Mesure de force et électrophysiologie en présence de peptides pénétrants

Télécharger le fichier original (Mémoire de fin d’études)

Découverte des CPPs et catalogue

La découverte des peptides pénétrants ou CPP (ou encore peptides « troyens ») remonte à la fin des années 1980, début des années 1990 avec l’étude de la protéine Tat issue du virus VIH [Frankel and Pabo, 1988] et l’homéodomaine de la protéine Antennapedia (pAntp), un facteur de transcription de la Drosophile melanogaster [Joliot et al., 1991]. Il est alors découvert que ces protéines ont la capacité de franchir la barrière membranaire et d’entrer dans les cellules vivantes. Par la suite, la séquence minimale d’acides aminés issus de Tat et de pAntp (alors nommée Pénétratine) pour assurer l’internalisation dans les cellules a été déterminée et d’autres nombreux CPP ont été découverts. Il est possible de les classer en deux catégories, ceux issus de protéines, les CPP « naturels » (tels que Tat et la Pénétratine) et ceux « synthétiques », créés en laboratoire (tableau I.1). Les CPP sont de petites protéines qui sont rarement constituées de plus d’une trentaine d’acides aminés. Ce sont des molécules chargées positivement pour la plupart qui sont capables de traverser la membrane cellulaire et qui conservent cette propriété lorsqu’ils sont couplés (de façon covalente ou non) à une cargaison telle qu’un brin d’ADN, une autre protéine, des nanoparticules ou des vésicules. Ils sont capables d’entrer dans les cellules par l’intermédiaire de mécanismes dépendants ou non de l’ATP sans nécessairement de reconnaissance par des récepteurs comme nous le verrons au chapitre I.3 suivant.
Les CPP sont donc constitués en partie de résidus basiques chargés positivement per-mettant ainsi une première interaction électrostatique avec la membrane et le glycocalyx qui présente des charges négatives dues aux polysaccharides comme nous l’avons vu précédem-ment. Notamment, l’arginine, acide aminé chargé négativement (figure I.4 (A)), semble être crucial pour le caractère pénétrant d’un peptide (ce point est rediscuté plus loin dans ce chapitre, cf b)). Futaki et al. [Futaki et al., 2001] ont pu noter que les peptides pénétrants les plus efficacement internalisés sont riches en arginine. De plus, un caractère amphiphile est également souvent présent chez les CPP, une partie de leur séquence présente ainsi des acides aminés hydrophobes. Ainsi le tryptophane, acide aminé hydrophobe (figure I.4 (B)) semble également être un acide aminé important chez les CPP. Bechara et al. [Bechara et al., 2013] ont pu déterminer que l’affinité des CPP pour les chondroïtines sulfate et les héparanes sulfate augmente avec le nombre de tryptophanes et que de plus, l’internalisation est plus ef-ficace lorsque les tryptophanes sont plus nombreux dans la séquence des peptides pénétrants.

Les CPP naturels

Tat

Le peptide pénétrant Tat est, comme nous l’avons dit, un dérivé d’une protéine du virus de l’immunodéficience humaine (VIH-1). Il s’agit des résidus 48 à 60 de la protéine Tat complète comprenant 86 acides aminés qui est impliquée dans le processus de réplication du VIH. Elle permet notamment d’activer l’expression des gènes viraux dans la cellule hôte. Frankel et Pabo ont été les premiers à observer l’internalisation de la protéines entière dans des cellules [Frankel and Pabo, 1988]. Ils ont en effet eu la surprise d’observer que Tat (à une concentration aussi faible que 1 nM) était capable de traverser la membrane cellulaire sans aucun traitement physique ou chimique des cellules. L’utilisation de la chloroquine en présence de Tat marqué radioactivement à 125I a permis de montrer une augmentation de l’internalisation de la protéine et son accumulation au niveau du noyau. Or la chloroquine est une substance qui inhibe l’acidification des endosomes et donc la dégradation des protéines dans les lysosomes. N’étant plus dégradée dans les endosomes, Tat a pu s’accumuler dans le noyau, il s’agit donc d’une preuve indirecte que l’entrée dans la cellule se fait en partie par endocytose. Son caractère de peptide pénétrant a été testé par Fawell et al. sur les séquences en résidu 1 à 72 et 37 à 72 de la protéine Tat complète [Fawell et al., 1994]. Ils ont observé l’internalisation de diverses cargaisons couplées à Tat après injection par intraveineuse dans une souris (la β-galactosidase, la horseradish peroxidase, la RNase A et d’une exotoxine de Pseudomonas). La séquence présentée dans le tableau I.1 est la plus courte séquence présentant des capacités d’internalisation issue de la protéine entière [Vives et al., 1997]. Tat est un des CPP parmi les plus utilisés aussi bien pour l’étude des mécanismes d’internalisation que pour son usage thérapeutique en temps qu’agent de vectorisation.
Fig. I.5 Représentation tridimensionnelle à l’aide du logiciel Chimera de la Pénétratine structurée en hélice α, structure qu’elle acquiert au voisinage d’une bicouche lipidique. La structure des résidus chargés (lysine en bleu clair et arginine en bleu foncé) est détaillée. Figure réalisée à partir du logiciel Chimera par Pauline Géhan.

La Pénétratine

La Pénétratine est une séquence de 16 acides aminés issue de la troisième hélice de l’ho-méodomaine d’Antennapedia. Antennapedia est un facteur de transcription qui régule donc l’expression des gènes, l’homéodomaine correspondant à la partie de la protéine (générale-ment une soixantaine de résidus) structurée en hélices alpha qui est capable de se lier à l’ADN.
C’est en 1991 que Joliot et al. observent que l’homéodomaine d’Antennapedia qu’ils ont synthétisé, pAntp, est internalisé efficacement et spontanément par des neurones en culture n’ayant subi aucune préparation particulière (telle que la « trituration ») [Joliot et al., 1991]. Ils constatent que pour 2 × 104 neurones et 0, 25 à 2 µg de pAntp (une quantité supé-rieure étant toxique) la protéine est internalisée et s’accumule dans le noyau provoquant la croissance des neurites. Par la suite, Derossi et al. ont déterminé la séquence minimale de la Pénétratine permettant son internalisation [Derossi et al., 1994] (tableau I.1). Ils ont observé que la Pénétratine, tout comme pAntp, pouvait être internalisée par les cellules à 4˚C, température à laquelle l’endocytose est inhibée, suggérant ainsi qu’il devait exister un autre mécanisme. La séquence de la Pénétratine contient 7 charges positives dues aux résidus arginines et lysines qui la composent mais également deux tryptophanes (en position 6 et 14) qui lui confèrent également un caractère hydrophobe. Cependant l’internalisation de ce peptide ne peut pas être expliquée par le seul caractère hydrophobe des tryptophanes car Derossi et al. ont prouvé que la substitution de ces deux acides aminés par deux phénylala-nines (également hydrophobes) supprime la capacité d’internalisation de la Pénétratine dans les cellules. La Pénétratine est un CPP non structuré en solution mais qui va former une structure secondaire en hélice alpha (figure I.5) lors de son interaction avec les membranes no-tamment lorsque celles-ci présentent des lipides chargés négativement ([Maniti et al., 2010]).
Cette conformation et sa séquence en acides aminés lui confèrent un caractère amphiphile : les charges se retrouvant majoritairement sur une face de l’hélice et les résidus hydrophobes (tryptophanes) sur l’autre (figure I.6). Il est probable que ce repliement de la Pénétratine au contact des membranes joue un rôle majeur dans les mécanismes d’internalisation de ce CPP.
Fig. I.6 Représentation en projection de la structure en hélice alpha de la Pénétratine et de R10W6 parfois appelé Pénétratine synthétique. Les résidus en vert et jaune sont les acides aminés hydrophobes (respectivement fortement et faiblement hydrophobe), les résidus en rouge sont les acides aminées hydrophiles et les pentagones bleus représentent des résidus potentiellement chargés positivement. (A) Pour la Pénétratine on remarque que le partie inférieure de l’hélice présente un caractère hydrophobe et la supérieure un caractère hydro-phile. (B) Ce caractère est encore plus marqué avec R10W6. Figure réalisée à partie du site http ://rzlab.ucr.edu/.
L’importance des résidus arginines dans les séquences des peptides pénétrants a égale-ment été démontrée en utilisant la Pénétratine [Åmand et al., 2008]. Amand et al. mesurent la quantité de peptide internalisé dans des cellules CHO-K1 et comparent la Pénétratine avec penArg (RQIRIWFQNRRMRWRR, où les lysines sont remplacées par des arginines) et penLys (KQIKIWFQNKKMKWKK, où les arginines sont remplacées par des lysines). L’internalisation est observée pour des concentrations de peptide à 1 µM, 5 µM et 10 µM. Pour chacune des concentrations, les auteurs de l’étude constatent qu’un taux élevé en ar-ginine dans la séquence des peptides favorise l’internalisation : penArg est le peptide le plus internalisé puis la penétratine puis penLys, avec environ un ordre de grandeur entre penLys et penArg (figure I.7). Cela signifie que la charge seule et l’interaction électrostatique ne sont pas le seul critère pour la traversée de la membrane plasmique mais que l’interaction spécifique de l’arginine avec la membrane est également importante.
Fig. I.7 Quantité de penLys, Pénétratine et penArg internalisée dans des cellules CHO-K1 pour une heure d’incubation à 37˚C. Les colonnes représentent la moyenne de neuf expériences réalisées en triplicata [Åmand et al., 2008].

