Mesures de lutte contre le terrorisme et en particulier contre le processus de radicalisation

LES DISCOURS IDÉOLOGIQUES AU SERVICE DE L’ÉTAT ISLAMIQUE

Selon Édouard Delruelle, professeur de philosophie politique, il existe deux grands types d’explications pour comprendre les raisons qui poussent les jeunes à se radicaliser et à commettre des actes violents en invoquant l’islam : l’explication socio-économique d’une part, et l’explication culturaliste d’autre part8. La première vise le fait que la majorité des jeunes qui se radicalisent sont dans une position d’exclusion. Ils sont en rupture avec la société dans laquelle ils vivent, ne s’y sentent pas à leur place et ont du mal à s’intégrer. Ceci entraine fréquemment des dérives, de la délinquance et, par conséquent, un rejet encore plus important. Cette exclusion les plonge dans un sentiment de frustration, de désespoir et de colère vis-à-vis de la société et débouche sur la radicalisation et la violence9. La seconde explication met en cause la force des discours idéologiques, opposant un islam pur des origines à un monde occidental diabolisé. Ces discours, tenus par l’État islamique, convaincraient les individus à se tourner vers le radicalisme violent10. Si, pour certains, l’origine de la violence de ces jeunes se trouve dans l’islam lui-même, pour une majorité d’auteurs, les jeunes qui se font endoctriner par l’État islamique n’ont aucune conscience politique, ni connaissance religieuse et se laissent simplement bercer par des discours qui justifient la violence en recourant à une interprétation déformée de l’islam. Ceux qui partent combattre pour défendre de réelles convictions politiques et qu’on peut qualifier d’islamistes radicaux sont plus rares11.

C’est également le point de vue de Dounia Bouzar, anthropologue française et fondatrice du Centre de Prévention contre les dérives sectaires liées à l’islam, qui relate, dans son livre « Comment sortir de l’emprise “Djihadiste”? », que la force du discours de l’islam radical violent est de promettre la régénération d’un nouveau monde, purifié et détenant la vérité, qui serait supérieur au monde occidental. Les embrigadés et la plupart des “embrigadeurs” sont loin d’être des orthodoxes qui appliquent l’islam au pied de la lettre. Selon Dounia Bouzar, ces individus se qualifient eux-mêmes de djihadistes, mais tout musulman éclairé sait que le djihad désigne avant tout un engagement personnel, qui demande au croyant de faire un effort pour lutter contre ce qui va à l’encontre de son éthique comme le mensonge, l’envie, la jalousie, etc. Ce n’est que sous certaines conditions très précises que le djihad peut porter les armes, avec l’autorisation de l’État et uniquement en cas de légitime défense12. Mettre fin à ce phénomène de radicalisation et, notamment, via l’incrimination de la provocation publique est devenu une des préoccupations premières dans la lutte contre le terrorisme. Les lois qui interdisent les discours d’incitation à la haine et à la violence ne condamnent pas tant le contenu d’un discours, en soi, mais plutôt les effets qu’il est susceptible de produire dans un contexte donné13.

QUI SONT LES VICTIMES DE L’ÉTAT ISLAMIQUE ?

Aujourd’hui, chaque citoyen peut se considérer victime, qu’il soit touché directement ou indirectement. Vivre dans un climat de terreur et dans un sentiment d’insécurité omniprésent fait de chacun une victime. Cependant, il faut distinguer, d’une part, les victimes des actes terroristes et de l’autre, les victimes de l’embrigadement. Tous les citoyens sont visés, quels que soient les classes sociales, les âges, les genres ou les religions, l’attaque terroriste est indifférenciée d’autant que l’objectif est de plonger le monde dans un climat de terreur. Même si le nombre de morts ou de blessés reste minime par rapport à la population mondiale, l’ensemble de la société est affecté par le terrorisme. En effet, les gens ont peur et par conséquent, commencent à changer leurs habitudes. Certains n’osent plus prendre l’avion ou les transports en commun, d’autres évitent les centres commerciaux, les salles de spectacle, les stades de football ou tout autre lieu qui rassemble un nombre important de personnes. Les attentats ont donc un impact considérable sur le tourisme, la consommation, l’économie, mais aussi et surtout sur les acquis démocratiques. Au fondement de l’État de droit, les libertés fondamentales sont donc remises en cause. À côté de cela, les jeunes qui se font embrigader par l’État islamique forment une autre catégorie de victimes. Beaucoup de jeunes européens en manque de repères se laissent emporter par le processus de radicalisation et rejoignent les combattants de l’État islamique. Notre pays inquiète l’Organisation des Nations Unies puisque, proportionnellement à son nombre d’habitants, la Belgique est l’un des pays européens qui comptent le plus de jeunes partis faire le djihad. Les chiffres officiels dénombrent un total de 500 Belges partis ou revenus d’Irak ou de Syrie au cours de ces dernières années14. Cette proportion élevée, particulière à la Belgique, suscite d’ailleurs de nombreuses réflexions et interpelle les sociologues. Quoi qu’il en soit, ces départs sont rendus possibles parce que l’État islamique dispose d’un territoire.

LA LUTTE CONTRE LE TERRORISME : VUE D’ENSEMBLE

Sur le plan juridique, la lutte contre le terrorisme s’exerce à deux niveaux. À l’échelle internationale, on dispose des instruments des Nations Unies, du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne. À l’échelle nationale, on se réfère au droit belge et principalement au Code pénal.

1) Au niveau international et européen La lutte contre le terrorisme figure à l’ordre du jour de l’Organisation des Nations Unies depuis plusieurs années. Dix-huit instruments universels (à savoir 14 Conventions et quatre amendements) ont été élaborés en son sein19. Parmi ces conventions figurent notamment la Convention de 1997 relative aux attentats terroristes à l’explosif, celle de 2005 relative aux actes de terrorisme nucléaire ou encore celle de 2010 qui traite des actes illicites dirigés contre l’aviation civile internationale. Le Conseil de Sécurité est également très actif dans la lutte contre le terrorisme et a adopté de nombreuses Résolutions dans ce domaine dont la Résolution 2178(2014) du 24 septembre 2014. Au niveau du Conseil de l’Europe, le travail porte principalement sur la coopération. Dernièrement, le Comité d’experts sur le terrorisme, au sein du Conseil de l’Europe, a débattu sur la question des combattants terroristes étrangers20. Ce travail a débouché sur l’adoption du Protocole additionnel à la Convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme du 22 octobre 2015.

2) Au niveau de l’Union européenne En ce qui concerne l’Union européenne, la première consécration de la notion de terrorisme figure dans la décision-cadre du Conseil du 13 juin 2002 relative à la lutte contre le terrorisme. Dans son article premier, la décision-cadre21 énonce que : « 1. Chaque État membre prend les mesures nécessaires pour que soient considérés comme infractions terroristes les actes intentionnels visés aux points a) à i), tels qu’ils sont définis comme infractions par le droit national, qui, par leur nature ou leur contexte, peuvent porter gravement atteinte à un pays ou à une organisation internationale lorsque l’auteur les commet dans le but de: – gravement intimider une population ou- contraindre indûment des pouvoirs publics ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque ou- gravement déstabiliser ou détruire les structures fondamentales politiques, constitutionnelles, économiques ou sociales d’un pays ou une organisation internationale; a) les atteintes contre la vie d’une personne pouvant entraîner la mort; b) les atteintes graves à l’intégrité physique d’une personne; c) l’enlèvement ou la prise d’otage; d) le fait de causer des destructions massives à une installation gouvernementale ou publique, à un système de transport, à une infrastructure, y compris un système informatique, à une plate-forme fixe située sur le plateau continental, à un lieu public ou une propriété privée susceptible de mettre en danger des vies humaines ou de produire des pertes économiques considérables;

e) la capture d’aéronefs et de navires ou d’autres moyens de transport collectifs ou de marchandises; f) la fabrication, la possession, l’acquisition, le transport ou la fourniture ou l’utilisation d’armes à feu, d’explosifs, d’armes nucléaires, biologiques et chimiques ainsi que, pour les armes biologiques et chimiques, la recherche et le développement; g) la libération de substances dangereuses, ou la provocation d’incendies, d’inondations ou d’explosions, ayant pour effet de mettre en danger des vies humaines; h) la perturbation ou l’interruption de l’approvisionnement en eau, en électricité ou toute autre ressource naturelle fondamentale ayant pour effet de mettre en danger des vies humaines; i) la menace de réaliser l’un des comportements énumérés aux points a) à h). » Selon cette décision-cadre, le terrorisme se caractérise par trois éléments, à savoir : un élément intentionnel (la volonté soit de gravement intimider une population, soit de contraindre indûment les pouvoirs à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque, soit de gravement déstabiliser ou détruire les structures fondamentales d’un État) ; un élément contextuel, de caractère plus objectif (l’intention terroriste ne suffit pas, il faut en plus que l’acte posé par les personnes ou l’intention de poser l’acte puisse, « de par sa nature ou son contexte » « porter gravement atteinte à un pays ou à une organisation internationale ») et un élément matériel qui consiste à la réalisation d’un ensemble d’actes repris par le texte22. La juxtaposition de ces éléments permet de qualifier des infractions existantes de terroristes. Une autre décision-cadre importante est celle du 28 novembre 200823 qui modifie celle de 2002 en ajoutant trois nouvelles infractions accessoires, dont la provocation publique à commettre une infraction terroriste.

Table des matières

I.- INTRODUCTION
II.- PARTIE 1 : ORIGINE DU PROBLEME
A.- LES DISCOURS IDÉOLOGIQUES AU SERVICE DE L’ÉTAT ISLAMIQUE
B.- QUI SONT LES VICTIMES DE L’ÉTAT ISLAMIQUE ?
C.- TERRITORIALISATION DE L’ÉTAT ISLAMIQUE
III.- PARTIE 2 : MESURES DE LUTTE CONTRE LE TERRORISME ET EN PARTICULIER CONTRE LE PROCESSUS DE RADICALISATION
A.- LA LUTTE CONTRE LE TERRORISME : VUE D’ENSEMBLE
1) Au niveau international et européen
2) Au niveau de l’Union européenne
3) Au niveau national
B.- INCITATION À LA HAINE ET PROVOCATION PUBLIQUE
1) Au niveau international et européen
2) Au niveau de l’Union européenne
3) Au niveau national
C.- L’INCRIMINATION DES VOYAGES À DES FINS DE TERRORISME
1) Au niveau international et européen
2) Au niveau de l’Union européenne
3) Au niveau national
IV.- PARTIE 3 : LA LUTTE CONTRE LE TERRORISME DANS L’ÉTAT DE DROIT
A.- PROVOCATION PUBLIQUE ET LIBERTÉ D’EXPRESSION
B.- INTERDICTION D’ENTRÉE OU DE SORTIE DU TERRITOIRE ET LIBERTÉ DE CIRCULATION
V.- CONCLUSION

Cours gratuitTélécharger le document complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *