Mesuƌes sĠĐuƌitaiƌes et dƌoits de l’hoŵŵe

Mesures sécuritaires et droits de l’homme

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les programmes électoraux du parti travailliste promettaient de garantir les droits des citoyens, avec un accent particulier mis sur les droits de la défense dans les procès1 . D’ailleurs, la mise en place du Human Rights Act très rapidement après l’arrivée au pouvoir des travaillistes, comme le développement des lois antidiscrimination, montrent un attachement apparent à ces libertés. Pourtant, très rapidement, les travaillistes ont pris des mesures qui ont donné un caractère de plus en plus sécuritaire à leur gouvernement en limitant certaines libertés individuelles2 . La recrudescence du terrorisme islamiste, et en particulier les attentats du 11 septembre 2001 à New York ou du 7 juillet 2005 à Londres, a joué un rôle majeur dans ce développement, mais ce n’est pas la seule cause du développement de ces mesures. Si la lutte contre le terrorisme a certes constitué une des raisons de la création et du renforcement des pouvoirs de la police, la lutte contre la criminalité en général a elle aussi justifié des politiques qui ont limité de plus en plus certaines libertés des citoyens. Pour autant, cette politique n’a pas été mise en place sans résistances. Au sein de l’opposition officielle comme au sein du parti travailliste, nombreuses ont été les voix qui se sont élevées contre l’accroissement des mesures sécuritaires. Certaines de ces objections ont permis l’amendement des projets de loi, en forçant la disparition de mesures particulièrement contestées, comme celles de la longueur de la détention préventive dans les affaires de terrorisme. Par conséquent, les effets des mesures sécuritaires prises par les gouvernements travaillistes sur les droits de l’homme ont été un enjeu crucial du débat politique national, particulièrement dans le cadre de la mise en place de mesures antiterroristes. Nous verrons dans un premier temps quels ont été les principaux changements législatifs et dans quelle mesure ils affectent les droits de l’homme. Nous nous attacherons en particulier à étudier l’influence de la CEDH. En effet, elle a condamné le Royaume-Uni dans certaines affaires qui se sont révélées symboliques. Pourtant, son influence directe a été minimale, elle s’est appliquée par l’intermédiaire de la Chambre des Lords. Dans le domaine du maintien de l’ordre, la CEDH a eu un rôle dans le débat, sans souvent qu’il soit décisif et sans pouvoir empêcher la multiplication des mesures sécuritaires. Les argumentations dans le domaine des mesures sécuritaires ont souvent été construites en termes de droits présentés comme opposés. Les débats mentionnent fréquemment un équilibre à atteindre entre deux pôles, celui du droit à la vie et à la sécurité. Le discours médiatique en particulier s’approprie cette métaphore. Pourtant, il serait trompeur de s’arrêter à cet argument : la sécurité et la liberté ne sont pas deux poids dans une balance, elles s’imbriquent de manière bien plus complexe et n’affectent pas toute la population de la même manière. Enfin, nous étudierons plus en détail les débats autour du Terrorism Act 2006, texte de loi voté en réaction aux attentats à Londres, et ceux autour du Counter Terrorism Act 2008. En effet, ces deux textes ont été profondément modifiés au cours de débats parlementaires féroces. En 2006, le gouvernement travailliste a subi sa première défaite parlementaire sur le sujet de la durée maximale de la détention sans inculpation. En 2008, Gordon Brown a voulu, lui aussi, allonger cette durée, pour subir un échec retentissant. Pourquoi cette mesure en particulier a-telle cristallisé l’opposition ? Nous verrons qu’il s’agit non seulement d’une question d’attachement à des libertés civiles perçues comme spécifiquement britanniques, mais également d’une réaction politicienne, entre débats internes au sein d’un parti travailliste affaibli qui tentait de s’approprier le terrain de la sécurité et l’opposition, qui se mobilisait pour se faire la championne des libertés.

La multiplication des lois sécuritaires

Le début du XXIe siècle a été marqué, au Royaume-Uni, par l’explosion du nombre de lois relatives à la sécurité des individus : augmentation des pouvoirs de police, définition de 157 nouveaux délits, renforcement des mesures antiterroristes, une cinquantaine de lois ont été mises en place en dix ans3 , dont certaines ont causé des transformations importantes du droit (voir Table 1). Il s’agit de textes dont le but premier est de protéger la population contre des menaces plus ou moins violentes contre leur vie, leurs biens ou leur tranquillité. A ce titre, les gouvernements néo-travaillistes ont parfois été accusés d’être des gouvernements liberticides4 . La plus grande source de lois restrictives a été la lutte contre le terrorisme, et en particulier le terrorisme islamiste. Ce type d’atteinte à la sécurité de la population est de nature différente de la criminalité de droit commun et a entraîné cinq textes en moins de dix ans qui visaient exclusivement à prévenir les attentats et punir leurs auteurs. A ce débat national s’ajoute l’influence des institutions européennes. En effet, la CEDH a eu à se prononcer plusieurs fois sur la législation sécuritaire, dessinant les contours de la marge d’appréciation laissée aux États dans un domaine dont le gouvernement considérait qu’il relevait essentiellement de la souveraineté nationale. Une étape européenne s’ajoute donc aux processus nationaux de décision.

Renforcement des mesures sécuritaires et droits de l’homme 

Les gouvernements néo-travaillistes ont renforcé les pouvoirs de police, soit en créant de nouveaux délits, soit en étendant les pouvoirs déjà existants, parfois au prix de limitations à l’application des droits de l’homme. Si les critiques n’ont pas manqué, elles n’ont pas atteint leur objectif et les lois de lutte contre la criminalité ont été largement acceptées et ne sont pas remises en question. Si certains activistes condamnent les lois sécuritaires des gouvernements néotravaillistes en les accusant d’empiéter sur les libertés civiles des Britanniques, cela n’est cependant pas une évolution particulièrement récente de la politique britannique. En effet, le tournant sécuritaire a été opéré bien avant l’arrivée de Tony Blair au pouvoir. Par exemple, Keith Ewing et Conor Gearty, deux juristes spécialisés dans les droits de l’homme, avaient déjà publié en 1990 un ouvrage qui s’attaquait violemment aux politiques thatchériennes  . Ils leur reprochaient d’avoir favorisé une approche hyper-sécuritaire qui renforçait les pouvoirs de la police (par exemple avec des mesures visant au maintien de l’ordre face aux manifestations, permettant l’interception de télécommunications, ou en adoptant une ligne ferme contre le terrorisme nord-irlandais) au détriment de la défense des libertés des citoyens. Keith Ewing avait poursuivi une analyse juridique similaire en 2009, cette fois sur les lois néo-travaillistes . Ces mesures sécuritaires favorisées par les gouvernements Blair puis Brown s’inscrivaient donc dans une dynamique de longue durée. En effet, à leur arrivée au pouvoir, les travaillistes n’ont pas remis en question les politiques qui avaient été mises en place par les gouvernements Thatcher et Major. Au contraire, leur programme politique ne promettait nullement de revenir sur certaines mesures, il indiquait plutôt que les lois allaient être renforcées. Tony Blair souhaitait montrer une ligne ferme sur la question de la sécurité, habituellement plus associée au parti conservateur. Le programme électoral de 1997 accusait les gouvernements conservateurs d’avoir causé une hausse de la criminalité : Sous les conservateurs, le taux de criminalité a doublé, et de plus en plus de criminels ne sont pas punis : le nombre de personnes condamnées a diminué d’un tiers et seul un crime sur 50 mène à une condamnation. C’est le pire bilan d’un gouvernement depuis la Seconde Guerre mondiale  .

La spécificité de l’antiterrorisme

L’accroissement des pouvoirs de police a été particulièrement intense dans les mesures antiterroristes, dont le caractère exceptionnel a permis la mise en place de méthodes draconiennes. Les lois se sont multipliées, même si elles ont fait l’objet de discussions plus nombreuses et d’une opposition parlementaire plus efficace, avec un argumentaire souvent fondé sur leurs conséquences possibles sur les droits de l’homme. La lutte contre le terrorisme est différente de la lutte contre la criminalité en général car le terrorisme possède des caractéristiques qui lui sont propres. C’est une catégorie spécifique du droit qui justifie des mesures d’exception par rapport au droit commun. Pourtant, aucune définition générale du terrorisme n’a été acceptée par tous les acteurs au niveau international. Certaines caractéristiques permettant une définition a minima ont cependant été identifiées. « L’essence [du terrorisme] est une relation tripartite dans laquelle des acteurs (les terroristes) cherchent à avoir un impact sur une cible (les victimes spécifique) dans le but d’influencer un public politique (habituellement le gouvernement ou l’opinion publique ). » Dans cette définition, la cible visée par le terroriste est différente du but qu’il poursuit, ce qui rend plus compliquée l’utilisation de méthodes classiques de maintien de l’ordre. S’ils ne relèvent pas du droit commun, les terroristes ne relèvent pour autant pas du droit de la guerre non plus : les suspects de terrorisme ou les terroristes condamnés ne peuvent donc pas se prévaloir des accords de Genève sur les prisonniers de guerre . Or, c’est précisément dans les mesures d’exception prises pour lutter contre cette catégorie exceptionnelle de criminalité que se jouent les violations les plus visibles des droits de l’homme. Les lois antiterroristes britanniques ne sont pas nées au début des années 2000, avec la montée en puissance du terrorisme islamiste. Elles ont commencé à être mises en place afin de lutter contre le terrorisme en Irlande du Nord, en premier lieu après la partition de l’île en 1921. Le premier texte antiterroriste dans ce contexte est le Civil Authorities (Special Powers) Act 1922, plus couramment appelé Special Powers Act, qui a constitué la base de la législation antiterroriste qui a été renouvelée, et réformée régulièrement, mais qui est encore utilisée aujourd’hui44. Par exemple, cette loi a interdit l’adhésion à certains groupes considérés comme terroristes, et la structure qui a permis d’interdire des organisations avec le Terrorism Act 2000 trouve son origine dans le Special Powers Act  . Ainsi, les politiques britanniques en Irlande du Nord ont servi à former les politiques sécuritaires sur l’ensemble du territoire depuis plus d’un siècle46 . Cette filiation n’a pas échappé aux acteurs politiques qui se sont servi de cette comparaison dans leurs discours et leurs analyses. Ils ont fréquemment recours à ce précédent nord-irlandais quand il s’agit de débattre de mesures antiterroristes. Ainsi, le traitement des détenus et des suspects de terrorisme est régulièrement comparé à la situation en Irlande du Nord, particulièrement à la période la plus intense des attentats. Les parlementaires mobilisaient cette mémoire de l’antiterrorisme en Irlande du Nord lors des débats sur les conséquences sur les droits de l’homme des projets de loi antiterroristes. Ceux qui les soutenaient rappelaient que les attentats ont fait de nombreuses victimes, ce qui justifiait les mesures d’urgence. Par exemple, Lord Bassam of Brighton, pair travailliste qui représentait le gouvernement à la Chambre des Lords lors du passage du Terrorism Bill en 2000, rappelait combien de victimes le terrorisme avait faites, en dépit de mesures législatives qu’il présentait comme efficaces : Malgré l’espoir, en 1974, que le besoin de législation antiterroriste serait de courte durée, ces pouvoirs, amendés et complétés, restent en place un quart de siècle plus tard. Entre temps, plus de 2 500 personnes sont mortes au Royaume-Uni en conséquence du terrorisme irlandais et international. Il ne fait aucun doute que le bilan aurait été encore plus lourd sans les pouvoirs antiterroristes.

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