Modalités et pratiques de catégorisation des groupes sociaux

Modalités et pratiques de catégorisation des groupes sociaux

« Les différentes modalités et pratiques de catégorisation des groupes sociaux », voici le sujet qu’il nous a été proposé d’étudier par nos commanditaires, EDF et la Mission Recherche de la Poste. Il va sans dire, qu’au premier abord, et devant l’immensité du sujet à traiter, nous avons essayé de voir quelles étendues il recouvrait. Ont surgi là de multiples questions : fallait-il se centrer exclusivement sur la question des classes sociales ? De quelle manière, allions-nous décider de prendre ne compte des critères comme l’âge, le sexe, l’ethnie par rapport à des critères définis comme relevant du social ? Allions nous prendre en compte la question du Sens Commun ou ne nous intéresser qu’à des pratiques professionnelles de catégorisation ? Nous avons pu résoudre ces multiples interrogations grâce à un important travail de lecture qui a fait l’objet de nombreuses discussions en groupe de lecture. Ce travail nous a permis alors d’opérer une réduction a la fois pertinente intellectuellement et raisonnable face aux délais relativement courts impartis à cette enquête. La lecture de Pierre Bourdieu mais aussi le constat que les pages que nous lisions sur la question des catégorisations sociales étaient presque toujours empreintes d’une tension plus forte que celles traitant d’autres sujets, nous a permis de faire l’hypothèse que le travail de catégorisation, loin d’être neutre est le fruit d’une lutte incessante.

En effet, tout individu faisant partie d’une société établit des classements, opère des catégorisations sociales au quotidien lors de son activité professionnelle, dans ses loisirs ou encore dans la sphère privée. Toutefois, certains individus ont comme fonction à plein temps de produire, d’appliquer des catégorisations ou encore de parler ou/et d’écrire sur ces catégorisations. Ces derniers que nous désignerons du terme générique emprunté à Bourdieu de « professionnels du classement » ont pour point commun, même s’ils se situent à des niveaux hétérogènes et éloignés, la capacité de rendre public une façon de percevoir la réalité sociale. Pourtant, ils participent au modelage du Sens Commun en faisant et défaisant les catégorisations sociales avec une plus ou moins grande postérité. Un des exemples les plus probants de ce phénomène est peut être la notion de « cadres » qui de simple indicateur professionnel de la nomenclature INSEE est devenu un terme structurant de la perception de la réalité. Nous avons donc à partir de cette réflexion décider d’orienter la recherche vers une population d’enquêtés assez spécifique que seraient les professionnels du classement qui au sein des universités, des instituts privés et publics de recherche, des administrations, des entreprises privées et publiques, des organes médiatiques, mettent en place de manière formelle des schèmes de catégorisations réfléchis et construits selon certaines méthodes formalisées.

Nous chercherons dès lors, puisque nous faisons l’hypothèse que ce travail professionnel de catégorisation correspond de manière sous-jacente à une lutte pour imposer un classement qui serait « le bon classement », de déconstruire (autant que se faire se peut) ses catégorisations, pour mettre en exergue les enjeux qui les sous tendent. Pour mener à bien ce travail de déconstruction, l’étude que nous avons réalisée est structurée par la question de la découverte de ses enjeux que nous avons tentés d’exprimer dans une série de questions qui emprunt délibérément un vocabulaire bourdieusien :  Dans quel contexte historique (économique, politique, social, culturel, intellectuel) s’insèrent les catégorisations rencontrées mais aussi les professionnels du classement et les structures dans laquelle ils agissent ?  Quelle place tentent de prendre les professionnels du classement dans le champ de la catégorisation professionnelle à travers le découpage social qu’ils mettent en place ?  Quelle vision proposent voire imposent les professionnels du classement à travers ces catégorisations ? Simultanément à la volonté de se poser de manière transversale cette question des enjeux, nous avons tenté de saisir ces multiples actes de construction de la réalité sociale à travers trois modalités d’approches.

En premier lieu, il nous a semblé nécessaire de procéder à un examen détaillé de l’histoire des catégorisations du début du dix-neuvième siècle à nos jours. Avoir choisi le début du dix-neuvième siècle n’est pas anodin car cette date correspond à la naissance de la Sociologie avec des auteurs comme Alexis Tocqueville ou Karl Marx. C’est d’ailleurs ce dernier, avec sa théorie des classes sociales qui soutiendra ici notre argumentation. En effet, nous faisons l’hypothèse que les luttes antérieures entre les professionnels du classement se sont essentiellement jouées sur cette question de l’affirmation ou de la négation des classes sociales. Nous supposons aussi, qu’aujourd’hui et en vertu des débats antérieurs, se positionner pour, contre ou à côté des classes sociales, c’est aussi une façon de se positionner dans la lutte des classements et de proposer une lecture de la société riche en enjeux politiques, idéologiques et sociaux.

 

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