Déroulement de l’étude
Classification des centres
Conformément à l’organisation française des centres de traumatologie, définie par le réseau TRENAU, la région Provence-Alpes-Côte d’Azur dispose de différents niveaux de centres selon les capacités de soins disponibles pour la prise en charge des patients traumatisés.
Pour rappel, un centre de niveau 1 est défini comme un établissement de soins disposant d’un service d’urgence, d’anesthésie réanimation spécialisée, de toutes spécialités chirurgicales, de radiologie interventionnelle et de moyens de transfusion massive 24h/24. Dans la région PACA, il s’agit notamment de l’AP-HM avec l’Hôpital Nord.
Un centre de niveau 2 est défini comme un établissement de soins disposant d’un service d’urgence, d’anesthésie réanimation, de chirurgie générale, de radiologie conventionnelle (scanner) et de moyens de transfusion massive 24h/24. On distingue parmi les centres de niveau 2, les centres disposant d’un plateau de radiologie interventionnelle 24h/24 (Niveau 2 embolisation ou Niveau 2a) et ceux disposant d’un plateau de neurochirurgie urgente avec possibilité d’évacuer un hématome extradural en urgence (Niveau 2 neuro ou Niveau 2b). Le
Centre Hospitalier de Martigues est un centre de niveau 2 (Annexe 1).
Recueil de données
Le recueil de données a été effectué à partir de plusieurs supports :
– Pour la réanimation et les urgences du Trauma-Center de niveau 1, Hôpital Nord : à partir de la base de données de traumatologie TraumaBaseÒ ou via les patients admis par le SMUR de Martigues aux urgences à partir du logiciel Terminal SMURÒ (TSMURÒ). Les données manquantes ont été complétées grâce aux dossiers patients informatisés via le logiciel AxigateÒ
– Pour la réanimation et les urgences du centre de niveau 2, Centre Hospitalier de Martigues : inclusion des patients admis par le SMUR de Martigues via le logiciel Terminal SMURÒ (TSMURÒ). Les données ont été complétées grâce aux dossiers patients informatisés via les logiciels CrosswayÒ et MolisÒ
Scores utilisés
Critères de Vittel (Annexe 2)
Les critères de Vittel représentent l’algorithme principal de triage utilisé en France depuis 2002 à l’initiative des « Journées scientifiques de SAMU de France ». Ils prennent en compte des variables physiologiques, des éléments de cinétique du traumatisme, des lésions anatomiques objectivées ou suspectées, des mesures de réanimations réalisées en pré-hospitalier et du terrain du patient. Le triage pré-hospitalier se fait actuellement essentiellement sur l’appréciation clinique dupraticien et surtout à partir des critères de Vittel.
Score Shock Index
L’intérêt du SI réside dans l’identification précoce des patients à risque de choc hémorragique, puisque dans la phase initiale compensatrice les paramètres vitaux (fréquence cardiaque, pression artérielle) peuvent ne pas être pathologiques. Le SI est calculé par le rapport entre la fréquence cardiaque (en bpm) et la pression artérielle systolique (en mmHg).
Il s’agit d’un score avant tout prédictif de choc hémorragique, coagulopathie et de transfusion massive. Un ratio > 0,9 est défini comme étant seuil de gravité (45).
Score ISS
Décrit pour la première fois en 1974, il s’agit d’un score anatomique côté de 0 à 75, dérivé de l’Abbreviated Injurity Score (AIS) (47). Le score AIS se calcule à partir du bilan lésionnel final en codant de 1 (mineur) à 6 (mortel) les lésions pour chaque région du corps.
Le score ISS se calcule à partir du carré des trois AIS les plus élevés. Par convention, si une lésion dans une région est codée 6, le score est alors d’emblée maximal à 75.
Il s’agit du score le plus utilisé dans la littérature pour juger de la gravité des lésions et notamment définir un patient traumatisé sévère par un score ISS > 15.
Objectifs de l’étude
Objectif principal
Les patients étaient considérés, selon l’orientation faite par le clinicien, sous-triés s’ils étaient adressés par l’équipe pré-hospitalière en centre de niveau 2 (CH Martigues) et décédaient et/ou avaient un ISS supérieur à 15 ; et sur-triés s’ils étaient adressés au centre de niveau 1 (Hôpital Nord) mais ne décédaient pas et avaient un ISS inférieur ou égal à 15. Il s’agissait ensuite de déterminer si les patients mal orientés, selon ce critère de jugement composite, auraient pu être admis dans le centre approprié par l’ajout d’un score et/ou des scores combinés.
Objectif secondaire
Les données épidémiologiques, cliniques, paracliniques et thérapeutiques ont été analysées selon les gradations de gravité en fonction des scores SI et MGAP afin de déterminer la valeur pronostique de ces deux outils.
Analyses statistiques
Les analyses statistiques ont été réalisées à partir du logiciel Sphinx IQ2. Les variables quantitatives ont été présentées sous forme de moyenne ou médiane avec l’écart interquartile. Les variables qualitatives l’ont été sous forme d’effectif et de pourcentage. La comparaison entre deux variables qualitatives (comparaison de pourcentages) a été évaluée à l’aide du test du Chi-deux de Pearson, ainsi que du test exact de Fisher pour les effectifs théoriques inférieurs à 5. Tous les tests ont été appliqués en situation bilatérale et leur significativité fixée à p < 0,05.
Résultats
Population étudiée
369 dossiers patients ont été initialement inclus à l’Hôpital Nord de Marseille, via le registre Traumabase® ou le TSMUR® du SMUR de Martigues. 21 dossiers ont été retirés car il s’agissait de doublons entre les deux registres, et 18 patients ont ensuite été exclus par manque de données ou s’agissant de patients mineurs.
A Martigues, via les dossiers TSMUR® du SMUR de Martigues, 58 patients ont été initialement inclus. Parmi ces 58 patients, 14 ont été exclus pour dossiers créés par erreur, doublon, patients mineurs ou identité manquante ; 13 exclus car transférés au SAU non médicalisés par une équipe de sapeur-pompiers et 2 par manque de données. Au total, 359 patients ont été inclus pour des hospitalisations entre le 01/01/2018 et le 31/12/2018, dont 330 (soit 91.9%) à l’Hôpital Nord et 29 patients (soit 8.1%) à Martigues.
Caractéristiques épidémiologiques de la population
Environ ¾ de l’effectif étaient des hommes, contre ¼ de femmes, sans différence statistiquement significative entre les deux centres.
La moyenne d’âge de 42,3 ans ([±18.7 ans]) était comparable dans les deux centres, avec des âges extrêmes de 18 ans et 96 ans. 49,3% de l’échantillon total avait entre 18 et 39 ans, 29,5% entre 40 et 59 ans, et 21,2% de plus de 60 ans.
Deux-tiers des patients provenaient du département des Bouches-du Rhône et un-tiers des départements limitrophes. 65% ont été médicalisés par voie terrestre contre 35% par voieaérienne (hélicoptère). Concernant le score ASA, sur les deux centres 68.5% des patients étaient codés ASA-1, 23.4% ASA-2 et 6.4% ASA-3, sans différence statistiquement significative de répartition entre les deux centres. Presque 1 patient sur 2 n’avait aucun antécédent (46%), avec statistiquement plus de patients sans antécédent à Martigues (p < 0,01).
On peut noter que le principal antécédent étant la présence de facteurs de risques cardiovasculaires (19,2% des cas). Seul 1.1% des patients avaient déjà un antécédent de traumatisme sévère et tous ont été admis au centre de niveau 1. Autant de patients à l’Hôpital Nord qu’à Martigues étaient sous anticoagulants (3,3% en moyenne) et sous antiagrégants plaquettaire (6,4%).
L’ensemble des données comparatives entre Marseille et Martigues figure dans le Tableau 1.
Mécanisme du traumatisme
90.3% des traumatismes étaient non pénétrants contre 9.7% de traumatismes pénétrants, sans différence statistiquement significative entre les structures d’accueil. Il n’y avait pas non plus de différence entre les deux centres concernant la période de survenue du traumatisme, avec au total 54% des patients pris en charge pendant la période de garde contre 46% la journée. Plus d’un patient sur cinq (22% des patients) avaient une alcoolémie positive (> 0.5g/l) au moment de leur prise en charge. Dans environ 1 cas sur 4, le principe de la Golden-Hour n’a pas pu être respecté en pré-hospitalier.
