, ni spécifiques de ces textes courts du XIXe siècle ou du genre romanesque, de façon générale.
Elles peuvent se conjuguer dans des récits aux sujets divers, et s’inscrivent dans la logique narrative du texte lisible (Barthes), qui nécessite au moins deux principes essentiels (la succession et la transformation), comme l’écrit T. Todorov.
Mais, outre la fonction dramatique et logique de ces figures, nos cinq auteurs les chargent aussi de deux autres fonctions fondamentales : -une fonction psychologique : le comportement des héroïnes entre en rapport de cohérence ave leur éthopée globale, assurée aussi au niveau paradigmatique, et où la tare de l’imagination féminine défectueuse est décrit comme un trait principal ; – et une fonction éthique conforme à la doxa profondément misogyne : les héroïnes connaissent un destin malheureux, sinon atroce, car elles pâtissent de cette tare qui serait spécifique de leur sexe.
Un tel traitement romanesque mérite une attention multiforme, au niveau de la lecture et de l’interprétation.

Lectures

Les grandes nouvelles du XIXe siècle sacrifient au topos de la femme aveuglée par sa passion, leurrée par une imagination fantaisiste, incapable d’appréhender correctement le monde et son être au monde, ce qui est funeste pour elle-même et pour les autres. Sur chacune des cinq nouvelles, plane l’ombre d’une sentence séculaire, que Malebranche, entre autres, avait résumée dans le chapitre intitulé: De l’imagination des femmes, dans son livre intitulé : De la recherche de la vérité :
Elles sont incapables de pénétrer les vérités un peu difficiles à découvrir. Tout ce qui est abstrait leur est incompréhensible. Elles ne peuvent se servir de leur imagination pour développer des questions composées, et embarrassées. Elles ne considèrent que l’écorce des choses; et leur imagination n’a point assez d’étendue pour en percer le fond (…) Une bagatelle est capable de les détourner : le moindre cri les effraie, le plus petit mouvement les occupe. Enfin, la manière, et non la réalité des choses, suffit pour remplir toute la capacité de leur esprit.26
Dans les textes retenus ici, à tous les niveaux que l’on situe la lecture, en surface ou en profondeur, dans la dénotation ou dans la connotation, sur l’axe paradigmatique ou sur l’axe syntagmatique, on constate une représentation cohérente de ce cliché que Barthes rangerait sous la rubrique du code gnomique27. La fréquence très probante de ce cliché à l’intérieur de chacune des œuvres, et dans le corpus en entier, prouve donc qu’elle n’est pas le fruit d’un hasard de l’écriture. C’est une fréquence qui met plutôt en évidence une intentionnalité auctoriale. A priori, les mêmes grands auteurs du XIXe siècle, dont nous venons d’interroger quelques nouvelles, recourent à ce lieu commun dans certains de leurs romans principaux : il suffit de citer Madame de Rênal et Mathilde dans Le Rouge et le noir, Emma dans Madame Bovary, Jeanne dans Une Vie.
Tout un travail reste à faire : comparer les représentations de la folle du logis au féminin, en élargissant les cercles concentriques, passant d’un genre à l’autre, d’un art à l’autre, d’une époque à l’autre, d’une culture à l’autre. Des filiations se dessinent entre Carmen, Manon Lescaut, Héloïse, Phèdre et…jusqu’à Eve ; des schèmes et des archétypes transcendant l’histoire, les auteurs et les épistémès se recoupent et s’éclairent mutuellement. La poétique peut alors donner lieu à toutes sortes d’interprétation.
Nous privilégions en l’occurrence celles qui semblent aller de soi, quand on pense à la notoriété et au génie des cinq auteurs de nouvelles : Stendhal, Balzac, Mérimée, Flaubert et Maupassant. Mise à part la tentation de la misogynie que le XIXe siècle hérite comme un legs culturel nourri des sédiments millénaires d’ordre philosophique ou religieux, repris à leur compte, comme l’évidence même, par d’illustres penseurs tels que Schopenhauer, il faudrait envisager et approfondir trois explications qui se complètent et se confirment réciproquement :
1-Une explication psychologique. Les écrivains masculins, (puisque nous avons interrogé des nouvelles écrites par des hommes) écrivent aussi pour se désaliéner. En stéréotypant l’autre sexe, consciemment ou inconsciemment, ils règlent des comptes avec l’altérité qui est d’abord en eux, cette peur de l’anima, constitutive de leur propre être (d’après le concept inventé par Jung). N’oublions pas le mot de Flaubert : Emma Bovary c’est moi,28 et la lecture de Kafka selon laquelle Don Quichotte, le parangon littéraire de la folie et de l’imagination fantaisiste, est simplement l’autre moi 29 du type réaliste Sancho Pansa, et vice-versa.
2-Une explication culturelle. Au XIXe siècle, les œuvres littéraires, notamment le conte et la nouvelle très en vogue depuis au moins la mode du 18e, se lisent encore en fonction d’horizon d’attente (Jauss), où la doxa est toujours maîtresse, chez les hommes certes, mais encore chez les femmes elles -mêmes, qui semblent avoir intériorisé l’image dévalorisante de leur féminité : la femme serait bornée, fantaisiste, fatale ; l’homme serait plutôt réaliste, créatif, sauveur, etc. La troisième lettre d’Héloïse à Abélard, qui à l’époque médiévale, résume les topoi anti- féminins, tels que la tendance naturelle au crétinisme et à la folie, subsiste encore comme l’image la plus courante au XIXe siècle. Elle véhicule les hantises plus masculines que féminines, relatives à l’identité et à l’altérité, et détermine largement la production et la réception de l’œuvre littéraire.
3-Une explication esthétique. Au XIXe siècle, la nouvelle, genre de mieux en mieux demandé par un lectorat large, encore plus accessible que les romans au grand public, en particulier grâce aux journaux, reste, plus que les autres, déterminée par des clichés formels et thématiques, qui sont autant d’adjuvants de la bonne audience et d’une certaine bienséance éculée.
En somme, même écrite par un auteur majeur comme Stendhal, Mérimée, Balzac, Flaubert ou Maupassant…, et au même titre que les autres formes brèves (conte, chronique…), la nouvelle demeure, au XIXe siècle, relativement assujettie à un imaginaire collectif et à des postures auctoriales structurés et souverainement orientés par les topoi et les mythes. Bien que la prose soit à cette époque très créative et concurrence sérieusement les genres et les disciplines dits nobles, surtout depuis la Renaissance (poésie, tragédie classique et peinture en particulier), l’univers romanesque qu’elle étoffe, précisément dans les formes brèves destinées à une consommation de masse, immédiate et moins répétitive que pour le roman, n’arrive pas à rompre le cordon ombilical avec un habitus (Bourdieu) désuet, et à tenter de se régénérer sur les plans thématique et idéologique.
La femme fatale, la femme naturellement folle, la femme naturellement inadaptée à l’esprit de mesure et incapable de grande spiritualité ou de sagesse…demeurent ces topoi courants dont regorgent les réserves où puisent même les grands créateurs, malgré qu’ils en aient.

………

Cours gratuitTélécharger le cours complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *