LE RATTACHEMENT A UNE APPROCHE DUALISTE DU DROIT DE PROPRIETE
Actuellement, le paradoxe inhérent aux droits de jouissance à temps partagé provient du fait que l’institution a été « empruntée » à un système juridique profondément différent du droit français. Le seul rapprochement qui pourrait être fait serait avec le droit féodal. La terre du seigneur se distinguait du fief du vassal. Ainsi, le seigneur était propriétaire de la terre, tandis que le vassal ne détenait qu’un droit de jouissance. Le droit de Common Law différencie la terre de la Reine des droits acquis par ses sujets. Toutefois, s’agissant du fief du vassal, l’évolution de ce droit semble aboutir à une inversion des qualifications. Selon PLANIOL, RIPERT et PICARD : « […] simple droit personnel à l’origine, le fief du vassal devenu héréditaire, s’était transformé au bout de plusieurs siècles en un vrai droit de propriété […] »474. La situation du vassal et celle de l’acquéreur de droits de jouissance à temps partagé semblent similaires et la transformation du droit détenu par le vassal serait pleinement applicable au domaine qui nous intéresse475. Historiquement prouvé en droit français, le changement du droit personnel en un véritable droit de propriété est, sans nul doute, réalisable, d’une part, il est également démontré que cette dichotomie établie entre le fief du vassal et les terres du seigneur aboutit à une reconnaissance du droit de propriété en faveur du vassal, d’autre part. 204. Fort de ce rapprochement, on pourrait envisager que les prérogatives de jouissance et d’occupation du bien constituent un droit de créance.
Mais ce serait un droit accessoire d’un droit principal qui serait un droit de propriété476. En effet, si le bénéficiaire jouit effectivement de ses prérogatives de jouissance et d’occupation pendant une période déterminée, l’essence de son droit existe tout au long de l’année, même s’il est en sommeil. Ses caractéristiques s’expriment pendant une période donnée et choisie par l’acquéreur. Il est vrai que la conception du droit de propriété anglo-saxon et celle du droit de propriété français sont aux antipodes l’une de l’autre. Le droit français, par l’article 544 du Code civil, est viscéralement attaché à un droit absolu sur la chose caractérisé par l’usus, le fructus et l’abusus. Or, les droits de jouissance à temps partagé ne remplissent pas, à première vue, l’intégralité de cesspécificités. Sans doute le titulaire de droits de jouissance à temps partagé ne peut détruire la chose et ne pas non plus la modifier dans son aménagement. C’est la raison pour laquelle il semblerait légitime de n’y voir qu’un droit d’occupation. Mais ce serait sans doute une erreur de conception et d’interprétation. En effet, la limite des prérogatives du titulaire de droits de jouissance à temps partagé, durant sa période de jouissance, ne tient pas au simple droit d’occupation ou de jouissance, mais plutôt au fractionnement de la jouissance induite par la présence de multiples propriétaires, ou acquéreurs de droits de jouissance à temps partagé. Les titulaires de ces droits sontsusceptibles d’être assimilés à des propriétaires, parce que la nature juridique du droit de jouissance à temps partagé suppose d’appliquer la notion de propriété : certes, un droit de propriété limité dans l’exercice de ses prérogatives, mais droit de propriété néanmoins. Il nous a été donné d’observer que la théorie du droit de propriété semble se prêter à l’analyse des droits de jouissance à temps partagé. De surcroît, la définition classique du droit de propriété semble couvrir, dans son ensemble, les attributs des droits de jouissance à temps partagé477.
UNE DUALITÉ ÉTABLIE
Le trust présenterait ainsi une utilité évidente dans le domaine des droits de jouissance à temps partagé (§ 2). Néanmoins, afin de saisir l’esprit de ce mécanisme, il convient d’évoquer l’originalité de la conception du système de Common Law (§ 1) et plus précisément la spécificité des corps de règles.