Caractéristiques cliniques et paracliniques des patients
Un peu moins d’un quart (22.3%) des patients étaient annoncés instables suite à leur prise en charge initiale, et 3.3% étaient en arrêt cardio-respiratoire lors de leur prise en charge préhospitalière. Tous ont été adressés au centre de niveau 1. Sur les deux structures, sans distinction statistique, 35% des patients étaient tachycardes à l’arrivée du SMUR avec 13.6% des patients hypotendus et 62.4% des patients normo-tendus. (Tableau 3). Ainsi, 27% des patients sur les deux centres avaient un score de SI supérieur à 0.9, avec majoritairement plus de patients dans la catégorie SI grave à l’Hôpital Nord qu’à Martigues(p=0,01), Figure 1.
Évolution intra-hospitalière des patients
A l’admission en réanimation ou aux urgences, un drainage thoracique au déchoquage a été nécessaire avant la réalisation du TDM corps entier pour 6.7% de notre échantillon et 2.8% des patients ont dû aller au bloc opératoire ou à la radiologie interventionnelle avant d’avoir pu effectuer le bilan lésionnel complet. Tous étaient des patients du trauma-center. Qu’il s’agisse du centre de niveau 1 ou de niveau 2, presque 50% des patients (p = 0,26) ont dû être pris en charge au bloc opératoire dans les 24h après leur admission (52% des blocs étant liés à une prise en charge orthopédique, 22% de neurochirurgie, 15% de chirurgie viscérale, 7% de radio-interventionnel et environ 5% respectivement pour la CMF, chirurgie vasculaire et thoracique).
Parmi les traumatisés crânien confirmés au scanner, 20% ont présenté une HTIC et dans 7% des cas le score de Glasgow à la sortie était inférieur à 14.
En sortie d’hospitalisation, le score Glasgow moyen des patients était comparable dans les deux centres (14,6 à l’Hôpital Nord contre 14,9 à Martigues, p = 0,09). Concernant les 6 patients présentant un rachis neurologique, 1 patient a présenté une récupération neurologique objectivée avant la sortie avec un score ASIA prenant plus de 10 points comparativement au score ASIA initial. Parmi les patients mis sous ventilation mécanique, 19 ont présenté un SDRA et 3 ont eu une trachéotomie, la totalité étant des patients du trauma-center.
Le nombre de jours moyen de ventilation mécanique par patient était supérieur à l’Hôpital Nord (3,6 jours) comparativement à Martigues (0,21 jours, p = 0,11).
A noter qu’aucun patient de notre étude n’a été mis sous ECMO artério-veineuse ou veinoveineuse. Seuls 2 patients du trauma-center ont eu une épuration extra-rénale, et aucun à Martigues. Devant des données manquantes et un nombre de sujets insuffisants, il n’a pas été possible de conclure à une différence statistiquement significative concernant les infections, chocs septiques et acquisitions de BMR. Parmi les patients ayant eu une infection au cours de leur prise en charge, 76% des sepsis étaient de cause respiratoire (15% de cause urinaire, 15% d’infection de site opératoire, 15% de cause abdominale, 6% d’infection sur cathéter et 3% de méningite). 57% des patients inclus avaient un score IGS < 30, soit une mortalité estimée à < 10%, dont 100% des patients de Martigues (p< 0,01), alors que plus de 50% des patients de l’étude avaient un score ISS inférieur à 15 (51%). Le score ISS moyen était significativement différent selon les centres (18,7 pour le centre de niveau 1 contre 7,1 pour celui de niveau 2, p < 0,01) avec un taux plus important de patients avec un ISS > 15, donc de traumatisés sévères, à l’Hôpital Nord (p < 0,01), Figure 3.
Ces données comparatives entre les deux centres sont notifiées dans le Tableau 4.
Figure 3 – Score ISS 3.9% des patients ont été transférés secondairement essentiellement pour rapprochement familial ou plateau technique insuffisant (exemple : chirurgie plastique, chirurgie de la main). 3 patients sur 5 sont sortis en service conventionnel, 1 patient sur 5 directement au domicile et environ 2% en centre de rééducation et 2% dans une autre réanimation.