Méthodes de détermination du diagramme de phase et d’investigation en solution

Historique de la détermination de la structure du BPTI

Le BPTI fut découvert de manière indépendante par Kraut et al. (Kraut et Werle.1930) comme «inactiveur» de la kallikréine dans les nodules lymphatiques du bœuf, et par Kunitz et Northrop (Kunitz et Northrop 1936) comme inhibiteur de la trypsine du pancréas de bovin, ces derniers proposant le premier protocole d’extraction de la molécule. Par la suite, de nombreuses études ont permis de mieux caractériser cette protéine, en mettant en évidence, outre son rôle de puissant inhibiteur de la trypsine (constante de dissociation du complexe de l’ordre de 10-14M), sa faculté d’inhibiteur d’autres enzymes. Les premiers cristaux de BPTI obtenus le furent par Northrop et al. (Northrop et al. 1948), dès 1948 dans une solution saturée de sulfate de magnésium ou de sulfate d’ammonium à 70%, à pH légèrement acide. Les premières études structurales furent alors menées sur ces cristaux par Crick (Crick 1953), et permirent de déterminer le groupe d’espace des cristaux hexagonaux (C632) et de prédire que l’unité asymétrique était composée de 5 molécules. En 1965-66 les premières informations structurales furent publiées par Kassel et Laskowski (Kassel et Laskowski 1965), et Anderer et Hornle (Anderer et Hornle 1965), notamment la séquence des 58 acides aminés constituant la protéine. Plus tard Huber et al. (Huber et al. 1970) cristallisèrent le BPTI sous deux formes polymorphiques, et résolurent la première structure cristallographique du BPTI.

Interactions inter-protéines en solution dans le cas du BPTI

La question des interactions entre protéines en solution est déterminante dans la compréhension des mécanismes de cristallisation. Elle a été largement traitée, tant théoriquement qu’expérimentalement, du point de vue des interactions globales entre protéines, avec la détermination de coefficients du Viriel (George et Wilson 1994, Bonneté et al. 1999, Vivarès et Bonneté 2002), du point de vue des potentiels d’interaction (Tardieu et al. 1999, Vivarès et al. 2002), ou du point de vue des interactions moléculaires entre protéines au contact (hamiaux et al. 2000; Gottschalk et al. 2003). La description de la physique mise en jeu sera faite dans les parties suivantes. Cependant dans le cas précis du BPTI peu de travaux ont porté sur les interactions inter-protéines en solution. En 1996 Lafont et al. (Lafont et al. 1996) déterminèrent par l’analyse de la variation des coefficients de diffusion en fonction de la concentration en BPTI obtenus par DQEL que des interactions globalement attractives existaient dans ses solutions à pH 4,9, en NaCl ou en KSCN. Ils montrèrent que l’attractivité globale augmentait avec la concentration en sel. Wills et Georgalis (Wills et Georgalis 1981) examinèrent la décroissance du coefficient de diffusion apparent d’une solution de BPTI avec l’augmentation de concentration de cette protéine. Ils conclurent qu’un potentiel attractif était nécessaire pour expliquer ce phénomène, en plus des potentiels répulsifs usuels de sphère dure et électrostatiques. Tanaka et al. (Tanaka et al. 2002) réalisèrent une étude sur des solutions de BPTI, à des pH allant de 4 à 10 et pour plusieurs types de sels (NaCl ou NaH/K2HPO4). Ces auteurs proposèrent des mécanismes de cristallisation dirigés par des
interactions de nature différentes, selon le type de sel, ces interactions devant être de type électrostatique pour NaCl et hydrophobiques ou autre pour NaH/K2HPO4.
Enfin, récemment Gottschalk et al. (Gottschalk et al. 2003), ont réalisé une étude par RMN, dans diverses conditions de sel et de pH. Ces auteurs ont abouti à la conclusion que le taux de décamères augmentait en solution avec le pH , et ont proposé une explication au niveau des interactions inter-moléculaires pour expliquer leurs résultats paradoxaux : d’après ces auteurs, les effets de sel ne peuvent être décrits en terme d’effet d’écrantage type Debye, et des cristaux monomériques croissent à haut pH malgré un fort taux de décamère en solution à cause d’une déprotonation des ions Lys-26 et Lys-41, empêchant la formation de paires d’ions avec les Asp-3, qui sont importantes pour la stabilité des cristaux décamériques.

