L’occupation de l’espace : autant en emporte le vent

La relation pédagogique : l’éternel quiproquo

Quel souvenir garde finalement un élève de ses longues années passées sur les bancs de l’école ? Ce ne sera probablement pas une longue liste de vocabulaire en allemand ou une formule complexe de mathématiques. Ce sera principalement le regard porté sur lui, les commentaires émis tant par ses pairs que par ses enseignants sur ses performances et sa personne. En effet, l’être humain se développe et évolue au travers de la relation avec autrui ; au travers de ces multiples messages verbaux et non verbaux qu’il obtient au sujet de sa personne. Comme l’explique avec pertinence Jeanne Moll : « Les enfants et surtout les adolescents, ceux qui précisément sont en train de grandir tout en hésitant à sortir de l’enfance, veulent d’abord être rassurés par autrui sur leur valeur, sur le devenir possible de leur moi fragilisé ; ils ont psychiquement besoin d’être regardés avec bienveillance, d’être respectés en tant que personnes, quel que soit leur niveau scolaire, besoin de compter à leurs yeux et aux yeux des autres (…)». (2013 : 3)

C’est sans doute à ce niveau que se situe le malentendu entre maître et élèves ; malentendu qui peut être à l’origine de beaucoup de confusion et conflits. L’enseignant débutant tend à oublier sa propre expérience d’élève tant il est préoccupé par sa mission d’instruction et d’éducation. A l’opposé, les élèves considèrent la relation en tout premier lieu : comment l’enseignant s’adresse à eux, leur parle, les regarde, les écoute. Cette divergence d’objectifs entre enseignants et enseignés est bien décrite dans la citation suivante : « Tandis que l’enseignant privilégie, dans sa représentation de l’élève, les aspects cognitifs de la personnalité de l’enfant » et ses attitudes morales face au travail, laissant au second plan les qualités affectives et relationnelles – cela parce que ces valeurs sont liées à la réalisation d’objectifs professionnels suscités par l’institution –, l’élève, au contraire, accorde plus d’importance aux qualités humaines et relationnelles de l’enseignant (…) qu’aux qualités attachées à la technique pédagogique ». (Gilly et coll. 1974-1975 : 113-114) Il est primordial que l’enseignant sache inclure cette dimension relationnelle au sein de son cours. Sinon, il risque – dans sa transmission de connaissances – de ne pas rejoindre ses élèves ; de parler mais non de communiquer13.

Le regard : au cœur de la communication non verbale

Le regard est, sans aucun doute, un des éléments les plus fondamentaux de la communication non verbale et il « joue un rôle essentiel dans la manifestation de la présence en classe » (Richoz 2009 : 337). Toute relation humaine, toute communication, commence premièrement par un échange de regards (Ollivier 1992 : 155 ; Daudet 2001 : 76). En d’autres termes, avant même que l’enseignant ouvre la bouche face à sa classe, il a déjà commencé à transmettre un message à ses élèves au travers de son regard. Pour cette raison, il est indispensable que l’enseignant – dès sa première entrée en classe – ose regarder ses élèves. En effet, tout maître débutant peut être tenté de faire son entrée la tête baissée, les yeux rivés sur son matériel soit parce qu’il a dix mille choses en tête, soit parce que la présence d’une vingtaine de regards inconnus dont il ne peut anticiper l’accueil, le déstabilisent. Cependant, il vaut mieux, pour la suite de la relation, qu’il ose d’emblée lever la tête, sourire et balayer avec un regard confiant l’ensemble de la classe avant de prononcer l’éternel « Bonjour ! » sur un ton agréable. Dans le premier cas, il risque de communiquer – par son regard fuyant – le fait qu’il est intimidé, gêné de se retrouver face à ses élèves ; qu’il n’est pas à son affaire, voire qu’il ne souhaite pas être là. Dans le deuxième cas, l’enseignant novice donnera davantage l’impression d’être présent, d’avoir confiance en lui, de ne pas craindre la relation avec ses élèves et d’être content de les rencontrer. Le regard possède trois fonctions principales : il crée une connexion entre deux ou plusieurs interlocuteurs, il sert de soutien et de maintien à la communication. « Le regard est la première façon d’établir un lien, d’« ouvrir » la communication », d’entrer en contact avec autrui (Daudet 2001 : 69).

Si je désire adresser la parole à quelqu’un, il suffit de diriger mon regard vers l’interlocuteur en question pour que ce dernier comprenne mon désir de communiquer avec lui (Martin 2009 : 218). Mon regard signifie aussi à l’autre que mon propos le concerne, l’implique et l’inclut personnellement. Dans toute relation, le rôle du récepteur du message est tout aussi crucial que celui de l’émetteur : son regard est synonyme d’attention et d’écoute. D’où l’expression bien connue : Regarde-moi quand je te parle. Par son regard, l’émetteur soutient le propos de son interlocuteur en lui donnant l’impression que celui-ci a été accueilli et entendu ; qu’il n’a pas parlé dans le vide. Enfin, le maintien de la communication passe aussi par un contact visuel. Une conversation entre deux interlocuteurs dure aussi longtemps qu’un échange de regards a lieu. En général, la conclusion d’une phrase, accompagnée d’un détournement de regard par l’un ou l’autre des interlocuteurs, indique la fin de l’échange.

Dans le contexte de la classe, il va sans dire que les rituels qui ouvrent14 et closent15 une séquence, tout comme les activités de départ16, sont des moments privilégiés pour asseoir sa présence, en soignant le lien, la relation avec les élèves au travers du regard. Dans ces moments particuliers, l’enseignant peut prendre le temps de regarder et d’entrer en relation avec chacun. En posant tour à tour son regard sur chaque élève, il communique que ceux-ci sont tous dignes de son attention, qu’il est content de les voir, qu’il se réjouit de collaborer avec eux et que ce qui se passe en classe s’adresse personnellement à eux. En ce sens, Jeanne Moll met l’accent sur l’importance de la nomination qui peut paraître, aux yeux de l’enseignant novice, une pure démarche administrative : « Il est urgent de commencer, en début d’année, par signifier une place à chacun et ce d’abord par la nomination. Nommer quelqu’un, c’est à la fois marquer sa singularité et son humanité (…). Appeler chaque élève par son prénom et son nom, en prenant le temps de soutenir son regard avec bienveillance (…) est bien autre chose que de décliner rapidement les noms d’une liste » (2013 : 10).

La posture : miroir, mon beau miroir, que dis-tu ?

La posture, élément plus secondaire dans la communication corporelle, n’est néanmoins pas négligeable (Daudet 2001 : 109). Ainsi, cette dernière peut parasiter la communication que l’enseignant souhaite établir avec le groupe-classe et diminuer immanquablement l’effet de sa présence. Mal gérée, elle peut particulièrement desservir l’enseignant en indiquant, corporellement, qu’il n’est pas à son affaire, n’est pas à l’aise ou stressé ou qu’il a peur du groupe-classe comme nous le verrons ultérieurement. Moins maîtrisable que le regard ou la voix, la façon de se tenir de l’enseignant révèle davantage de son état psychologique face à sa classe (Daudet 2001 : 99). La posture fonctionne comme un relais face aux émotions véhiculées par le visage et le regard : elle « vient renforcer ou atténuer l’intensité » de ces dernières (Idem : 109)27. La posture, tel un miroir, met en lumière « l’attitude psychique » de la personne face à la situation dans laquelle elle se trouve (Martin 2010 : 161- 162).

Si la situation ou la relation lui semble difficile, voire intimidante, ou qu’elle ne se sent pas à l’aise, tous ces ressentis risquent d’influencer sa façon de se tenir en conséquence (Idem : 167). Dans un contexte scolaire, il est indispensable de rentrer dans sa classe en veillant à garder toujours un état d’esprit positif envers la classe et les élèves, particulièrement lorsque des tensions sont présentes. Il importe aussi, tant que cela est possible, de laisser ses préoccupations personnelles sur le seuil de la porte de la classe, le temps de la période. Ce bon état d’esprit influera directement sur notre posture d’une manière positive. Néanmoins, pour cultiver un tel état d’esprit, il faut savoir prendre du temps pour évaluer comment nous percevons tant les situations que les élèves, et si ces perceptions sont négatives, les faire évoluer en prenant de la distance et en choisissant un regard plus favorable face à ce qui peut nous toucher ou nous déranger. Sans trop rentrer dans les détails, dans La bible de la communication non verbale, il est expliqué que : « Nos postures humaines fondamentales » sont liées à « quatre attitudes psychiques : je domine, je me soumets, je partage, je rejette. Ces attitudes vont se traduire de façon kinésique (corps) par quatre postures : posture en extension, posture en contraction, posture en approche et posture en recul ». (Martin 2010 : 162)28

Table des matières

1. Introduction
1.1 Mémoire professionnel : Au commencement…
1.2 Structure et sources du mémoire
1.3 Problématique : choix et définition de la présence
2. Réflexion théorique
2.1 La relation pédagogique : l’éternel quiproquo
2.2 Le regard : au coeur de la communication non verbale
2.3 La voix : place à la mesure et à la nuance
2.4 La posture: miroir, mon beau miroir, que dis-tu?
2.5 La gestuelle : faux jumeau de la posture
2.6 L’occupation de l’espace : autant en emporte le vent
3. Partie analytique
3.1 Contexte de la séquence filmée et de la classe
3.2 Analyse de mon regard
3.3 Analyse de ma voix
3.4 Analyse de ma posture et gestuelle
3.5 Analyse de l’occupation de l’espace
3.6 Bilan
4. Conclusion
4.1 Méthode et difficultés rencontrées
4.2 Conclusion
4.3 Références bibliographiques
4.4 Résumé

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