Raymond QUENEAU

Raymond QUENEAU

Né le 21 février 1903, au Havre, il était le fils unique d’Auguste-Henri Queneau, ancien militaire de carrière puis comptable colonial en congé de convalescence, et d’Augustine-Julie, née Mignot, qui, plus âgée que lui, tenait, au 47 rue Thiers, un commerce de mercerie plutôt florissant. Il fut donc élevé par un père disponible et une mère attentive, en dépit de ses obligations de commerçante. Cependant, si l’on en croit l’autobiographie romancée qu’est ‘’Chêne et chien’’ (1937), qui relate cette entrée dans la vie, l’«héritier fils et roi» de la famille dut subir, auprès d’une nourrice, «vingt-cinq ou vingt-six mois» de séparation, qui semblent l’avoir profondément marqué. Et il se plaignit d’une enfance triste «très, très bourgeoise». Il reçut l’éducation soignée et choyée d’un fils unique de famille catholique. En 1908, il entra au petit lycée du Havre où il fit toutes ses études primaires et secondaires, apprenant «bâtons, chiffres et lettres» (titre d’un de ses ouvrages), se montrant curieux, passionné de langues, d’Histoire et de sciences. Il y fut généralement bon élève, non sans quelques moments difficiles. Il manifesta une boulimie de lectures qui n’allait jamais cesser, lisant assidûment ‘’Les pieds nickelés’’ dans le journal ‘’L’épatant’’, Jehan Rictus, Henry Monnier, et quelques autres qui lui firent «connaître le langage populaire». Il obtint de nombreux succès scolaires, dont le prix de philosophie. Sa vocation littéraire, qui inquiétait ses parents, fut précoce et constante, en dépit de périodes de découragement. Dès l’âge de dix ans, il commença à écrire, remplissant des cahiers d’écolier de quantités de poèmes, dont beaucoup furent déchirés, refaisant les livres de l’égyptologue Maspero qu’il trouvait insuffisants, rédigeant des romans et des pièces de théâtre, traduisant Virgile, s’intéressant aux langues dérivées du zend et du sanscrit.

De plus, il fréquenta assidûment les cinémas avec son père, se passionnant pour ‘’Fantômas’’ ou ‘’Les vampires’’ de Louis Feuillade. Il s’intéressa aussi à l’art, dessinant tout ce qu’il croisait, peignant en recopiant les plus grands, et visitant continuellement galeries et musées. Le 15 avril 1914, il commença à rédiger son journal, qu’il allait tenir bon an mal an toute sa vie. Il satisfaisait aussi son goût déjà prononcé des listes dans des domaines variés : classement de ses collections de géologie, de paléontologie, de conchyliologie ; liste des œuvres d’Aristote ; liste des films de Chaplin qu’il avait vus ; liste de ses lectures, habitude qu’il allait garder sa vie durant ; etc.. Le 14 mai, il fit sa première communion, avec ferveur. Il envoya une nouvelle à un journal qui lui répondit : «Nous ne publions pas d’histoires imitées.» Ses études au lycée François-Ier du Havre furent singulièrement perturbées par la Première Guerre mondiale qui fut pour lui un traumatisme qui le prédisposa à la gravité et à sa nécessaire expression par l’écriture. Dans ‘’Un rude hiver’’, il allait évoquer la vie des embusqués et des étrangers qui trouvèrent alors refuge au Havre. En 1915-1916, il travailla à un roman intitulé ‘’Histoire de la Lusapie’’, allant du XIIe au XXe siècles. Son professeur de français s’appelant Monscourt, il écrivit une farce dont le personnage principal était un professeur Monsecours dont l’élève Queneau s’écriait sans cesse : «À mon secours !».

En 1916, il se lia avec Jean Dubuffet, son condisciple au lycée, qui allait devenir le peintre qu’on sait, partager avec lui une passion pour l’art brut. Il dessina l’«avion Queneau». qui était opposé à l’avion classique de Louis Blériot. En 1917, sans doute sur les conseils de son professeur de français-latin-grec, M. Philippe, auprès duquel il prenait des leçons particulières de grec, il lut ‘’Le voyage du jeune Anacharsis en Grèce, dans le milieu du IVe siècle avant l’ère vulgaire’’, de l’abbé Jean-Jacques Barthélemy (qu’il allait faire lire par le cheval Sthène dans ‘’Les fleurs bleues’’). Le 18 août, il écrivit un poème visionnaire, ‘’Les derniers jours’’, qui semble correspondre à une crise spirituelle. Il avait déjà suffisamment écrit pour pouvoir établir la bibliographie de ses œuvres. À la fin de l’année, il se prit de passion pour les mathématiques, que toute sa vie il mit au plus haut, s’intéressant surtout à la combinatoire des nombres, à l’engendrement récursif des suites par des procédés finis, simples, dont l’application engendre la complexité. En 1918, il lut Edgar Allan Poe, Ronsard, la Bible. Le 1er août 1918, il nota dans son journal : «Crise religieuse ; je renonce au catholicisme». Le 4 juillet 1919, il passa la première partie du baccalauréat, avec latin et grec. Cette année-là, il lut Proust qu’il trouva «soporifique», apprit à jouer aux échecs et au billard, continua à écrire de nombreux poèmes. Après avoir obtenu un prix d’excellence en philosophie, il passa, du 10 au 13 juillet 1920, la deuxième partie du baccalauréat, en philosophie, terminant ainsi glorieusement ses études secondaires. Il lut Rimbaud, Baudelaire, écrivit quelques poèmes dada, commença à fumer la pipe. Il fit scandale en annonçant à ses parents qu’il était athée.

Cependant, la question religieuse allait le tarauder à plus d’une période de sa vie. À la fin de l’année, ses parents vendirent leur fonds de commerce pour l’accompagner à Paris où il devait poursuivre ses études. Ils achetèrent une maison en banlieue, à Épinay-sur-Orge. Il s’inscrivit à la Sorbonne en philosophie. Le 6 janvier 1921, il s’abonna à ‘’Littérature’’, revue fondée en 1919 par les futurs surréalistes, Louis Aragon, André Breton, Philippe Soupault, écrivains d’un nouveau genre dont l’irrévérence totale, le non-conformisme absolu et la bonne humeur le séduisirent ; en conséquence, il commença à noter ses rêves. En juillet, il échoua à son examen. Le 7 novembre, il se réinscrivit à la faculté des lettres. Il étudia alors Leibniz, et découvrit René Guénon, dont la pensée ésotérique, à la mode dans les années 1930, allait le marquer. Mais, ne se contentant pas d’aller à la Sorbonne, pour y apprendre la philosophie, il fréquenta aussi la bibliothèque Sainte-Geneviève pour y donner libre cours à une curiosité encyclopédique. Aussi, non seulement il «s’émiett[ait]», mais vivait dans la solitude. Du 1er août au 26 septembre 1922, il fit un voyage en Angleterre, dont on allait trouver des traces dans son œuvre, en particulier le roman ‘’Gueule de pierre’’. Le 5 novembre, il s’inscrivit à la faculté des sciences, tout en continuant ses études de lettres. En 1923, il commença à suivre des cours de mathématiques. En juin et juillet, il échoua encore à ses examens. Il ressentit à la campagne ses premières crises d’asthme. Le 26 novembre, il se réinscrivit en faculté des sciences. En 1924, il se plongea dans la lecture des trente-deux volumes de ‘’Fantômas’’ de Pierre Souvestre et Marcel Allain, série qu’il allait relire quatre fois jusqu’en 1928. En juillet 1924, il obtint deux certificats : histoire générale de la philosophie et psychologie. À la fin de cette année-là, Pierre Naville, son ami et condisciple à la Sorbonne, l’introduisit dans le groupe des surréalistes : André Breton, Robert Desnos, Louis Aragon, Michel Leiris et Philippe Soupault.

Il participa à leurs réunions et à leurs activités, comme le ‘’Bureau central de recherches surréalistes’’. Il est très probable que la libération par l’«écriture automatique» déclencha vraiment sa vocation littéraire ; ses premiers textes (dont un récit de rêve) furent publiés dans ‘’La révolution surréaliste’’. On y perçoit, à côté de ce qui nous apparaît aujourd’hui comme les lieux communs du groupe (son goût pour le rêve et pour l’art qui l’incarne, le cinéma, pour l’humour, pour les jeux de mots), la vision ludique de l’existence, la curiosité pour l’ésotérisme et l’arithmosophie. Ses images témoignent d’un talent inné pour l’insolite et le surprenant. Mais, en dépit de quelques minimes annonces de ce qui allait faire son génie propre, il n’avait pas encore trouvé sa voie. Il fit aussi de l’aquarelle. En 1925, il obtint sa licence. Devant faire son service militaire, il fut, le 16 novembre 1925, incorporé et envoyé en Algérie, au 3e régiment de zouaves de Constantine («un fier régiment», allait-il dire dans ‘’Pierrot mon ami’’). Sur le bateau, il eut la surprise de ne pas comprendre cette question posée par un camarade : «T’enlèves tes pompes?» Le 16 avril 1926, il reçut a posteriori son diplôme de licencié ès lettres. Il écrivit dans son journal : «En moi, je crois devoir remarquer deux sortes de possibilités d’ordre individuel.

des possibilités d’ordre poétique et révolutionnaire. 2. des possibilités d’ordre érudit et critique.» Son régiment passa au Maroc, où il participa activement à la guerre du Rif (qu’il allait raconter dans ‘’Odile’’) au cours de laquelle, en 1927, il fut nommé zouave de deuxième classe. Il en profita pour s’initier à l’arabe, tandis que, de septembre 1926 à avril 1927, il suivit par correspondance un cours d’anglais commercial. Grâce à sa connaissance de cette langue, il eut une approche directe de la littérature anglo-saxonne, fit des traductions, et même trouva enfin un emploi chez Gallimard, en 1938. En mars 1927, il revint à la vie civile. Malheureusement, il fut réduit à de petits boulots, entre autres au ‘’Comptoir National d’Escompte’’ de Paris où il resta trois mois (on en trouve l’écho au début de son premier roman, ‘’Le chiendent’’). Il fréquenta assidûment les surréalistes, et publia, toujours dans ‘’La révolution surréaliste’’, un poème, ‘’Le tour de l’ivoire’’. Il rédigea un tract pour la défense de Charlie Chaplin qui était en butte aux attaques des ligues de décence féminines états-uniennes. En janvier 1928, il participa aux recherches sur la sexualité menées par les surréalistes. La même année, il se maria avec Janine Kahn, sœur de Simone, l’épouse d’André Breton, trouvant alors un remède apparent à son mal de vivre. Ils s’installèrent square Desnouettes. Sa situation matérielle s’améliora, mais il souffrait de ne pas gagner sa vie. Il visita, près de Vichy, des fouilles qui présentait des objets prétendument préhistoriques mais qui s’avérèrent fabriqués.

 

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