Raissa et Christian, relation particulière avec les pairs et éveil aux langues familiales

Raissa et Christian, relation particulière avec les pairs et éveil aux langues familiales

Aller vers sa copine de classe

Dans les moments où l’organisation des activités scolaires le lui permet, Raissa va vers Leïla, sa camarade de classe et passe beaucoup de temps avec cette fille, comme l’exemple suivant le montre : Raissa et Christian, relation particulière avec les pairs et éveil aux langues familiales 156 Le moment de regroupement autour d’une histoire musicale écoutée au lecteur CD fini, l’enseignant invite les enfants à aller s’habiller pour se préparer à sortir dans la cour de récréation. Pendant l’activité du groupe classe, Raissa était assise de l’autre côté par rapport à Leïla, une fille présentant des troubles autistiques. Quand l’activité prend fin, elle se lève et se dirige directement vers sa camarade et la prend par la main. Cette dernière accepte le geste de sa copine et elles partent ensemble vers le rangement de leurs affaires. Pendant toute la période de la pause de récréation les filles sont côte à côte, et souvent elles se tiennent la main. (Observation vidéo, petite section) Quoique très attachée à sa relation avec Leïla, Raissa est capable de tisser des liens avec d’autres camarades de sa classe. Les moments observés montrent qu’elle passe d’une position à l’autre, de celle qui suit un groupe à celle qui le mène, de celle qui reste seule ou de celle qui accompagne Leïla. Dans le groupe de filles solidaires présenté dans le portrait 7, elle s’associe à leur jeu de construction et apporte des briques pour construire la tour. Si, dans ce petit groupe, elle n’occupe pas une place centrale, les données visuelles recueillies pendant un autre moment durant la récréation la surprend dans une position de meneuse. Raissa est dans un petit groupe de trois filles, toutes en train de se balancer sur un jeu à ressort dans la cour de récréation. Pendant plusieurs minutes elles sont ensemble, menées par Raissa durant des échanges autour d’un bonbon, des sauts effectués d’une bordure à côté de la porte d’entrée, des courses dans la cours de récréation. Leur trio se dissout après un passage aux toilettes suite auquel Raissa commence à chercher un vélo libre. D’après plusieurs tentatives non réussies, elle voit Leïla assise sur le banc, à côté des professionnels. Les deux commencent à se rapprocher l’une à l’autre et finissent par se donner la main et à faire des tours de la cour. (Observation vidéo, petite section) Capable de s’entretenir avec d’autres enfants ou toute seule, Raissa finit souvent par chercher sa copine. Elle prend un rôle d’accompagnatrice, qui sait identifier et prendre soin des besoins de Leïla : « Elle a chaud », dit Raissa en montrant le manteau de sa copine. « Ici il y a de l’ombre ». Elles restent quelques instants à côté d’un mur, à l’abri du soleil, et Raissa va dans une cachette à l’intérieur du mur qui entoure une fenêtre. Sa copine essaye de la faire sortir en lui pinçant les joues, et Raissa sort des bruits d’inconfort. Elle résiste aux gestes de Leïla, quoique visiblement dérangée. Finalement, elle se libère et part boire de l’eau dans la salle d’eau des toilettes. (Observation vidéo, petite section) Raissa se montre capable de gérer sa relation avec la fille aux troubles autistiques et, quand elle se sent mal à l’aise, trouve une stratégie d’y échapper. Changer d’espace, dans ce cas aller dans la salle d’eau, dans laquelle les enfants peuvent avoir accès pendant la pause, est pour elle le moyen de s’éloigner de Leïla et ses pincements. Elle procède d’une manière similaire plus tôt dans ses rapports avec les autres filles du trio, où elle va aux toilettes pour interrompre l’activité collective. Il semble important pour Raissa 157 d’avoir du temps individuel pour observer son environnement, se promener calmement dans l’espace de la cour, sans se presser, en prenant son temps à regarder les personnes, les lieux. Ensuite elle monte sur le jeu à ressort et continue son observation, un peu plus d’en haut, pour ensuite aller au toboggan, et finalement elle réussit à récupérer un vélo. C’est le moment où elle rejoint à nouveau son trio, toutes sur des vélos, elles roulent ensemble et s’attendent l’une l’autre au cas où quelqu’une reste derrière. Quand la fin de la récréation est annoncée, Raissa, comme la plupart des enfants, se dirige vers la porte. Pourtant, avant de rentrer, elle voit Leïla et retourne dans la cour, en essayant de l’amener. Encore une fois, son attention est portée sur sa copine avec laquelle elle a une amitié pas comme les autres..