L’originalité de la conception du système de Common Law
Dans un premier temps, la Common Law fut créée afin de contrebalancer la multiplicité des coutumes existantes. La Common Law correspond ainsi au droit commun, elle symbolise la règle unique488. Elle est composée des décisions de justice de la Cour royale de Westminster et des lois royales. La création de cette Cour et de la Common Law ont conduit à uniformiser le droit sur le territoire. Toutefois, au cours de son utilisation par le juge, elle tendit à se cristalliser. En effet, la souplesse dont faisait preuve les juges dans l’appréciation des actions qui leur étaient soumises a conduit de puissants barons du Royaume à intervenir auprès du Roi, afin de rigidifier l’interprétation de la Common Law. C’est ainsi que des décisions plus ou moins injustes ont été rendues. La procédure permettait alors au justiciable insatisfait de saisir le Roi afin de nuancer la décision rendue. Cette évolution de la procédure a conduit à la création de l’Equity489. Ce système correspondait à celui appliqué par le préteur romain. Dans le système de Common Law, l’application de l’Equity incombait au Chancelier. Les qualités principales d’une telle fonction reposaient sur des considérations de moralité, d’honnêteté de conscience et de conception du bien ou du mal. L’Equity venait corriger la rigidité de la Common Law. Elle s’est considérablement développée au XVIème siècle jusqu’à être reconnue comme une véritable juridiction comprenant un corps de règles complet.
L’origine et le fonctionnement des droits de jouissance à temps partagé procèdent directement de la perception de ces droits par les Etats de Common law. L’originalité que l’on attribue aux droits de jouissance à temps partagé est en liendirect avec la conception du droit de propriété de ces Etats. C’est pourquoi, il est indispensable de concevoir le trust au sein de l’exploitation de ces droits. Néanmoins, le trust est entièrement étranger au système de droit romano-germanique, ceci pour deux raisons essentielles : le principe de l’unicité du patrimoine et la conception singulière du droit de propriété. Toutefois, le droit français connaît la notion de patrimoine d’affectation, notamment par le biais de la fondation490. En règle générale, l’utilisation du trust s’est banalisée tant en droit commercial, qu’en droit des successions, mais son utilité est également avérée dans le domaine des droits de jouissance à temps partagé. La différence d’appellation entre trust et club trustee est due à la nuance apportée dans le fonctionnement de ces droits. Le club trustee ressemble davantage à ce que le droit anglais a connu avec l’use491. La différenced’avec le trust est ténue.
La conception originale des droits de jouissance à temps partagé conduit, dans un premier temps, à les rapprocher de certaines structures existant dans les pays de civil Law, afin de procéder à la transposition de ce mécanisme. L’éventuel rapprochement serait issu d’un compromis entre le système de Common Law et celui de Civil law. L’adaptation du club trustee en droit français doit être abordée principalement sous l’angle de l’adaptation du trust en civil law. C’est la raison pourlaquelle il convient de s’intéresser aux règles de fonctionnement du trust, afin de conclure à son éventuelle utilité dans le domaine de notre étude.
L’utilité du trust au sein des droits de jouissance à temps partagé
Selon Monsieur LEPAULLE : « Le trust est l’ange gardien de l’Anglo-Saxon, il l’accompagne partout, impassible, depuis son berceau jusqu’à sa tombe. Il est à son école comme à une association sportive, il le suit le matin à son bureau comme le soir à son club ; il est à ses côtés le dimanche à l’église ou au comité de son groupe politique ; il soutiendra sa vieillesse jusqu’à son dernier jour, puis il veillera au pied de son tombeau et étendra encore sur ses petits-enfants, l’ombre légère de ses ailes »492. Par conséquent, le système de Common Law est imprégné du trust qui porte en lui cette dimension duale. Pour faciliter l’exploitation de ces droits, le club trustee apporte éventuellement plus de souplesse, mais il ne faut pas oublier que ce club trustee procède directement du trust.
Le régime juridique du trust
L’approche historique du trust via le use permet de souligner qu’il est extrêmement réducteur et inexact de qualifier le trust de démembrement depropriété. Le legal estate et l’equitable estate sont distincts dans leur acception, mais sont intrinsèquement liés en raison de leur finalité. Ces deux droits portent sur un même objet : un immeuble. La jouissance qu’engendre l’equitable estate ne peut se rapprocher de la définition française de cette notion. La jouissance issue de l’equitable estate correspond à un véritable droit de propriété, comme le legal estate, puisque le but du trust est de transmettre, à terme, la propriété. Ce n’est pas parce que le legal estate et l’equitable estate portent sur deux personnes différentes, qu’il convient de conclure à un démembrement du droit de propriété. Ainsi, au sein du trust, le trustee détient le legal estate alors que le bénéficiaire, c’est-à-dire le cestui que trust, est titulaire de l’equitable estate. Les démembrements de propriété susceptibles d’être relevés en droit français ne sont pas assimilables au trust. En effet, le trust est un mécanisme juridique issu de la pratique permettant un fractionnement du droit de propriété. La définition du trust varie selon qu’il est appréhendé par des juristes anglosaxons ou par des juristes de culture romano-germanique.
La subsomption du club trustee
L’exposé précédent relatif au trust était nécessaire afin de poser les grands principes juridiques anglo-saxons permettant d’appréhender l’architecturejuridique du club trustee de manière plus sereine. Bien que le club trustee se rapproche très étroitement du mécanisme du trust anglo-saxon, les relations juridiques entre les différents sujets de droit se complexifient quelque peu, puisque la résidence de vacances à temps partagé suppose, nonobstant, la gestion du resort526, la vente des droits d’occupation.
Préalablement à l’analyse du fonctionnement du club trustee, il convient de définir la notion de resort. La vision contemporaine du resort par lesprofessionnels du tourisme s’inscrit surtout dans l’illustration d’un concept touristique innovant. Ils envisagent cette notion comme « une organisation d’autosuffisance avec une animation plurisportive, d’activités conviviales tournées vers le shopping, la culture ou la nature. De plus en plus, un resort doit être piétonnier, station village, lieu de rencontre qui préfigure le tourisme de demain ».
UNE DUALITÉ OPPORTUNE
L’intégration du trust en droit français, ne serait-ce que par le biais de la fiducie, a sans cesse été rejetée. Cette tendance conduirait à penser, à tort, que la transpositon du trust en droit français, et plus largement dans un Etat relevant du système de droit romano-germanique, est impossible. La position d’autres Etats membres de l’Union européenne démontre le contraire. En effet, il n’existe pas d’obstacles majeurs, en droit français notamment, justifiant le refus d’une telle adaptation (§ 1). De plus, le trust constitue un schéma juridique qui s’exporte, puisque les Etats de droit musulman, précisément en matière de droits de jouissance à temps partagé, utilisent la fondation comme mode d’exploitation (§ 2). Le fait que les Etats de droit musulman utilisent cette forme juridique alors que le système de droit constitue un système de droit propre, différent du système de Common Law et du système romano-germanique, légitime les diverses pistes de réflexion en vue d’une transposition du schéma fiduciaire en droit français.
Absence d’obstacles majeurs à la réception de la fiducie dans les Etats relevant du système romano-germanique
La loi française du 19 février 2007 instituant la fiducie confirme l’absence d’obstacles majeurs en droit français (1), ceci est renforcé par l’analyse du contrat de mandat (2) et de la stipulation pour autrui (3).
Une confirmation apportée par la loi du 19 février 2007
L’élément principal empêchant toute idée de transposition de la fiducie en droit français jusqu’à la loi du 19 février 2007, quelque peu restrictive, était constitué par le principe de l’unité du patrimoine535, principe défendu par AUBRY et RAU. Or, cette thèse procède d’une analyse précédente réalisée par ZACHARIAE.
Cependant, AUBRY et RAU ont interprété ce postulat et ont ajouté le caractère immuable de l’indivisibilité et de l’unité du patrimoine. Cette théorie, devenue un véritable dogme, interdisait toute référence au patrimoine d’affectation. Toutefois, Madame Anne-Laure THOMAT-RAYNAUD considère que la divisibilité du patrimoine est envisageable et réalisable. En effet, cette théorie, émise par ZACHARIAE, ne pose aucun obstacle au patrimoine d’affectation536. De plus, l’auteur fait référence à la notion fonctionnelle de l’affectation défendue dans la thèse du Professeur GUINCHARD. Selon Madame THOMAT-RAYNAUD, le principe d’unité du patrimoine n’empêche pas la divisibilité de celui-ci. En effet, les éléments composant l’ensemble du patrimoine peuvent être différents sans remettre en cause les propriétés de l’ensemble. En ce sens, la fiducie est pleinement envisageable en droit français, sans s’opposer au principe de l’unité du patrimoine, une simple interprétation de ce principe suffit537.