Polymorphisme et transitions de phase solide-solide

Dans certains cas, plusieurs formes cristallines du même soluté appelées polymorphes peuvent être observées. Les polymorphes ont par définition la même composition chimique mais des structures cristallines différentes. Dans le cas des protéines, les polymorphes n’existent pas réellement dans la mesure où les agents de cristallisation et le solvant font partie du cristal (on parle plutôt de pseudo-polymorphes). Cependant dans un souci de simplicité, deux structures cristallines différentes d’une même protéine sont dites polymorphiques. Dans le cas où plusieurs polymorphes sont présents en solution, chacun d’entre eux présente sa propre courbe de solubilité, délimitant le diagramme de solubilité en plusieurs zones (Boistelle et al. 1992) . Si la solution n’est sursaturée que par rapport à une seule phase, seule celle-ci peut cristalliser. Si par contre la solution est sursaturée par rapport aux deux phases, l’une ou l’autre phase cristalline peut se former. Selon la règle d’Ostwald (Ostwald 1897), souvent vérifiée, la phase qui se forme la première n’a pas besoin d’être la phase la plus stable (de plus basse énergie) mais est celle qui est la plus proche énergétiquement de la phase fluide, c’est-à-dire la phase la plus soluble donc la phase métastable. Stranski et Totomanow ont réexaminé 35 ans plus tard cette loi et ont suggéré que la phase qui cristallise la première est celle dont la barrière énergétique nécessaire à la nucléation est la plus faible. En d’autres termes, ce sont les facteurs cinétiques et non les facteurs thermodynamiques qui imposent la cristallisation d’une phase au détriment de l’autre. Généralement, la phase dont l’énergie de nucléation est la plus faible est la phase métastable.

Mécanismes de décomposition liquide-liquide

Une partie de ce manuscrit s’attachera à étudier le comportement des solutions de BPTI subissant une transition liquide-liquide. Nous venons de présenter des aspects théoriques concernant ce phénomène, cependant, la connaissance de la possibilité d’une démixtion dans tel ou tel type de conditions ne nous donne pas toute l’information sur l’influence de cette dernière sur le système. Une démixtion ne se limite pas à un état initial (avant démixtion) et un état final (solution démixée), mais le type de mécanisme peut jouer un rôle prépondérant dans le comportement macro et microscopique du système. Dans les parties suivantes nous nous attacherons donc à caractériser théoriquement les deux mécanismes de démixtion répertoriés .
D’un point de vue géométrique les points spinodaux correspondent aux points d’inflexion de l’enthalpie de mélange , autrement dit ils séparent la courbe en deux parties, une partie concave et une partie convexe. Du point de vue mathématique, les deux points spinodaux correspondent aux points ou la dérivée seconde de l’enthalpie de mélange s’annule .

Littérature tendant à montrer une non-promotion de la nucléation par la démixtion liquide-liquide

Les mises en évidence expérimentales de la non influence de la démixtion sur la nucléation ne manquent pas dans la littérature récente. Nous rappellerons que Broide et al. (Broide et al. 1996 ) montrèrent qu’une démixtion de γ-globulines produite par diminution de température était stable, et ne donnait lieu ni à cristallisation ni à formation de précipités. Kuzenov et al. (Kuzenov et al. 2001), observèrent que dans de nombreux cas l’existence d’une grande quantité de phase riche en protéine ne donnait lieu qu’à peu ou pas de cristaux. Kuzenov et al. (Kuzenov et al. 2001) montrèrent aussi par AFM, dans le cas de la thaumatine que si une concentration extrêmement importante en protéine (comme c’est le cas dans les gouttelettes de phase très concentrée) augmentait la vitesse de croissance, elle n’augmentait pas la nucléation secondaire sur la surface. De plus des études par diffusion quasi-élastique de lumière (Malkin et McPherson 1993, 1994; Georgalis et al. 1993) et diffraction de neutrons (Niimura et al. 1994) montrent pour divers systèmes que le nombre de grands clusters et agrégats formés lors de ce que Kuznetsov et al. (Kuznetsov et al. 2001) estiment être une séparation de phases liquides excède le nombre de cristaux finalement formés. De plus les cristaux croissent souvent à l’interface des deux phases démixées, vers l’extérieur (vers le phase légère), et dans ce cas l’effet promoteur de nucléation peut être dû davantage à l’hétérogénéité du système qu’aux propriétés intrinsèques des deux phases. Notons en remarque que les études (par DL) par les groupes de McPherson et Georgalis sont souvent contestées, car ces auteurs déduisent directement de leurs fonctions de corrélation une distribution en taille de particules et concluent à l’existence d’agrégats pré-nucléation, négligeant les interactions entre particules (ce qui provient de l’assimilation d’un coefficient de diffusion mesuré à un coefficient d’auto-diffusion). De même dans le cas de Niimura et al., ou un traitement contestable de données de DNPA conduit à une interprétation en terme d’agrégats sujette à caution (assimilation de courbes d’intensités diffusées à des facteurs de formes).
Enfin, récemment, Vivarès et al. (Vivarès et al. 2004) et Lafferère et al. (Lafferère et al. 2004) (resp.), dans des études portant sur la protéine modèle Urate oxydase et une petite molécule d’intérêt pharmaceutique (resp.) observèrent que la démixtion gênait plutôt la nucléation. Toutes ces observations sont quelque peu opposées à l’idées que la transition liquide-liquide pourrait avoir un effet promoteur de la cristallisation en solution.

Table des matières

CHAPITRE I : INTRODUCTION 
1.A. Généralités et contexte global du travail
1.B. Contexte scientifique au CRMCN 
1.D. Objectifs et démarche de ma thèse 
CHAPITRE 2 : PRESENTATION DU SYSTEME PHYSIQUE ET OBJECTIFS DE THESE 
2.A. Le matériel en solution
2.A.1. La protéine : l’Inhibiteur de Trypsine du Pancréas de Bovin
2.A.1.1. Historique de la détermination de la structure du BPTI
2.A.1.2. Description physique de la protéine
2.A.1.3 Une protéine modèle ?
2.A.2. A propos des oligomères en solution
2.A.2.0. Une polémique de longue date
2.A.2.1. Des développements récents, une réponse définitive ?
2.A.2.2. Démixtion du BPTI en solution
2.A.2.3. Interactions inter-protéines en solution dans le cas du BPTI
2.A.2.4. Eléments concernant la cristallisation du BPTI en solution
2.B. Les Agents cristallisants 
Résumé des objectifs de ma thèse
CHAPITRE 3 : RAPPELS THEORIQUES 
3.A. Cristallogénèse
3.A.1. Les paramètres du milieu, leur influence
3.A.1.1. Influence du pH
3.A.1.2. Influence du sel et de la force ionique
3.A.1.3. Influence de la température
3.A.2. Les diagrammes de phases des protéines en solution
3.A.2.1. Courbe de solubilité
3.A.2.2. Croissance des cristaux
3.A.2.3. Polymorphisme et transitions de phase solide-solide
3.B. à propos de la transition de Phase Liquide-Liquide 
3.B.1. Aspects thermodynamiques de la transition de phases liquide-liquide
3.B.1.1. Diagrammes énergétiques et diagrammes de phase
3.B.1.2. Etat de l’art concernant les modélisations des transitions de phase liquide-liquide
3.B.2. Mécanismes de décomposition liquide-liquide
3.B.2.1. Décomposition binodale
3.B.3. Eléments concernant l’influence de la démixtion sur la nucléation
3.B.3.1. Quelques éléments expérimentaux
3.B.3.2. Eléments théoriques présentées dans la littérature au sujet du caractère promoteur de la démixtion sur la cristallisation
3.C. Des interactions en solution 
3.C.1. Forces de volume exclus
3.C.2. Forces coulombiennes
3.C.3. Forces de Van der Waals
3.C.4. Le modèle DLVO
3.C.5. Autres forces
CHAPITRE 4 : METHODES EXPERIMENTALES ET NUMERIQUES 
4.A. Méthodes de détermination du diagramme de phase et d’investigation en solution
4.A.0. Préparation du matériel en solution utilisé
4.A.0.1. La protéine
4.A.0.2. Préparation des solutions
4.A.1. Dispositif d’observation optique des solutions à température contrôlée
4.A.2. Techniques de Microbatchs
4.A.3. Titration des solutions de protéines
4.A.4. Détermination des courbes de solubilité par cristallisation
4.A.5. Technique de séparation des phases par centrifugation
4.A.5.1. Principe
4.A.5.2. Mise en œuvre
4.B. Diffusion de rayons X aux Petits Angles (DXPA) 
4.B.1. Principe généraux de la DXPA
4.B.2. Diffusion par une solution de protéines
4.B.2.1. Diffusion par une solution idéale
4.B.2.2. Diffusion par une solution réelle
4.B.2.3. Montage expérimental et acquisition des données
4.C. Procédure de détermination Numérique de l’état des protéines en solution
4.C.1. Comment détermine-t-on un facteur de forme ?
4.C.1.1. Principe de choix des facteurs de forme théoriques des espèces en solution
4.C.1.2. Détermination du facteur de forme théorique dans le cas des solutions acides (KSCN 350mM, pH 4,5)
4.C.1.3. Détermination des facteurs de forme théoriques dans le cas des solutions neutres et basiques
4.C.2. Procédure numérique de détermination des oligomères (codes utilisant le langage IDL)
4.C.2.1. Principe de détermination du domaine angulaire d’ajustement
4.C.3. Interactions inter-protéines en solution, traitements numériques utilisés
4.C.3.1. Facteurs de structures et interactions
4.C.3.2. Justification de la procédure de décomposition linéaire simple des facteurs de forme
CHAPITRE 5 : BPTI ET DEMIXTION, A PH ACIDE (4,5), EN KSCN 350MM 
5.A. Influence du mécanisme de démixtion sur l’oligomérisation des solutions démixées
5.A.1. Quel type de rampe de température, quels effets possibles sur le mécanisme de démixtion
5.A.2. Des solutions qui décantent, avec la rampe de température rapide
5.A.3. Des solutions qui ne décantent pas, avec la rampe de T°C lente : Résultats des expérimentations de démixtion binodale
5.A.4. Influence du domaine angulaire d’ajustement
5.A.5. Ajustement au moyen d’un mélange monomère-décamère dans « l’hypothèse isobestique »
5.A.6. Oligomérisation dans les solutions globales
5.B. Oligomérisation des phases démixées individualisées 
5.B.0. Bref rappel de quelques éléments de la littérature actuelle concernant l’oligomérisation des protéines en solution
5.B.1 Oligomérisation dans les phases peu concentrées
5.B.2 Oligomérisation dans la phase très concentrée
5.C. Interactions dans les phases individuelles globales hors démixtion, et peu et très concentrées en démixtion 
5.C.0. Oligomérisation et interactions dans les solutions globales en fonction de la température
5.C.1. Ajustement des facteurs de structures des phases très concentrées
5.C.2. Phases peu concentrées
5.C.3. Lien avec les données cristallographiques existantes
5.D. Démixtion en gel 
5.D.1. Utilité des techniques de gel pour la DXPA
5.D.2. Description chimique et physique du gel, et son influence sur les propriétés des solutions de protéines
5.D.3. Mode opératoire de préparation des solutions en gel
5.D.4. Résultats des essais de manipulations de DXPA en gel
Conclusion
CHAPITRE 6 : OLIGOMERISATION ET INTERACTIONS DU BPTI A DIFFERENTS PH ET CONDITIONS DE SEL ; LIEN AVEC LA CRISTALLISATION
6.A. Morphodromes, Nouvelle Solubilité (acide)
6.A.1. Diagramme de phase à pH acide (4,5)
6.A.2. Morphodrome à pH 9,6 en présence de (NH4)2SO4
6.B. Interactions inter-protéines et oligomérisation à pH neutre et basique
6.B.1. Facteurs de structure à pH neutre
6.B.2. Facteurs de structure à pH basique proche du pI
6.B.2.1. Facteurs de structure des solutions sans sel à pH 10
6.B.2.2. Facteurs de structure des solutions en KSCN à pH 9,6
6.B.2.3. Facteurs de structure des solutions en (NH4)2SO4 à pH 9,6
6.B.3. Interprétation des séries à pH neutre et basique en termes d’oligomérisation du BPTI en solution
6.B.3.1. Série en présence de KSCN, à pH 9,6
6.B.3.2. Série en présence de (NH4)2SO4 900mM à pH 9,6
6.B.4. Liens entre type de cristaux et pH
6.C. Discussion concernant la polémique sur les types d’oligomères présents en fonction du pH 
6.C.1. Le taux de décamères croît-t-il avec le pH ?
6.C.2. Notre proposition concernant l’oligomérisation du BPTI en solution
6.C.2.1. Recherche d’un oligomère autre que le monomère et le décamère
6.C.3. Notion de paramètre d’ordre, et ses implications sur le type d’oligomères impliqués dans la nucléation
Conclusion et perspectives
CHAPITRE 7 : CONCLUSION GENERALE ET PERSPECTIVES 
7.A. Conclusion
7.A.1. Diagrammes de phases, propriétés macroscopiques et propriétés cristallographiques des solutions de BPTI
7.A.1.1. Diagrammes de phase et propriétés macroscopiques
7.A.1.2. Rappel de quelques propriétés cristallographiques
7.A.2. Oligomérisation du BPTI en solution
7.A.2.1. Hors démixtion
7.A.2.2. En démixtion
7.A.3. interactions inter-protéines en solution et lien avec les propriétés
cristallographiques du BPTI
7.A.3.1. Hors démixtion
7.A.3.2. En démixtion à pH acide
7.B. Quelques perspectives 
ANNEXE 1 
ANNEXE 4 
ANNEXE 5 
ANNEXE 6 
BIBLIOGRAPHIE

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