Les CPP synthétiques

Les CPP synthétiques, ou qui ne sont pas issus de protéines naturelles, sont de deux types. Le premier type, chimérique, résulte du couplage covalent entre deux protéines (ou deux morceaux de protéines) et le second type, tels que les polyarginines ou les RxWy, sont des purs produits de laboratoire. Ils sont le fruit d’une réflexion sur les caractéristiques minimales pour faire d’un peptide un CPP.

Le Transportane

Le Transportane est donc un peptide chimérique issu du galaparane couplant via une ly-sine (K) la galanine et le mastoparane qui forme un peptide de 27 résidus (GWTLNSAGYL LG-K-INLKALAALAKKIL, la séquence en gras est issue de la galanine et celle en italique du mastoparane). La galanine (30 acides aminés, GWTLNSAGYLLGPHAVGNHRSFSDKN-GLTS) affecte le système nerveux et est impliquée dans le relargage de l’insuline. Le mas-toparane (14 acides aminés, INLKALAALAKKIL) est une toxine issue du venin de guêpe, c’est un peptide amphiphile qui inhibe l’activité de N a+, K+ − AT P ase. Le peptide chi-mérique galaparan possède lui une forte affinité pour les récepteurs à la galanine, stimule l’activité de N a+, K+ − AT P ase [Langel et al., 1996] et possède étonnamment la capacité de s’internaliser dans les cellules. L’internalisation du galaparane, renommé Transportane par Pooga et al. s’observe aussi bien à 37˚qu’a 4˚C et en présence d’inhibiteur de l’endocy-tose [Pooga et al., 2017] ce qui amène à la conclusion que son entrée dans la cellule ne se fait probablement pas par un mécanisme d’endocytose. Pooga et al. ont constaté que son internalisation est maximale au bout de 20 minutes à 37˚C et qu’elle ne semble pas dépendre du type cellulaire.

Pep-1

Le peptide Pep-1 (21 acides aminés, KETWWETWWTEWSQPKKKRKV) est égale-ment un peptide chimérique constitué par trois séquences aux origines et fonctions diffé-rentes. La première partie (KETWWETWWTEW) est une séquence hydrophobe et riche en tryptophanes qui interagit de façon hydrophobe avec les protéines. La deuxième partie (KK-KRKV) est une séquence riche en lysine et donc hydrophile, elle provient de l’antigène T du virus SV40 (simian virus 40) qui permet d’augmenter la solubilité du peptide vecteur et son entrée dans la cellule. Enfin la dernière partie (SQP) fait le lien entre les deux précédentes, c’est une séquence « espaceur » qui donne une certaine flexibilité aux domaines hydrophile et hydrophobe [Morris et al., 2001]. Pep-1 se retrouve rapidement internalisé (en moins de 10 minutes) dans des cellules HS68 aussi bien à 37˚qu’à 4˚C. La toxicité cellulaire de Pep-1 a été déterminée comme étant supérieure à 100 µM.

Les peptides polyarginines et RxWy

Comme nous l’avons déjà vu, il semble que l’arginine ainsi que le tryptophane jouent un rôle prépondérant dans l’internalisation des CPP. Des mutations spécifiques de ces acides aminés sur les peptides naturels entraînent souvent une perte du caractère pénétrant. Des peptides synthétiques dont la séquence ne contient que ces deux seuls résidus ont donc été étudiés et leur caractère pénétrant a été observé.
Les peptides polyarginines sont ceux qui s’internalisent le plus efficacement dans la liste des peptides polycationniques (polylysines, polyhistidine et polyornithine). Parmi eux, les polyarginines à 7, 8 et 9 résidus sont efficacement internalisés avec un maximum d’internali-sation pour le nonamère de D-arginine, R9 [Mitchell et al., 2000]. Ces peptides s’internalisent aussi bien à 37˚ qu’à 4˚C, ce qui amène à la conclusion que l’endocytose n’est pas le seul mécanisme associé à la traversée de la membrane plasmique.
Williams et al. ont eu l’idée d’utiliser une séquence (RRWRRWWRRWWRRWRR) ins-pirée de la Pénétratine mais en utilisant seulement les résidus arginines et tryptophane considérés comme des acides aminés essentiels pour assurer le caractère pénétrant des CPP [Williams et al., 1997]. Ils ont couplé ce peptide (R10W6) à un facteur de croissance et ont constaté que l’ensemble pouvait pénétrer dans des cellules et que le facteur de croissance gardait son activité. La projection de l’hélice alpha de ce peptide dérivé de la Pénétratine est présenté à la figure I.6 et révèle un caractère amphiphile encore plus marqué que pour la Pé-nétratine. Cela pourrait expliquer le « caractère CPP » de R10W6 et être relié à son mécanisme d’internalisation.
Delaroche et al. ont décrit en 2007 les propriétés d’un nonapeptide R6W3 (RRWWRR-WRR) présentant un « caractère CPP » [Delaroche et al., 2007]. Par une technique de quantifi-cation en spectrométrie de masse (MALDI-TOF) ils ont pu observer que ce peptide pénétrait de façon plus efficace que d’autres CPP (tat, R9 et Pénétratine) dans des cellules CHO-K1, qu’il n’était pas toxique pour les cellules et que sa voie de dégradation ne transitait pas par les lysosomes ce qui impliquerait que l’endocytose ne soit pas sa seule voie d’internalisation. Cette étude confirme que les résidus arginine et tryptophane sont suffisants pour promouvoir un caractère pénétrant.

Voies d’entrées et mécanisme lors de l’internalisation des CPPs

Comme nous l’avons vu, la membrane plasmique isole l’intérieur de la cellule du milieu extracellulaire mais il est vital qu’il y ait des échanges, c’est pourquoi c’est en réalité une barrière de perméabilité sélective et contrôlée. La cellule a développé différents mécanismes pour internaliser les molécules essentielles à son bon fonctionnement. Ces mécanismes sont nombreux, il peut s’agir de transferts passifs (l’osmose, la diffusion libre des molécules hy-drophobes au travers la membrane, les canaux ionique, la translocation…) ou des transports actifs, consommant de l’énergie sous forme d’ATP (l’endocytose, les pompes à sodium, à protons…). Nous nous intéresserons dans ce qui suit aux mécanismes qui concernent l’inter-nalisation des CPP : l’endocytose et la translocation.

L’endocytose

L’endocytose est un des moyens pour la cellule d’incorporer des molécules (protéines, sucres…). Il s’agit d’une déformation de la membrane (invagination, protrusion…) qui a pour but d’entourer la cible et de finalement l’internaliser dans un endosome. Elle se retrouve alors isolée du cytoplasme par une bicouche lipide. Il existe plusieurs types d’endocytose : certaines se font en présence de récepteurs (voie clathrine, voie cavéolines…) et d’autres sans (la pinocytose). L’endocytose en présence de récepteur s’effectue à l’aide de protéines man-teaux, avec un assemblage par exemple de clathrines du côté cytoplasmique qui va provoquer un bourgeonnement de la membrane et une accumulation de la molécule à internaliser par interaction avec des récepteurs spécifiques et enfin le détachement de la vésicule vers l’inté-rieur de la cellule à l’aide de diverses protéines (comme la dynamine) (figure I.8 Endocytose dépendante de récepteurs). Il y aura ensuite un adressage de la vésicule vers les différents compartiments de la cellule ou une dégradation des molécules internalisées par acidification de l’endosome et sa fusion avec un lysosome. L’endocytose sans récepteur s’effectue à l’aide de protrusions, ou déformation localisée de la membrane sous l’effet de la polymérisation de filaments d’actine, qui se forment pour entourer les molécules à internaliser. La membrane va bourgeonner vers le cytoplasme et la vésicule va aussi se décrocher vers l’intérieur de la cellule (figure I.8 Macropinocytose).
Ces mécanismes ne sont pas passifs, ils sont dépendants du métabolisme de la cellule et consomment de l’ATP. Il est donc possible d’inhiber l’endocytose de diverses manières. Se placer à basse température (souvent à 4˚C) va, par exemple, provoquer un ralentissement du métabolisme cellulaire. L’endocytose sera donc inhibée. Il est aussi possible d’exercer une in-hibition chimique. Alexandre Benmerah et Christophe Lamaze présentent dans leur revue de 2002 divers moyens et composés chimiques pour inhiber les voies d’endocytose dépendantes de la clathrine (acidification du cytosol, la déplétion potassique, l’utilisation d’un milieu hy-pertonique, SH3 amphiphysine, SH3 intersectine), de la cavéoline, qui est une autre protéine manteau impliquée dans l’endocytose (cyclodextrine, filipine) ou de la macropinocytose (ami-loride) [Benmerah and Lamaze, 2002]. Lorsque l’endocytose est inhibée, la translocation qui est un autre mécanisme d’internalisation des CPP, est plus facilement observable.

La translocation

La translocation consiste en une traversée directe de la membrane plasmique sans re-cours à l’énergie métabolique de la cellule. Ce mécanisme spécifique des CPP est encore mal connu, bien que diverses hypothèses aient été faites. Elles s’appuient sur le caractère chargé et souvent amphiphile des peptides pénétrants. Bechara et al. rappellent les trois mécanismes différents envisagés [Bechara and Sagan, 2013]. Une première possibilité est que le peptide s’internalise en formant des micelles inverses (figure I.9 A). Dans ce modèle les résidus ba-siques interagissent avec les phospholipides chargés négativement et les résidus hydrophobes déstabilisent la membrane plasmique qui s’invagine, entourant progressivement les peptides formant une micelle inverse au sein de la bicouche lorsque les lipides voisins se réorganisent. Elle s’ouvre ensuite vers l’intérieur de la cellule relargant les CPP dans le cytoplasme. Le second mécanisme consiste en la formation de pores (figure I.9 B). Les peptides pénétrants s’accumulant à la surface de la membrane par interaction électrostatique induisent une dé-stabilisation de la bicouche localement et les charges des lipides du feuillet distal permettent la formation d’un canal transitoire dans la membrane permettant la diffusion passive du CPP et de sa cargaison vers l’intérieur de la cellule. Enfin une dernière possibilité consiste en la traversée directe du cœur hydrophobe de la membrane (figure I.9 C). Les charges du CPP seraient écrantées par des phospholipides chargés négativement, cela atténue la polarité du peptide et permet sa diffusion dans la bicouche. Le potentiel de membrane permettrait finalement la traversée.

Et pour les CPP : endocytose ou translocation ?

Historiquement, la communauté scientifique pensait que les CPP s’internalisaient par translocation. Des expériences menées sur différents types cellulaires montraient que les pep-tides pénétrant Tat et Pénétratine pouvaient traverser la membrane plasmique et entrer dans la cellule aussi bien à 37˚C qu’à 4˚C ainsi qu’en présence d’inhibiteur de l’endocytose. De plus des études montraient que l’internalisation était aussi efficace en utilisant des résidus de conformation L ou D dans la séquence primaire des CPP ce qui implique qu’elle se fait sans récepteur spécifique. Cela amena à conclure que l’internalisation était indépendante de la machinerie cellulaire et ne se faisait donc pas par endocytose. Cependant une par-tie de ces résultats sont la conséquence d’un artéfact dû à la façon dont les cellules sont préparées pour l’observation. Richard et al. ont présenté en 2003 une étude de cet artéfact [Richard et al., 2003]. Ils démontrent que la fixation des cellules, même en condition douce, impacte l’internalisation des CPP dans la cellule. La fixation des cellules sert à stabiliser les structures cellulaires pour une meilleure qualité d’image, elle se fait avec du formaldéhyde et entraine des perturbations au niveau de la membrane plasmique. En utilisant la micro-scopie à fluorescence ils ont mené une étude comparative sur des cellules vivantes fixées et non fixées. Ils observent Tat et R9 colocalisant avec un marqueur fluorescent des endosomes lors de leur internalisation, a contrario ces peptides ne colocalisent pas avec le marqueur sur des cellules fixées. Ils utilisent la technique de cytométrie de flux (FACS) pour mesurer l’internalisation des peptides à 37˚et 4˚C. À basse température ils observent que l’internali-sation est beaucoup plus faible qu’à 37˚C voire inexistante. Ils concluent que le mécanisme d’internalisation des CPP doit être réévalué et que l’endocytose est une des voies d’entrée pour les CPP.
Depuis il a été confirmé que l’endocytose et la translocation sont deux mécanismes pos-sibles pour l’internalisation des CPP dans la cellule. Jiao et al. mettent clairement en évidence ces deux voies d’entrée possibles pour les CPP et présentent dans leur étude de 2009, les voies majoritaires suivies par certains CPP (figure I.10) [Jiao et al., 2009]. Pour quantifier le peptide internalisé dans les cellules ils utilisent la spectrométrie de masse et ajoutent dans le lysat cellulaire à analyser un CPP étalon deutéré ce qui rend la technique quantitative. Les expériences sont menées à 37˚ et 4˚C sur des cellules de type sauvage ou déficiente en hépa-ranes et chondroïtines sulfate. Leurs expériences semblent montrer que les deux mécanismes d’internalisation sont impliqués dans des proportions diverses selon la charge et l’amphipaticité des CPP. Cette étude démontre également que les GAG sont plutôt impliqués dans la voie d’endocytose.
Fig. I.10 Tableau des voies d’internalisation (en pourcentage) pour les CPP Pénétratine, tat, P1 (analogue de la Pénétratine), R6W3 et R9. Les pourcentages sont calculés sachant qu’à 37˚C translocation et endocytose se produisent et qu’à 4˚C seule la translocation peut se produire [Jiao et al., 2009].
Pour conclure, il semble donc que les GAG soient les principaux partenaires pour la voie d’endocytose des CPP. Les peptides s’accumulent au niveau des GAG, déclenchant leur en-docytose. Concernant la translocation, qui peut s’effectuer à de plus faibles concentrations en peptide que l’endocytose, les partenaires lipidiques ou glycolipidiques sont encore mal connus même si les lipides anioniques [Alves et al., 2008][Joanne et al., 2009] et les groupe-ments phosphates des têtes polaires des lipides [Wender et al., 2008][Kawamoto et al., 2011], pouvant former des liaisons hydrogènes avec les groupements guanadinium des CPP, ont été présentés comme de possibles acteurs. Précisons ici que les différentes voies d’internalisation sont également modulées par la nature de la cargaison, du lien entre le CPP et sa charge, le type de cellule cible…

