Pratiques d’adaptation de l’enseignement

L’enseignement aux élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage (EHDAA) constitue, depuis quelques années, une préoccupation qui ne cesse de susciter la réflexion et l’intérêt de tous. En effet, grâce au mouvement actuel en faveur de l’inclusion scolaire, l’école doit s’adapter à l’élève ayant des besoins particuliers afin que celui-ci soit en mesure de participer activement aux activités d’apprentissage qui se déroulent à l’intérieur de sa classe dite « ordinaire ». En dépit des recommandations formulées à l’intention de ces élèves, « un objectif reste inachevé, celui de conduire tous les élèves vers la réussite en permettant à chacun de développer son plein potentiel » (Conseil supérieur de l’éducation, 2017, p.1). D’autant plus que l’hétérogénéité des classes s’est accrue au fil des ans due à l’augmentation constante du nombre de ces élèves à besoins particuliers, les enseignants et enseignantes du Québec se retrouvent confrontés à cette nouvelle réalité. Les enseignant(e)s d’histoire du Québec et du Canada n’en font pas exception.

Puisque ce défi est actuellement au cœur des débats, un travail de recherche visant à rendre compte des pratiques d’adaptation de l’enseignement déployées auprès de ces élèves s’est avéré tout indiqué. Portant plus particulièrement sur les pratiques d’adaptation de l’enseignement mises en œuvre par les enseignant(e)s d’histoire du Québec et du Canada au secondaire, cette recherche dresse un portrait réel du contexte actuel tel que vécu par ces enseignant(e)s.

HISTORIQUE DE L’ÉVOLUTION DE L’ADAPTATION SCOLAIRE AU QUÉBEC 

Acquise dès 1882 en France, dès 1891 en Ontario et dès 1918 aux États-Unis, ce n’est qu’en 1943 que le Québec adopta la loi sur la fréquentation scolaire obligatoire (Hamel, 1984). En fait, c’est le 26 mai 1943, au Québec, que le gouvernement libéral d’Adélard Godbout adopta une loi obligeant tous les enfants québécois de 6 à 14 ans à fréquenter l’école jusqu’en 1988. L’un des facteurs pouvant expliquer la sanction tardive de cette loi réside dans le fait que l’Église, au Québec, détenait un pouvoir décisionnel considérable et qu’elle s’opposait à la fréquentation scolaire obligatoire (Hamel, 1984).

La scolarisation des élèves handicapés, quant à elle, ne remonte uniquement qu’à quelques années dans l’histoire de l’éducation au Québec. On se souviendra, avant les années 60, que ceux-ci n’avaient que très peu ou pas accès à la scolarisation proprement dite au Québec (Conseil supérieur de l’éducation, 1996). Horth (1998) explique que ces enfants étaient « perçus comme des êtres à part,  vivant isolés, en marge de la communauté, souvent considérés comme incapables, irresponsables et maintenus dans un état d’infériorité et de dépendance » (p. 2).

Néanmoins, au moment où tous les jeunes québécois furent, par obligation, rassemblés dans les écoles en vue de bénéficier d’une éducation davantage prise charge par l’État, plusieurs enseignants de l’époque se demandèrent pourquoi certains élèves dits « normaux » n’apprenaient pas comme les autres, pourquoi ils avaient une lenteur d’apprentissage excessive, pourquoi, malgré une fréquentation assidue à l’école, ils ne réussissaient toujours pas (Leclerc, 1989). Par conséquent, c’est en 1963 que le Bureau de l’enfance exceptionnelle fut créé par le ministère de l’Éducation du Québec (MEQ ), afin d’apporter du soutien et de l’encadrement à ces élèves dits « exceptionnels ». À cet effet, un rapport reconnaissant le droit à l’instruction et à l’égalité des chances pour tous les élèves vit également le jour, soit le rapport Parent. Le rapport Parent revendiqua entre autres l’égalité des chances pour tous les élèves, mais également la nécessité de répondre aux besoins particuliers de ceux-ci en leur offrant un enseignement adapté, peu importe leur condition (Goupil, 2014).

Puis, le Bureau de l’enfance exceptionnelle, devenu en 1969 le Service de l’enfance inadaptée, mit sur pied un service visant la mise en place, spécialement par les commissions scolaires elles-mêmes, de services revisités et améliorés qui répondraient davantage aux besoins des élèves « exceptionnels » fréquentant leurs établissements. C’est donc au cours des années 1960 et 1970 que des changements majeurs s’imposèrent dans l’histoire de l’éducation au Québec, puisque des écoles et des classes spéciales destinées à accueillir les élèves en  difficulté virent le jour. Toutefois, suite à la création d’établissements spécialisés destinés à ces élèves, un problème majeur s’imposa ; le nombre d’élèves HDAA ne cessa de croître avec les années. Très rares étaient ceux qui avaient la possibilité d’intégrer l’école et la classe ordinaire afin de poursuivre leur scolarisation à l’intérieur d’un cadre régulier, puisque leurs incapacités étaient jugées trop importantes. En ce sens, étant donné que les chercheurs n’ont pas été en mesure de prouver la prééminence de l’éducation de ces élèves à l’intérieur d’une classe spéciale, certains parents commencèrent à revendiquer le droit à une meilleure égalité des chances pour leurs enfants afin qu’ils bénéficient d’un plus grand accès à l’éducation au sein de l’école dite « ordinaire » (Conseil supérieur de l’éducation, 1996).

Puis, quelques années plus tard, en 1976, le Comité provincial de l’enfance exceptionnelle (COPEX), mandaté par le MEQ, émet un rapport recommandant de fusionner le système d’éducation de l’enfance exceptionnelle et le système d’éducation ordinaire, d’où la naissance du système en cascade, système gradué se basant sur des principes d’accessibilité, de normalisation, de qualité, de prévention et de partenariat permettant à l’élève HDAA d’entretenir le plus de contacts possibles avec les élèves de son école qui ne détiennent pas de handicap ou de difficultés majeures (Beauregard et Trépanier, 2012).

C’est ensuite en 1978 que le MEQ se pencha de nouveau sur la question en adoptant une nouvelle politique visant la réorganisation des services offerts à l’intention des élèves HDAA, soit la politique de l’adaptation scolaire. Cette politique avait comme but premier d’assurer à l’élève un cheminement scolaire dans le cadre le plus normal possible, d’où sont nées les premières expériences d’intégration scolaire.

Par la suite, c’est en 1992 que le MEQ révisa et réaffirma les orientations qui furent prises en 1978 en insistant cette fois davantage sur l’insertion sociale de l’élève (Conseil supérieur de l’éducation, 1996), et c’est finalement en 1999 que le MEQ publia un document officiel révisant et améliorant sa politique de 1978. L’objectif premier de cette politique de l’adaptation scolaire, révisée par le Ministère, était d’abord de doter le Québec d’une école adaptée à tous ses élèves, afin de privilégier le succès du plus grand nombre d’élèves (MEQ, 1999). L’orientation fondamentale véhiculée à l’intérieur de cette politique consistait, et consiste encore aujourd’hui dans les écoles québécoises, à :

Aider l’élève handicapé ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage à réussir sur les plans de l’instruction, de la socialisation et de la qualification. À cette fin, accepter que cette réussite éducative puisse se traduire différemment selon les capacités et les besoins des élèves, se donner les moyens qui favorisent cette réussite et en assurer la reconnaissance (MEQ, 1999a, p. 17).

Pour y parvenir, c’est ultérieurement en 2007 que six voies d’actions ont été suggérées, ainsi qu’un plan d’action, afin d’apporter du soutien à tous les acteurs scolaires touchés par cet important virage (MELS, 2007, p. 6) : « 1) Reconnaître l’importance de la prévention ainsi que d’une intervention rapide ; 2) Placer l’adaptation des services éducatifs comme première préoccupation de toute personne intervenant auprès des élèves handicapés ou en difficulté ; 3) Mettre l’organisation des services éducatifs au service des élèves handicapés ou en difficulté, en la fondant sur l’évaluation individuelle de leurs capacités et de leurs besoins, en s’assurant qu’elle se fera dans le milieu le plus naturel pour eux, le plus près possible de leur lieu de résidence et en privilégiant l’intégration à la classe ordinaire ; 4) Créer une véritable communauté éducative, avec l’élève d’abord, ses parents et avec les organismes de communauté ; 5) Porter une attention particulière aux élèves à risque ; 6) Se donner les moyens d’évaluer la réussite éducative des élèves sur les plans de l’instruction, de la socialisation et de la qualification, d’évaluer la qualité des services et de rendre compte des résultats. » Ainsi, au regard des voies d’actions suggérées par le MEQ, il est de mise d’affirmer que celui-ci attribue une grande importance à « la prévention, basée sur la mise en place de conditions propices aux apprentissages, » ainsi qu’ « à la nécessité d’intervenir rapidement dès les premières manifestations des difficultés » (MELS, 2007, p.2). Il est d’autant plus important de mentionner que cette politique met l’accent sur le fait que l’enseignant soit le principal acteur responsable de l’adaptation des programmes et des services destinés aux élèves HDAA (Bergeron et St-Vincent, 2011). Pourtant, plusieurs chercheurs continuent de s’interroger sur la capacité que détiennent les divers acteurs des milieux scolaires, entre autres les enseignants, à adapter leurs pratiques en fonction des différentes clientèles, ainsi qu’en fonction des différents besoins présents à l’intérieur de leurs classes (Kalubi, Couture et al. 2015).

Enfin, c’est en 2017 que pour la première fois le Québec se dote d’une véritable Politique sur la réussite éducative, « dont la portée couvre toutes les étapes du parcours éducatif, de la petite enfance à l’âge adulte, ainsi que tous les aspects de l’environnement des enfants et des élèves, des jeunes et des adultes » (MEES, 2017, p. 3). Au terme de cette récente politique, des objectifs axés sur différents indicateurs ont été élaborés, soit : la diplomation et la qualification ; l’équité ; la prévention ; la maîtrise de la langue ; le cheminement scolaire et le milieu de vie, regroupant de ce fait sept objectifs distincts, ainsi que trois axes interdépendants qui ont façonné les réflexions lors des consultations à la base de cette Politique de la réussite éducative, à savoir : 1) l’atteinte du plein potentiel de tous ; 2) un milieu inclusif propice au développement, à l’apprentissage et à la réussite ; 3) des acteurs et des partenaires mobilisés pour la réussite (MEES, 2017). En ce sens, avec un regard en matière d’éducation et ce jusqu’en 2030, cette politique revisitée propose des milieux éducatifs plus ouverts ainsi qu’un regard davantage axé sur la réussite de tous (MEES, 2017).

Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE 1 : PROBLÉMATIQUE
1.1 HISTORIQUE DE L’ÉVOLUTION DE L’ADAPTATION SCOLAIRE AU QUÉBEC
1.2 UNE ÉVOLUTION EN FAVEUR DE L’INCLUSION SCOLAIRE
1.3 ÉTAT DE LA SITUATION DES ÉLÈVES HDAA QUANT À LEUR EFFECTIF EN ENSEIGNEMENT PRIMAIRE ET SECONDAIRE
1.4 CONTEXTE GÉNÉRAL QUANT AUX PRATIQUES D’ADAPTATION DE L’ENSEIGNEMENT
1.5 CONTEXTE PROPRE À L’ENSEIGNEMENT DE L’HISTOIRE DU QUÉBEC ET DU CANADA EN ENSEIGNEMENT SECONDAIRE
1.6 QUESTION SPÉCIFIQUE ET OBJECTIFS DE RECHERCHE
CHAPITRE 2 : CADRE CONCEPTUEL
2.1 L’INCLUSION SCOLAIRE
2.1.1 L’ÉLÈVE FACE À L’INCLUSION SCOLAIRE
2.1.2 L’ENSEIGNANT FACE À L’INCLUSION SCOLAIRE
2.2 PRATIQUES D’ADAPTATION DE L’ENSEIGNEMENT
2.2.1 LES PRATIQUES ENSEIGNANTES
2.2.2 LES PRATIQUES D’ENSEIGNEMENT
2.2.3 LES TROIS PHASES DE LA PRATIQUE D’ENSEIGNEMENT
2.3 DÉFINITION DES PRATIQUES D’ADAPTATION DE L’ENSEIGNEMENT
2.3.1 L’ADAPTATION DE L’ENSEIGNEMENT
2.3.2 LES ADAPTATIONS GENERALES ET LES ADAPTATIONS SPECIFIQUES
2.4 TYPOLOGIE DES PRATIQUES D’ADAPTATION DE L’ENSEIGNEMENT
2.5 L’HISTOIRE COMME DISCIPLINE SCOLAIRE
2.6 LES PRINCIPALES DIFFICULTÉS LIÉES À L’ENSEIGNEMENT DE L’HISTOIRE
CHAPITRE 3 : CADRE MÉTHODOLOGIQUE
3.1 TYPE DE RECHERCHE
3.2 CONTEXTE DE RECHERCHE ET ÉCHANTILLONAGE
3.3 MÉTHODES DE COLLECTE DES DONNÉES
3.3.1 L’ENTREVUE
3.3.2 L’OBSERVATION
3.3.3 INVENTAIRE DES DONNÉES
3.4 TRAITEMENT ET ANALYSE DES DONNÉES RECEUILLIES
3.4.1 TRAITEMENT ET ANALYSE DES DONNÉES RECEUILLIES PAR LE BIAIS DE L’OBSERVATION EN CLASSE
3.4.2 TRAITEMENT ET ANALYSE DES DONNÉES RECEUILLIES PAR LE BIAIS DES ENTRETIENS PRÉSÉANCES ET POSTSÉANCES
CHAPITRE 4 : PRÉSENTATION ET ANALYSE DES RÉSULTATS
4.1 PRÉSENTATION ET ANALYSE DES DONNÉES RELATIVES À LA CLASSE A
4.1.1 ANALYSE DE LA SÉANCE 1
4.1.1.1 PRISE DE CONTACT ET ENTREVUE PRÉSÉANCE
4.1.1.2 L’OBSERVATION
4.1.1.3 ENTREVUE POSTSÉANCE ET CONCLUSION PARTIELLE DE LA SÉANCE 1
4.1.2 ANALYSE DE LA SÉANCE 2
4.1.2.1 PRISE DE CONTACT ET ENTREVUE PRÉSÉANCE
4.1.2.2 L’OBSERVATION
4.1.2.3 ENTREVUE POSTSÉANCE ET CONCLUSION PARTIELLE DE LA SÉANCE 2
4.1.3 ANALYSE DE LA SÉANCE 3
4.1.3.1 PRISE DE CONTACT ET ENTREVUE PRÉSÉANCE
4.1.3.2 L’OBSERVATION
4.1.3.3 ENTREVUE POSTSÉANCE ET CONCLUSION PARTIELLE DE LA SÉANCE 3
4.2 PRÉSENTATION ET ANALYSE DES DONNÉES RELATIVES À LA CLASSE B
4.2.1 ANALYSE DE LA SÉANCE 1
4.2.1.1 PRISE DE CONTACT ET ENTREVUE PRÉSÉANCE
4.2.1.2 L’OBSERVATION
4.2.1.3 ENTREVUE POSTSÉANCE ET CONCLUSION PARTIELLE DE LA SÉANCE 1
4.2.2 ANALYSE DE LA SÉANCE 2
4.2.2.1 PRISE DE CONTACT ET ENTREVUE PRÉSÉANCE
4.2.2.2 L’OBSERVATION
4.2.2.3 ENTREVUE POSTSÉANCE ET CONCLUSION PARTIELLE DE LA SÉANCE 2
4.2.3 ANALYSE DE LA SÉANCE 3
4.2.3.1 PRISE DE CONTACT ET ENTREVUE PRÉSÉANCE
4.2.3.2 L’OBSERVATION
4.2.3.3 ENTREVUE POSTSÉANCE ET CONCLUSION PARTIELLE DE LA SÉANCE 3
4.3 PRÉSENTATION ET ANALYSE DES DONNÉES RELATIVES À LA CLASSE C
4.3.1 ANALYSE DE LA SÉANCE 1
4.3.1.1 PRISE DE CONTACT ET ENTREVUE PRÉSÉANCE
4.3.1.2 L’OBSERVATION
4.3.1.3 ENTREVUE POSTSÉANCE ET CONCLUSION PARTIELLE DE LA SÉANCE 1
4.3.2 ANALYSE DE LA SÉANCE 2
4.3.2.1 PRISE DE CONTACT ET ENTREVUE PRÉSÉANCE
4.3.2.2 L’OBSERVATION
4.3.2.3 ENTREVUE POSTSÉANCE ET CONCLUSION PARTIELLE DE LA SÉANCE 2
4.3.3 ANALYSE DE LA SÉANCE 3
4.3.3.1 PRISE DE CONTACT ET ENTREVUE PRÉSÉANCE
4.3.3.2 L’OBSERVATION
4.3.3.3 ENTREVUE POSTSÉANCE ET CONCLUSION PARTIELLE DE LA SÉANCE 3
CHAPITRE 5 : DISCUSSION
5.1 DISCUSSION DES RÉSULTATS CONCERNANT LES PRATIQUES D’ADAPTATION DE L’ENSEIGNEMENT
5.2 DISCUSSION DES RÉSULTATS RELATIFS AUX ADAPTATIONS GÉNÉRALES ET SPÉCIFIQUES
5.3 APPORTS ET LIMITES DE LA RECHERCHE
5.4 PROSPECTIVES
CONCLUSION

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