Qualification de l’innovation de l’entreprise focale

Qualification de l’innovation de l’entreprise focale

Degré de transformation numérique en logistique 

Degré d’innovation 

Dans le chapitre 6, nous nous sommes intéressés successivement aux éléments du BM, puis au relations entre les éléments de ce système pour établir une logique d’ensemble. Nous cherchons ici à établir la dynamique d’innovation de BM, au cours de notre recherche longitudinale : de ses prémisses à sa conceptualisation, jusqu’à l’étude ex post d’un modèle stabilisé, efficient, performant, voire dominant et symbolisant son secteur d’activités 6 . Il est en effet utile de non seulement connaître la composition, la logique d’ensemble (chapitre 6), mais aussi l’état d’avancement de la démarche d’innovation étudiée, au regard des objectifs affichés. Pour cela, nous mobilisons les stades d’évolution du processus d’innovation, telles que proposées par [Lindgardt et al., 2009] ou [Osterwalder et al., 2015]. Différents critères permettent d’évaluer le degré d’aboutissement de la démarche d’innovation du Business Model. Certains auteurs définissent le premier niveau de réalisation lorsque deux éléments du canvas sont impactés ; nous ne retenons finalement pas ce premier critère car nous avons observé sur nos cas expérimentaux que la modification significative des éléments du BM, n’affecte pas pour autant sa proposition de valeur, ni sa logique d’ensemble. D’autres auteurs situent le changement, à partir du moment où l’on quitte le stade d’optimisation du Business Model en place [Linder and Cantrell, 2000] et [Montreuil et al., 2012], voir la figure 95 ; enfin, plus généralement, dès que la logique de valeur est significativement modifiée, reconfigurée. Nous retenons et appliquons cette gradation :

Situation initiale, OTC et son premier cas d’application, Kaypal(r) MR, 2010–2012 

A l’origine de notre recherche, en 2011, le dispositif OTC est vu comme un outillage interne au service Kaypal(r) MR, visant à améliorer la visibilité sur les flux de supports d’un nouveau service de pilotage de flux de palettes. Son Business Model est de type “produit-service” #Mont2002], de location de support logistique réutilisable. En phase de croissance, il est connu et maîtrisé par l’organisation servie, et par l’ensemble des partenaires contribuant à ce service logistique 7 . L’originalité de ce BM de nature logistique réside dans son modèle de gestion des flux physiques et dans son mode de partenariat environnement connu pour explorer progressivement l’inconnu, en s’appuyant sur la connaissance de ce modèle initial, et des “nouveaux enjeux”, dont il faut « faire business », en suivant la stratégie collective autour du modele OTC. Nous appuyant sur ce modèle de [Linder and Cantrell, 2000], nous décrivons le processus d’évolution, comme suit (voir aussi la figure 96 en fin de chapitre pour une représentation schématique) : 1- 

Phase 1 : L’optimisation OTC, 2014

 Lors de la première étape, celle de l’identification des Business Model élémentaires (chapitre 6), nous considérons que le principal élément perturbateur du Business Model en place est le système d’information, servant à tracer les objets tagués dans une organisation logistique donnée. Les principes d’organisation régissant les services logistiques de 4S Network restent inchangés sur la période totale de recherche : 2010–2016. L’objectif visé, ici, est l’optimisation et la croissance du service de location de palettes. 

Phase 2 : Expansion applicative, 2015

 Dans un second temps, en nous basant sur notre analyse du standard EPCGlobal, et des nouvelles tactiques BM identifiées 9 , nous postulons qu’un tel dispositif doit logiquement être déployé sur d’autres supports logistiques réutilisables et conteneurs. Au-delà des spécificités propres aux caractéristiques physiques et logistiques de chaque objet, les principes de capture et traitement de données sont en effet ré-employables par d’autres services de pilotage gérant leurs emballages en “boucles”, c’est d’ailleurs, rappelons-le, l’ambition fondamentale du projet OTC 10. Cette seconde phase correspond aux chapitres 5 et 6 de ce manuscrit : intégration aux services en place et identification des Business Model correspondants. 

Phase 3 : Repli pragmatique, 2016 

Dans la seconde expérimentation, nous décrivons le recours à des solutions de traçabilité visant l’efficience du service, et non la rupture. Suivant la typologie proposée par Christensen, il s’agit alors d’une transition, à rebours, d’une innovation d’encapacitation 11 vers une innovation d’optimisation 12. Adoptant une stratégie d’exploitation, les offreurs de services utilisent leurs ressources à des fins d’optimisation du service logistique déployé, et non plus de recherche et développement trop conséquents. Ils réduisent alors leurs développements informatiques pour compte propre, et ont surtout recours aux solutions “sur étagère”, détaillés dans le tableau 97 . Phase 4 : Emergence de nouvelles offres ancrées dans l’Internet Physique, 202x Cette étape sera à renseigner au fur et à mesure du déploiement à venir du réseau de réseaux de prestations. De nouveaux projets collaboratifs autours de technologies d’informations en réseau maillé, pourraient consolider l’architecture et inter-connecter les modules métiers, et les algorithmes spécialisés conçus, développés, voire certifiés, depuis 2010. Cette séquence démontre la capacité d’un dispositif tel qu’OTC, et dérivés, à évoluer d’un périmètre réservé (2011), vers un nombre élargi d’applications (2015) puis aux arbitrages liés aux services logistiques réellement implémentés (2016–2017). Cela tient notamment à l’utilisation de technologies standardisées. Nous proposons ci-après des éléments d’analyses de cette séquence. Poids du dominant design dès la phase de conception : Le Cas 2 est une suite logique aux travaux OTC, une première approche, née d’une vision fonctionnelle [Gautier, 2007], très marquée par le paradigme dominant en logistique. Ce module est testé en interne, avec un résultat probant puisque l’expérimentation de cette technologie est poursuivie, et conduit 4S Network à proposer de nouveaux services numériques en 2016. Il est à ce stade, un instrument de mesure innovant et prometteur. Il est expérimenté en parallèle des processus business des entreprises. Les éléments produits sont néanmoins suffisants pour être intégrés de manière incrémentale, sans perturber pour autant le modèle d’ensemble ni l’offre commerciale. Cette recherche illustre donc les premières étapes d’un processus d’innovation incrémentale [Rougès et al., 2016]. La question du terrain d’expérimentation dédié aux business models se pose ici. S’il est possible de bénéficier d’un environnement de test pour valider une technologie, il n’en est pas de même pour le business model. Un nouveau BM vient modifier le modèle en place , ou s’ajouter au portefeuilles d’offres de l’entreprise. Elle expose alors ce nouveau modèle “pour de vrai” à ses prospects et partenaires. Pour limiter les risques d’une telle exposition, il nous faudrait doter l’entreprise d’un « environnement de test  » de BM, se rapprochant le plus possibles des conditions réelles d’exercice de l’activité économique 13 .

Repli stratégique : “Logistics (data) as usual” ? 

Les choix techniques et managériaux opérés sur le Cas 2 signalent un “repli pragmatique” dans l’utilisation de ces technologies ouvertes. Voir le tableau 97 en fin de chapitre, pour une comparaison de ces choix à ceux de l’expérimentation 1 : OTC-Kaypal(r) MR leur collaboration en optant pour une vision centrée, propriétaire et appliquée du dispositif OTC pour soutenir le service Cas 2 (voir la figure 97). 14 . Cette association d’EPCGlobal à des technologies classiques pour le service industriel, recentrent les acteurs de la filière et leurs prestataires sur des technologies EDI, WebEDIe maîtrisées. Ce nouveau montage combine des briques déjà prêtes, “sur étagère”. Il indique le basculement d’une logique d’exploration à une logique d’exploitation [Mothe Caroline, 2008]. Ces projets collaboratifs et les nouveaux services de 4S Network, permettent à ces acteurs de tester de nouvelles approches, d’engranger de nouvelles ressources, utiles pour un futur passage à l’échelle de leurs solutions logistiques, quitte à expérimenter EPCGlobal pour la quatrième fois depuis 2007 (projet Bridge). Et ce, bien que leurs systèmes d’information mobilisent encore en priorité les classiques tableurs, téléphones fixes et pièces attachées de courrier électronique ou, au mieux les échanges automatisés par EDI, dans une logique conforme au dominant design logistique. Ainsi, in fine, dans leurs business respectifs, l’innovation logistique opérée par ces acteurs, et notamment 4S Network, repose encore sur une innovation de process 15, où les technologies numériques ont un rôle de second plan, à cette échelle. Ces services logistiques en place innovent, tout en capitalisant sur les modèles de gestion de cycles de RTI ou autre, amorcés depuis le début des années 2000 par ces mêmes acteurs – 4S Network, FM Logistic, GS1, Mines ParisTech – de logistique de distribution, ils les prolongent (Pool Gilde).

Nature de l’innovation 

Nature de l’innovation BM

 La nature de l’innovation est fonction du rapport et de la logique d’agencement des constituants du BM. Ceux-ci peuvent être identiques, c’est la mise en oeuvre et la place qui leur est donnée dans la constitution finale du Business Model qui caractérise ce dernier, en bouleversant alors sa logique d’ensemble. Le changement de logique va de pair avec le métier de l’offreur et sa proposition de valeur : par exemple, passer d’une logique de vente d’un matériel à la logique de sa location, fait passer l’offreur du domaine de la production industrielle, à la fourniture d’un service. Ce qui constitue un changement fondamental de BM, pour une même entreprise industrielle. Dans le même ordre d’idée, la “transformation numérique” fait passer les secteurs d’activité d’une économie de type Fordiste, fondée sur les économies d’échelles (voir la figure 98), à une économie numérique qui s’appuie, elle, sur les effets de réseau, la “multitude” et ses rendements croissants [Verdier and Colin, 2015], [Martinet, 2014]. Sur notre terrain d’étude, en situation de “transformation numérique”, nous proposons de considérer que l’on atteint un niveau significatif d’innovation de BM à partir du moment où l’équation de profit est fondée sur de nouvelles unités de valeur typiques du domaine numérique. Les équations de profit des modèles de prestation logistique classiques sont basées sur un ou plusieurs indicateurs “physiques”, très ancrés dans la culture du logisticien de distribution . L’emploi d’un “indicateur du domaine numérique” dans l’équation de profit d’un nouveau BM marque une étape dans la transformation numérique. L’insertion d’un indicateur numérique modifie la nature des prestations, et opère un déplacement du physique vers le numérique. Il s’agit par exemple de la mesure d’un flux de donnée, d’une capacité de traitement ou de stockage en Mo, d’une niveau de maintenance applicative, des fonctionnalités de l’application, d’une mesure de performance. De même une innovation à caractère environnemental emploiera un indicateur spécifique à ce domaine, dans son équation de profit : quantités de gaz carbonique évitées, saturation des moyens de transport en %, baisse du facteur d’émission, de réduction des nuisances sonores en dB – soulignant ainsi le basculement vers un nouveau “paradigme”, et ses unités de valeur propres. 

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