Les CPP, dans quel but ?

Les CPP présentent un intérêt certain pour la vectorisation, méthode consistant à faire entrer dans les cellules des macromolécules. Conjuguer un agent thérapeutique avec un CPP pourrait alors devenir une stratégie de choix pour améliorer les propriétés pharmacologiques de ces agents et rendre plus efficace leur relargage dans les cellules. La grande majorité des désordres physiologiques a en effet pour origine un dysfonctionnement de la machinerie cellulaire. L’utilisation des CPP permet alors une internalisation efficace d’un médicament (molécules exogènes, protéines, matériel génétique…) dont la cible se trouve à l’intérieur d’un compartiment cellulaire. Il revient alors à définir quelle voie doit être suivie selon le CPP utilisé. Dans le cas de la translocation la molécule est directement disponible dans le cyto-plasme, dans le cas de l’endocytose une étape supplémentaire voit le CPP et à sa cargaison sortir de l’endosome dans lequel ils sont piégés lors de l’internalisation avant l’acidification et la dégration du complexe.
Schwarze et al. ont ainsi prouvé en 1999 que les CPP et leurs cargaisons étaient capables de franchir la barrière hémato-encéphalique [Schwarze et al., 1999]. Après injection intrapé-ritonéale chez une souris de β-galactosidase couplée au CPP tat, ils ont pu observer que ce complexe avaient été internalisé dans tous les tissus de la souris, y compris les cellules du cerveau. Cela a ouvert de nouvelles possibilités pour des traitements thérapeutiques, no-tamment celle de relarguer dans des organismes vivants des molécules plus grosses comme des protéines. Ainsi en 2008, Olson et al. ont synthétisé des CPP activables composés d’un CPP relié de façon clivable à un inhibiteur de la metalloproteinase-2, protéine surexprimée dans des cellules cancéreuses [Olson et al., 2009]. Ces complexes ont ensuite été utilisés dans des modèles in vivo pour cibler des cellules cancéreuses surexprimant la metalloproteinase-2. Nakase et al. ont également utilisé des CPP dans un but thérapeutique sur des modèles vivants. Sur des souris, ils ont injecté un complexe CPP-doxorubicin pour efficacement cibler et traiter la prolifération de tumeurs cancéreuses [Nakase et al., 2012].
Le potentiel des CPP, notamment dans une visée thérapeutique, est certain. Cependant les mécanismes d’internalisation, bien qu’identifiés ne sont pas complètement décrits et com-pris. C’est pourquoi, au cours de cette thèse, nous avons essayer de mettre en place diverses méthodes et techniques pour d’étudier plus en détails et d’améliorer notre compréhension de ce phénomène. Quels sont les partenaires lipidiques lors de la translocation des CPP ? Quelles sont les descriptions cinétique et énergétique de l’internalisation ? Quels sont les dif-férentes étapes du mécanisme d’internalisation ? sont autant de questions auxquelles nous avons cherché à apporter des réponses.

Table des matières

Introduction 
I Les Peptides pénétrants, une voie d’entrée dans les cellules 
I.1 La cellule et sa membrane
I.1.1 La cellule comme compartiment
I.1.2 La membrane cellulaire comme rempart imperméable ?
I.2 Découverte des CPPs et catalogue
I.2.1 Les CPP naturels
a) Tat
b) La Pénétratine
I.2.2 Les CPP synthétiques
a) Le Transportane
b) Pep-1
c) Les peptides polyarginines et RxWy
I.3 Voies d’entrées et mécanisme lors de l’internalisation des CPPs
I.3.1 L’endocytose
I.3.2 La translocation
I.3.3 Et pour les CPP : endocytose ou translocation ?
I.3.4 Les CPP, dans quel but ?
II Mesure de force et électrophysiologie en présence de peptides pénétrants
II.1 Mesure de force à l’échelle de la molécule unique : différentes techniques
II.1.1 Surface Force Apparatus (SFA)
II.1.2 Microscope à force atomique (AFM)
II.1.3 Pinces Optiques et Magnétique
II.1.4 BioMembrane Force Probe (BFP)
II.2 Le BFP et les peptides pénétrants
II.2.1 Mise en place et protocole
a) Réduction du bruit mécanique
b) Montage et chambre d’expérimentation
c) Les pipettes
d) La Pénétratine
e) La sonde de force
f) Les cellules et vésicules
g) Mesures et acquisition des données
II.2.2 Résultats
II.3 L’électrophysiologie et le patch-clamp
II.3.1 Historique et principe de l’électrophysiologie
II.3.2 Électrophysiologie et CPP
II.4 Couplage des mesures de force et d’électrophysiologie
II.4.1 Mise en place et protocole
a) Les pipettes
b) Les milieux cellulaires
c) Acquisition des mesures électriques
II.4.2 Les résultats
III L’activité des CPPs sur des membranes modèles 
III.1 Les membranes artificielles comme modèle
III.1.1 Les vésicules
a) Les vésicules multilamellaires (MLV)
b) Les petites vésicules (SUV)
c) Les grandes vésicules (LUV)
d) Les vésicules géantes (GUV)
e) Les vésicules géantes de membrane plasmique (GPMV)
III.1.2 Les membranes supportées
III.1.3 Les membranes suspendues
III.1.4 Les nano-disques membranaires
III.1.5 Les bicouches à l’interface de goutte, BIG
III.2 Les Bicouches à l’interface de gouttes en présence de peptides pénétrants
III.2.1 Le principe
III.2.2 Mise en place et protocole
a) La phase aqueuse
b) La phase hydrophobe
c) Les Peptides
d) Le dépôt pour observation
e) Mesures et acquisition des données
III.2.3 Le contrôle du potentiel membranaire
III.3 Caractérisations des BIGs
III.3.1 L’asymétrie des bicouches
III.3.2 Épaisseur et résistance des BIG
III.4 Étude de la translocation des CPP à l’aide des BIG
III.4.1 Impact de différents lipides sur la translocation
III.4.2 Impact de l’asymétrie sur la translocation
III.4.3 Conclusion et perspective
IV Microfluidique et automatisation de la formation des BIG
IV.1 Microfabrication et développement de notre outil
IV.1.1 La lithographie molle ou « soft-lithography »
IV.1.2 L’impression 3D
IV.1.3 Former des gouttes en microfluidique
IV.2 Mise en place du système
IV.2.1 Détermination de la géométrie de notre système
IV.2.2 Matériel et méthode
a) Préparation des puces microfluidiques
b) Préparation des solutions
c) Le système Fluigent de contrôle des flux
IV.3 Résultats
IV.3.1 Formation des BIG à l’aide de différentes puces microfluidiques
IV.3.2 Étude de la tension interfaciale entre la phase aqueuse et la phase huile
Conclusion 
A Communication orale « BPS2018 »
B Programme Matlab pour le traitement des données du BFP
C Fichiers OpenScad
D Probabilité des événements d’adhésion
Bibliographie 

Télécharger le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *