Lucien, Histoires véritables, ou le roman d’une aventure incroyable ?

Lucien, Histoires véritables, ou le roman d’une aventure incroyable  ?

En route pour l’aventure !

Les Histoires vraies de Lucien sont le premier roman parodique de l’Antiquité : l’auteur imite le genre romanesque déjà pratiqué et connu de ses lecteurs. Pour comprendre l’horizon d’attente du public et l’intention du romancier, il est essentiel de replacer les Histoires vraies dans leur contexte historique mais aussi culturel, littéraire et scientifique. Lucien, syrien, est un homme de son temps, il a bénéficié de l’éducation grecque dispensée à l’élite de la société (paideia).

Lucien dans l’aventure de son temps !

Lucien est un écrivain syrien qui écrit en grec dans le monde romain. Tout un programme ! Si cela peut à première vue sembler déroutant, il n’y a pourtant ici rien d’incongru. La situation est même tout à fait normalisée. Quand Lucien naît aux environs de 120 après Jésus-Christ, le monde est un monde décentré et multiculturel. L’empire romain, dans la première moitié du IIème siècle, a été encore agrandi par les conquêtes de l’empereur Trajan[1] et s’étend de l’Espagne à l’Arabie. Il s’étend de la Britannia (qui désigne la Grande-Bretagne, mais pas l’Écosse, appelée Calédonia, jamais conquise) à l’Égypte et de la Syrie, province natale de Lucien, et de l’Euphrate (en Mésopotamie) à l’Hispanie jusqu’aux Colonnes d’Hercule (détroit de Gibraltar).   Les Romains ont partout imposé leurs administrations mais ils ont toujours respecté les us et coutumes des provinces colonisées (la Pax Romana). En Commagène, la patrie de Lucien, on parle le syriaque ou l’araméen, la langue locale, on utilise le latin comme langue officielle et adminsistrative, et comme ailleurs dans l’empire, on apprend à l’école le grec, utile pour communiquer partout dans l’empire, la koinè, et nécessaire pour accéder à la vraie culture.Le monde dans lequel Lucien évolue est un monde pacifié ; il vit sous le règne des Antonins et bénéficie de cette sympathie philhellène[2] qui privilégie l’épanouissement de la culture grecque. Pour réussir, Lucien va suivre, comme beaucoup d’autres, l’éducation classique, la paideia, qui permet à l’élite de maîtriser la langue et la culture grecque sous toutes ses formes : littérature, philosophie, sciences…

Cette période assiste aussi à un regain dintérêt  pour l’art de la parole, la rhétorique. De nouveau, les écoles se développent, les orateurs courent à travers le monde civilisé pour faire des conférences… Cette situation rappelle celle que la Grèce avait déjà connue au Vème siècle avant Jésus-Christ, avec les noms célèbres de Gorgias ou Protagoras. On se souvient que la voie de la carrière politique passait par la maîtrise de la parole et que nombre de Grecs avaient recours aux « sophistes » pour ficeler un discours et gagner un procès, souvent au détriment de la vérité et de la morale, comme Socrate leur en faisait reproche ! C’est au IIème siècle une renaissance de la rhétorique et l’on nomme ce mouvement « la seconde sophistique ».

Cette période est intéressante et permet de comprendre le renom  qu’un Syrien, loin du pouvoir romain,  comme Lucien a pu avoir. La domination romaine en Orient, et en Asie Mineure particulièrement, a renforcé la position des notables locaux en les amenant à concentrer, au sein de leur cité ou de leur province, le pouvoir politique, le pouvoir économique et le prestige social. Rome avait tout à gagner en développant ainsi le pouvoir des élites locales : la domination incontestée d’un groupe social au sein des cités convient en effet tout à fait aux autorités romaines, qui trouvent dans la coopération de ces élites locales le moyen de contrôler de vastes régions sans avoir à déployer une administration centrale trop lourde et nécessairement plus aisément contestée. Rome continue ainsi d’encourager l’évergétisme, pratique qui veut qu’un citoyen se substitue à la cité pour assumer des dépenses publiques, telles que la construction d’édifices, l’approvisionnement en blé ou en huile, l’organisation de fêtes religieuses. Les sophistes de cette période jouissent donc d’une grande respectabilité dans leur patrie, certes, mais pour les plus grands d’entre eux, bien au-delà de leurs frontières, car ils se déplacent d’un bout à l’autre de l’empire. La connaissance approfondie d’une tradition littéraire, grecque,  marquée par des thèmes de philosophie morale, comme la concorde, la vertu, la justice, la tempérance, permet à ces orateurs de montrer l’exercice de la raison en politique et leur donne la posture du sage médiateur. Les rhétoriciens rivalisent de virtuosité et sont considérés comme de véritables « vedettes» par la foule. Très souvent, pareils à des acteurs, ils exercent leur art dans les théâtres que l’on réserve tout spécialement en vue de leur prestation et où ils sont applaudis par un public friand de phrases harmonieusement agencées. Toutefois, si la carrière de Lucien est bien caractéristique de ce que les élites locales ont pu vivre, elle présente également des singularités qu’une présentation plus détaillée de notre écrivain permet de comprendre.

 

P15 Exercice autocorrectif n°1

Observez les deux faces de cette pièce en or qui représentent Lucius Verus. Comment cette pièce met-elle en valeur la victoire de Lucius Verus ?

Le périple d’une vie !

Sa vie

Lucien est né vers 115/125 apr. J.-C. à Samosate (aujourd’hui appelée Samsat, en Turquie), ville de la province romaine de Syrie située sur l’embouchure de l’Euphrate et l’une des plus importantes de l’Empire, à la fois pour sa richesse économique et pour sa situation géopolitique, à la frontière avec l’Empire parthe. Samosate se trouve au nord de la province, en Commagène. C’est une ville fortifiée, où siègent deux des trois légions de Syrie et qui, sous le règne d’Hadrien, devient métropole (capitale) de la province.

D’extraction modeste, Lucien devait devenir sculpteur comme son oncle ; mais entré chez ce dernier en apprentissage, il finit par s’enfuir, n’éprouvant aucun intérêt pour ce métier. Ce Syrien dont la langue maternelle est l’ araméen entame alors des études dans les meilleures écoles d’Ionie, en Grèce, où il apprend à maîtriser parfaitement l’attique, qui est la langue littéraire grecque. Ses études terminées, il devient avocat à Antioche à 25 ans. Toutefois, les désagréments de ce métier – fourberie, mensonges, luttes, cris…– font qu’il se tourne vers la rhétorique et, autour de 150 apr. J.-C., il commence une longue série de conférences publiques qui lui permettront de voyager à travers le monde romain : Achaïe, Macédoine, Italie, Gaule, etc. Il se fait rapidement reconnaître comme un rhétoricien de talent et sa nouvelle carrière lui fait gagner des sommes considérables. Lucien lit ou récite des opuscules du genre de ceux qui nous restent sous les titres d’Harmonide, Zeuxis ou Antiochus, le Scythe ou le Proxène, Hérodote ou Aétion, Bacchus, l’Éloge de la mouche, etc.  

Mais au bout de dix ans de voyages harassants, lassé de donner des conférences et sentant l’impérieux besoin de se ressourcer, Lucien revient en Orient. Entre-temps, il a dû saisir tout l’aspect vain et parfois pervers de la rhétorique, art du savoir-faire plus que de la sensibilité. Comme il le dit lui-même dans la Double Accusation, il quitte «l’art du mensonge pour se mettre au service de la vérité ». Pour lui, la quête de la vérité passe par l’approfondissement des idées philosophiques. C’est donc sur le tard, aux environs de la quarantaine que Lucien tourne la page en faveur de la philosophie.

Il recommence ses voyages à travers la Cappadoce et la Paphlagonie (régions d’Asie Mineure), accompagné de son vieux père et des personnes de sa famille. À partir des années 160, la réputation de notre Syrien lui permet donc de s’immiscer dans les arcanes du pouvoir central à tel point qu’il finit par se lier avec le second empereur en titre après Marc-Aurèle[3], Lucius Verus. Il suit le prince pendant les terribles guerres parthiques comme en témoigne l’opuscule Comment écrire l’Histoire. Il fait également un séjour dans sa ville natale Samosate en 163. Puis en 165, il décide enfin de séjourner dans sa patrie spirituelle, Athènes. Dans la prestigieuse cité, il fréquente de nombreux penseurs pour épancher sa soif de philosophie. Mais il garde toutefois un sens critique très aiguisé, s’en prenant ainsi violemment aux Stoïciens qu’il fustige sans pitié, leur reprochant leur orgueil démesuré et leur dogmatisme foncier. Les seuls sages athéniens à trouver grâce à ses yeux sont Nigrinos et un certain Démonax auxquels il consacre deux dialogues émouvants autant qu’édifiants. Il ne devient pas philosophe pour autant mais s’attelle dès lors à la mission de dénoncer les philosophes pédants et les charlatans de tout acabit et ce, non sans un certain courage car on sait qu’il se fit de nombreux ennemis.

En 171, grâce à des appuis impériaux non négligeables, Lucien connaît l’apogée de sa course aux honneurs. Il obtient la charge prestigieuse de secrétaire, plus exactement d’archistrator du Préfet d’Égypte Statianus. Mais la chute de ce dernier qui avait soutenu la tentative de coup d’État d’un certain Cassius en 175 provoque inéluctablement le retrait de Lucien de ses fonctions administratives. Déjà d’un âge avancé, Lucien se lance de nouveau dans une série de conférences itinérantes, peut-être dans un but purement lucratif. Puis il revient à Athènes où il meurt aux alentours de l’année 192, à l’extrême fin du règne de Commode.

P15 Exercice autocorrectif n°2

Voici l’extrait d’un dialogue philosophique de Lucien, intitulé La double accusation ou les jugements. Cet extrait est d’inspiration autobiographique. Après l’avoir lu, répondez aux questions suivantes.

À quels moments de la vie de l’auteur ce passage fait-il allusion ?

 Expliquez en quoi ce passage présente une prosopopée après avoir cherché la définition de cette figure de style.

Que reproche précisément la Rhétorique à Lucien ?

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