Rapports de Classes et Relations Sociales à Bristol à l’Époque Victorienne

Rapports de Classes et Relations Sociales à Bristol à l’Époque Victorienne

Considérations théoriques, terminologiques et méthodologiques

La première partie de notre étude a pour objet de définir le cadrage théorique et méthodologique de cette recherche. Avant de procéder à l’analyse des relations sociales et des relations de classes à Bristol, il est essentiel de présenter la tradition historiographique dont ce type de travail s’inspire et se réclame. Nous devons pour cela exposer les études menées dans le domaine concerné mais également revenir sur les définitions des notions qui seront utilisées pour théoriser l’analyse et critiquer les phénomènes étudiés. Si le travail de l’historien repose avant tout sur la recherche, le décryptage et l’analyse de sources primaires en tant que témoignages, « traces du passé11 », il ne saurait se passer d’un appareil théorique permettant à son tour d’élucider et d’expliciter les phénomènes et les situations observées. En sociohistoire, c’est la sociologie qui fournit un appareil critique au chercheur. Néanmoins, ce dernier doit se livrer à un examen minutieux de la pertinence des concepts, des théories et des hypothèses qui s’offrent à lui. Il faut bien souvent redéfinir les notions clés et rendre compte des divergences théoriques et historiographiques afin de sélectionner enfin les modèles critiques les plus adaptés pour mener à bien l’analyse. On se propose dans ce chapitre de poser les fondements du travail à suivre. Dans une première partie, il semble nécessaire de revenir sur les pratiques historiographiques récentes et d’identifier les différentes lectures dont l’histoire sociale de la Grande-Bretagne a fait l’objet, les traditions néo-marxistes et révisionnistes ayant tour à tour influencé la recherche en histoire. Dans une seconde partie, nous nous attacherons à revisiter les différentes définitions de la notion de classe telle que les sociologues et les historiens ont pu l’appréhender et à comprendre la manière dont ces perceptions du phénomène de classe ont donné naissance à diverses théories sur les relations entre les groupes 11 Nous parlons ici de traces du passé au sens de Marc Bloch telles qu’il les décrit dans Apologie pour l’histoire. Marc Bloch, Apologie pour l’histoire ou Métier d’historien, Paris : Armand Collin, 1952, pp.31-42. 16 sociaux. Chaque manière de définir les classes a, par la suite, aidé les chercheurs à décrypter les relations entre ces communautés en leur permettant d’élaborer des hypothèses. La troisième section du chapitre sera centrée sur la présentation de diverses notions liées au travail sur les rapports sociaux en considérant les problèmes du contrôle social, de la domination, du pouvoir, de l’hégémonie et du consensus, autant de concepts sociologiques ou philosophiques utilisés jusqu’à ce jour pour permettre une explication des interactions possibles au sein d’une société. Enfin, la quatrième partie nous permettra d’établir clairement nos choix méthodologiques, terminologiques et théoriques.

 Pratiques historiographiques

C’est véritablement depuis les années 1960 que l’étude de la sociohistoire a pris de l’essor en Grande-Bretagne12. Cet intérêt pour ce que les anglo-saxons nomment « social and labour history » a pendant des décennies fait l’objet d’un grand nombre de travaux de recherche. La somme d’ouvrages et d’articles publiés est non seulement importante mais elle a surtout nourri des débats et des conflits passionnés entre les historiens. Deux grandes traditions se dessinent : les partisans de l’école marxiste et ceux du courant révisionniste (courant qui lui-même donnera naissance au « tournant linguistique ») se disputent l’analyse de la société victorienne.S’il parait judicieux à ce stade de notre travail de définir ces deux traditions, c’est parce qu’une connaissance de leurs théories et de leurs positions vis-à-vis l’évolution et de la transformation de la société est absolument fondamentale pour pouvoir s’en inspirer et les critiquer pertinemment. L’amalgame et la confusion entre un travail de recherche sur les rapports de classes rédigé par un historien marxiste et celui d’un historien du tournant linguistique, par exemple, seraient préjudiciables et incohérents. De surcroît, l’exposition de ces deux courants nous permettra d’expliquer et de justifier la tradition historiographique dans laquelle nous espérons inscrire notre travail

Tendance marxiste

 Inspirée des travaux de Karl Marx, cette lecture place le conflit social et politique au cœur du processus d’évolution de l’Histoire. Le conflit est le moteur de l’Histoire. Tout changement est le résultat d’une rupture, et les antagonismes sociaux et politiques, remettant en cause et bouleversant l’ordre établi, permettent l’entrée d’une société dans une nouvelle phase de l’Histoire. Ils sont le moteur de la dynamique.Les historiens marxistes cherchent dans leurs travaux à mettre en lumière et à souligner les phénomènes de ruptures majeures et les discontinuités au sein de l’expérience sociale. Ces derniers considèrent la révolution industrielle comme l’élément déclencheur de la rupture des relations sociales14. L’ancienne structure préindustrielle, opposant les grands propriétaires terriens issus de l’aristocratie aux petits agriculteurs et artisans indépendants, est bouleversée par une période de déstabilisation due à la révolution industrielle. Lui succède alors un nouveau modèle social où les intérêts de la bourgeoisie et des industriels s’opposent à ceux d’un prolétariat subordonné. La pensée la plus en vogue dans les années 1960 repose donc sur la théorie d’une déconstruction complète de la nature de l’ordre social du début du XIXe siècle15. C’est ce bouleversement qui engendre par la suite la naissance des classes sociales, classes dont les intérêts sont antagonistes et qui s’inscrivent dans une dialectique de conflit. La perspective marxiste soutient également que la polarisation inévitable des oppositions d’intérêts de ces classes économiques et la menace récurrente de révoltes populaires ont éveillé un souci de contrôle social. De nombreux travaux ont mis en relief la menace ressentie par les classes dirigeantes d’un renversement de la société, puis les appareils institutionnels de contrôle social utilisés pour pallier la situation et ont enfin souligné la progressive stabilisation de la société grâce à ce contrôle savamment orchestré. Certains des historiens marxistes les plus radicaux ont expliqué l’absence de révolution ouvrière ou de révolution sociale en évoquant l’endoctrinement et le prosélytisme exercé par les classes supérieures sur les classes populaires16. L’historiographie marxiste traditionnelle souligne donc principalement la montée en puissance de la classe moyenne au XIXe siècle, l’émergence et la subordination d’une classe ouvrière ainsi que sa domination culturelle, sociale et politique, rendue possible par l’exercice d’un contrôle social puissant

Tendance révisionniste

Les positions marxistes ont provoqué plusieurs critiques et se sont heurtées dès les années 1970 à de nombreuses contestations, ou tout au moins à un désir de nuancer certains propos. Albert Edward Musson, par exemple, a tenté de montrer dans ses travaux que la classe ouvrière est beaucoup moins homogène et plus divisée que les marxistes traditionnels n’ont pu le faire entendre17. La conscience de classe est, selon lui, loin d’être aussi universellement partagée par les ouvriers qu’on a pu le penser. Les révisionnistes remettent également en question l’idée de rupture, de changement radical. Ils cherchent au contraire à montrer les phénomènes de continuité, c’est-à-dire l’existence de substrats, d’éléments résiduels qui perdurent malgré les bouleversements économiques et sociaux du XIXe siècle et qui permettent de justifier les comportements de certains groupes et les affiliations politiques, morales ou religieuses, qui ne trouvent pas d’explication si l’on suit les théories marxistes trop orthodoxes. Le découpage des révisionnistes n’est pas seulement binaire, reposant sur des ruptures absolues, mais il pose les jalons d’une théorisation moins déterministe. Henry Pelling18 par exemple, a mis en évidence des points communs et des similarités idéologiques entre les Chartistes et les Libéraux, ce qui remet en question l’idée que les classes ouvrières et les classes moyennes s’opposent en tout dans le système capitaliste. L’opposition classique entre travail et capital qui engendre nécessairement la querelle politique est envisagée avec plus de nuances. L’appartenance à des classes sociales distinctes ne signifie pas nécessairement qu’il n’existe pas de passerelles par le biais desquelles ces classes puissent se rejoindre. De même, Patrick Joyce19 et Gareth Stedman Jones20 ont-ils souligné l’existence d’une longue tradition de radicalisme populaire qui a perduré à travers tout le XIXe siècle et qui faisait fi des divisions de classes. Selon cette théorie, le radicalisme a toujours transcendé les démarcations de classes et s’adressait à ceux qui étaient autonomes (« independent-minded »)

Table des matières

REMERCIEMENTS
SOMMAIRE
INTRODUCTION
1 BRISTOL AU XIXE
SIECLE : CONTEXTES SOCIO-ECONOMIQUE ET RELIGIEUX
1.1 CONSIDERATIONS THEORIQUES, TERMINOLOGIQUES ET METHODOLOGIQUES
1.2 UN CONTEXTE ECONOMIQUE ATYPIQUE
1.3 LES SECTEURS D’EMPLOI A BRISTOL
1.4 PORTRAIT D’UNE SOCIETE
1.5 LA FORCE DE LA RELIGION A BRISTOL
2 UN CONSENSUS SOCIAL INSTITUTIONNALISE
2.1 LA PHILANTHROPIE ET LE CONDITIONNEMENT DES RELATIONS DE CLASSES
2.2 LES CAMPAGNES DE REFORME MORALE
2.3 PATERNALISME ET PATRONAT
3 EXPRESSION DES DIVERGENCES ET LIMITES DU CONSENSUS
3.1 SOCIETES DE PREVOYANCE
3.2 LE SYNDICALISME : ENTRE REUNION ET DIVISION
3.3 LE PORTRAIT POLITIQUE DE BRISTOL
CONCLUSION
ANNEXES
BIBLIOGRAPHIE
INDEX
TABLE DES MATIÈRES

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