« Christian est plus fort que Rose », une participation à la vie scolaire aux côtés de sa sœur jumelle

Christian est le frère jumeau de Rose, les deux étant atteints d’une maladie qui les rend plus faibles du point de vue de leur santé. Pour cette raison, leur mère, qui élève seule ses enfants, le protègent au mieux. Considérant que sa fille est la plus fragile, cette mère affirme prendre davantage soin d’elle et attend de Christian de faire de même quand ils sont à l’école : « Oh! (la mère fait des mimiques du visage qui montrent la tendresse envers sa fille) Rose c’est ma fille…c’est riquiqui…elle est menue. Je lui donne l’affection à son frère aussi, mais il est plus fort, et plus… Je prends plus soin (de Rose) ». Cette protection accrue de la part de la mère et son préférence envers un des deux jumeaux est expliquée par la mère par un mauvais état de santé de la fille, qui, par rapport à Christian, a déjà fait de crises de douleurs. Rose apprécie la relation avec son frère et, même si elle ne montre pas son affection avec des bisous et de câlins comme le fait son frère à la maison, elle est capable de raconter sa journée à l’école et le comportement de son frère dans leur relation : « Non, elle ne montre pas l’affection comme ça, mais elle dit « il a été gentil à l’école avec moi », donc elle montre autrement, mais elle veut pas de bisous, elle se cache si on lui fait des bisous. Ils sont différents ». La relation des jumeaux au sein de l’école maternelle est caractérisée par un rapprochement fraternel qui permet à la fois de rester en proximité l’un de l’autre, et de retrouver une certaine indépendance tout au long des journées. Ainsi, au moment du regroupement le matin, les deux enfants sont assis sur le banc près l’un de l’autre, mais pas tout à fait collés, car une camarade les sépare. Un autre moment pendant la matinée, où les enfants sont libres de choisir à côté de 158 qui s’assoir, est le visionnage d’une histoire sur le support du rétroprojecteur. Ici, encore une fois les jumeaux sont en proximité physique, Christian étant assis en face de sa sœur. Quoiqu’il paraisse attaché à sa sœur jumelle, Christian semble avoir pris conscience de sa vie scolaire en tant qu’être singulier. Pendant la visite guidée, une fois dans sa classe il commence par se diriger vers son casier, marqué par son prénom pour le photographier, pour continuer ensuite avec d’autres objets qui le concerne personnellement et sont marqués par son prénom (un dessin qu’il sort de son casier, un banc avec son prénom). En sortant un dessin de son casier il m’explique qu’il s’agit d’un dessin qu’il n’a pas fini, et qu’il finira mardi à l’école (voire image 9, annexe). Il intègre des pratiques scolaires dans son répertoire, et est même capable d’expliquer les façons de faire à l’école : il sait que les coloriages sont à faire au fur et à mesure à l’école, qu’il peut commencer un jour et finir un autre. Avant de continuer sa visite, il range son dessin dans le casier, en montrant encore une fois qu’il a intégré des pratiques scolaires dans son répertoire. Christian connaît et respecte les règles de vie et la discipline à l’école maternelle, et est capable de les rappeler à ses pairs. Quand sa camarade enfreint des règles pendant la visite guidée, il l’attentionne immédiatement : « La maîtresse arrive ! », en désignant la figure de l’autorité représentée par les professionnels de l’école et la mimique de son visage ainsi que la position du corps montre qu’il craint l’éventuelle sanction qui pourrait suivre suite au comportement de sa camarade, qui n’y est pas toléré à l’école. D’autres moments de la journée observés, ainsi que les propos de son enseignant montrent la participation active et investie de Christian dans les activités scolaires. Par exemple, Christian s’investit dans une activité autour d’une histoire qui est racontée ayant comme support des images affichées à l’aide d’un rétroprojecteur. Il répond aux demandes de l’enseignant, et fait même des commentaires personnels par rapport au déroulement de l’histoire. 

Un souci de la part des parents de transmettre des langues maternelles à travers les générations

Un autre point en commun des enfants intégrés dans ce portrait est constitué par l’utilisation des langues dans le cadre domestique et à l’école. Christian et Raissa font partie des enfants de cette recherche qui maîtrisent le français et l’utilise avec aisance à l’école. À la maison, ils sont immergés dans des contextes linguistiques où domine largement le français. Ainsi, la langue de la mère de Christian est introduite vers ses 3 ans, quand la mère observe l’exemple des autres mères étrangères qui parlent leurs langues aux enfants, et, pour Raissa, il s’agit de 161 pratiques linguistiques hybrides et de pratiques de lecture ou d’écoute de musique en arabe, de façon ponctuelle. La mère de Christian et Rose parle en français et son partenaire, qui ne vit pas avec eux, mais est souvent dans leur compagnie parle également en français avec les enfants. Quoique les deux adultes soient originaires de la Côte d’Ivoire, ils ont des langues maternelles différentes, dans la région où est née la mère, au centre du pays, le baoulé étant la langue parlée. À ma question « dans quelle langue vous parlez avec vos enfants ? », la réponse de la mère montre son regret de ne pas avoir commencé plus tôt à transmettre sa langue. « En français plus. Ils comprennent pas du tout ma langue, mais je vois que d’autres copines parlent leur langue avec leurs enfants, et moi je me dis : mais j’aurais dû, je pouvais moi aussi faire comme eux. Leur parler ma langue, au moins qu’il comprenne « viens », « va », l’essentiel, mais ils ne comprennent pas. Donc maintenant je suis en train d’essayer de mettre en place… je me suis pris un peu tard, mais bon. » (Entretien mère de Christian et Rose) L’exemple d’autres mères qui parlent des langues étrangères avec leurs enfants a un impact sur la mère de Christian en ce qui concerne l’utilisation du baoulé. Ainsi, elle se propose de faire des efforts afin que ses enfants comprennent au moins un minimum de sa langue. Étonnée par les pratiques linguistiques d’autres mères, et en montrant une certaine jalousie envers ces capacités linguistiques dans la relation mère-enfants, elle essaie de rattraper le temps perdu concernant l’apprentissage de sa langue par ses enfants. « Oui, voilà, donc ça me fait un peu de peine. Je suis allée faire mes ongles chez une chinoise et elle parlait à ses enfants en chinois – des petits, ils comprenaient très bien, ils parlaient. J’ai dit « mais comment elles font ? ». Les miens j’espère que… j’ai l’impression qu’on est en retard. Mais c’est pas grave, on va essayer de rattraper et essayer de mettre ça en place. » (Entretien mère de Christian et Rose) Une des causes qu’elle trouve pour expliquer ce manque d’expression orale en baoulé dans la communication avec ses enfants est le fait qu’entre adultes ils sont contraints de s’exprimer en français, la langue commune dans sa relation avec son partenaire actuel. Le père des enfants, qui connaît le baoulé n’est pas présent dans leur vie. De son côté, la famille de Raissa sur la lignée maternelle est venue de l’Algérie depuis des générations, sa mère est née en France. À la maison, Raissa et son frère sont immergés dans un contexte linguistique hybride (Zentella, 1997), où le père parle l’arabe et la mère le français. Cette dernière a le souci de « regagner » la langue de ses parents. Avec ses enfants, elle fait des efforts pour qu’ils l’apprennent eux aussi, et pour cela elle utilise des pratiques de lecture d’albums en arabe achetés au marché du quartier et de la musique sur des supports électroniques (tablette). Ce souci de transmission de la langue arabe est en étroit lien avec la 162 transmission de la religion musulmane, qu’ils pratiquent notamment dans le cadre privé de la famille. La mère donne l’exemple de la pratique des prières sept fois par jour, qui est illustrée dans un album de jeunesse à travers l’histoire d’un petit garçon, et l’apprentissage de l’arabe en écoutant de la musique : « ils apprennent des mots, des mots qu’on dit nous en arabe, comme « bonjour », et des petites choses du Coran, et ils entendent la musique et comme ça ils apprennent ». Ces apprentissages en situations informelles ont pour objectif d’éveiller ses enfants à une langue – l’arabe – qui est aussi un moyen de transmettre la religion de cette famille. Encore trop jeunes, selon leur mère, les enfants sont pour l’instant en phase d’imitation, par exemple ils rejoignent la mère pour la prière, mais dans une dynamique de jeu symbolique : « ils sont trop petits, des fois ils font comme moi, mais c’est pour rigoler », explique-t-elle. Les pratiques de lecture en arabe restent cependant marginales dans la vie quotidienne de Raissa à la maison. La lecture en français domine, la mère lui lit tous les soirs, et « le petit chaperon rouge » est son histoire préférée. 

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