Réactions multicomposant à base des isonitriles

L’élaboration de synthèses rapides et efficaces de molécules organiques complexes à partir de substrats de départ simples et utilisant un minimum d’étapes constitue un véritable enjeu de la chimie organique contemporaine. Dans ce contexte, la chimie combinatoire est apparue comme une solution permettant d’atteindre un nombre important de produits combinant complexité structurale et rapidité d’accès.

Lors d’une synthèse classique en chimie organique, il existe en général une succession d’étapes au cours desquelles une ou plusieurs liaisons chimiques sont formées entre deux substrats de départ. Après chaque étape de synthèse, il est généralement nécessaire d’extraire et de purifier le produit intermédiaire formé, qui sera réengagé dans de nouvelles conditions réactionnelles pour l’étape consécutive .

Cette approche de synthèse apparaît comme assez complexe à mettre en œuvre, coûteuse et peu reproductible. Le concept de « synthèse idéale » repose sur l’obtention du produit désiré en un minimum d’étapes de synthèse et d’énergie à partir de substrats simples et/ou commerciaux peu onéreux tout en limitant la formation de sous-produits (économie d’atomes) de déchets toxiques.

Les réactions multicomposant (MCRs) sont définies comme étant des processus permettant d’assembler en une seule étape au minimum trois réactifs qui sont introduits dans le même pot pour conduire à un seul produit final incorporant la majorité des atomes des différents substrats de départ . Si l’on considère le mécanisme des MCRs, le produit est formé par une suite d’actes élémentaires au cours desquelles une ou plusieurs liaisons chimiques sont crées ou rompues, et non par un couplage simultané de tous les partenaires réactionnels. Si l’une de ces étapes est irréversible, la réaction devient alors particulièrement efficace.

Contrairement aux réactions séquencées classiques, les réactions multicomposant sont simples à mettre en œuvre, convergentes et permettent de créer plusieurs liaisons chimiques en une seule opération. Ce sont souvent des réactions propres, sélectives et qui permettent d’obtenir une grande diversité et complexité moléculaire. Ainsi, la variation de substrat de départ associée à une simplification ou fonctionnalisation de la structure rend possible la constitution rapide de bibliothèques de molécules diversement fonctionnalisées.

Le caractère monotope, économique en temps et en coût fait de ces réactions des outils formidables pour la recherche pharmaceutique afin de créer des chiomothèques destinées au criblage à haut débit.

La synthèse d’α-aminoacides de Strecker, puliée en 1850, est généralement considérée comme la première réaction multicomposant, même si Laurent et Gerhard l’auraient déjà effectuée douze ans plus tôt. Elle consiste en la condensation du chlorure d’ammonium sur un aldéhyde en présence de cyanure d’hydrogène pour aboutir à la formation d’un α-aminonitrile qui est ensuite hydrolysé en αaminoacide .

En se basant sur ces observations expérimentales concernant le solvant, Ugi a suggéré un mécanisme ionique (intermédiaires réactionnels chargés) dès 1961 (Schéma I.73, Voie A). La première étape du mécanisme est la formation de l’imine par condensation de l’amine sur l’aldéhyde qui est ensuite protonée par l’acide carboxylique conduisant à l’iminium. Cette espèce électrophile est susceptible de subir l’attaque nucléophile de l’isonitrile pour former l’intermédiaire nitrilium. En tant qu’électrophile, le nitrilium formé permet la formation de l’intermédiaire imidate après piégeage par l’anion carboxylate. L’ensemble de ces premières étapes est supposé renversable. L’efficacité de la réaction est alors assurée par un réarrangement final irréversible de type Mumm qui déplace l’ensemble des équilibres vers la formation du produit de couplage de Ugi. Plus récemment, un deuxième mécanisme a été suggéré (Schéma I.73, Voie B). Ce dernier consiste à rendre compte de la compétition qui existe entre les deux espèces nucléophile : l’isonitrile et l’ion carboxylate. Cette voie suggère ainsi la formation d’un intermédiaire hémiaminal issu de la réaction entre l’ion carboxylate et l’iminium. L’imidate, précédemment décrit, est obtenu via une α-addition de l’isonitrile. Quelle que soit la voie mécanistique supposée, l’intermédiaire clé de la réaction est l’imidate qui conduit finalement au produit désiré de Ugi après un réarrangement de type Mumm.

De nombreuses études ont été réalisées sur le mécanisme de cette réaction afin de pouvoir le comprendre. En 2012, une collaboration entre les équipes de El Kaïm, Grimaud et Fleurat-Lessard a conduit à une étude théorique du mécanisme de la réaction de Ugi. Cette étude a montré que seulement les voies A (passage par un nitrilium) et B (passage par un hémiaminal) peuvent être considérées parmi les différentes voies envisageables.

Quelle que soit la voie envisagée, le passage par l’acyl-imidate est donc incontournable. Cet intermédiaire réactionnel a pu être isolé expérimentalement dans certaines conditions de la réaction. Ainsi, Marcaccini et son groupe ont reporté en 2010 la séparation de l’imidate correspondant par emploi judicieux de l’acide ortho-formylbenzoïque comme partenaire de la réaction de Ugi. L’adduit de couplage de Ugi est obtenu après un traitement acide (Schéma I.74).

La réaction de Ugi permet un accès rapide, efficace et inédit à une large gamme de composés peptidomimétiques. Ces systèmes peptidiques représentent des plateformes synthétiques exceptionnelles et utiles à l’élaboration de principes actifs pharmaceutiques. Dans ce contexte, des efforts constants sont consentis pour la mise au point de nouvelles variantes avec pour objectif également de proposer des fonctionnalisations originales dans ce domaine d’étude.

Table des matières

Introduction générale
Chapitre I : Isonitriles et réactions multicomposant
1. Les réactions multicomposant
1. 1) Le principe des réactions multicomposant
1. 2) Un bref historique de ces synthèses
2. Les isonitriles
2. 1) Historique et synthèse des isonitriles
2. 1) 1. Méthode de carbylamine
2. 1) 2. Méthode de déshydratation du formamide
2. 1) 3. Autres méthodes de synthèse d’isonitrile
2. 2) Réactivité des isonitriles
2. 2) 1. Réactivité du carbone terminal
2. 2) 2. Acidité en α
2. 2) 3. Interaction avec les radicaux
2. 2) 4. Insertion en présence d’un métal
2. 2) 5. Cycloadditions formelles
2. 2) 6. Réactions d’insertion
3. Les réactions multicomposant impliquant des isonitriles
3. 1) La réaction de Passerini (P-3CR)
3. 1) 1. Réaction de Passerini énantiosélective
3. 1) 2. Post-condensations d’adduits de Passerini
3. 2) La réaction de Ugi (U-4CR)
3. 3) Variations autour de la réaction de Ugi
3. 3) 1. Utilisation de réactifs bi-fonctionnels
3. 3) 2. Variation autour de l’isonitrile
3. 3) 3. Variation autour de l’amine
3. 3) 4. Variation autour de l’acide
4. Post-condensations d’adduits de Ugi
4. 1) Substitution Nucléophile Aromatique SNAr
4. 2) Condensations
4. 3) Cycloadditions
4. 3) 1. Réaction de Diels-Alder
4. 3) 2. Cycloadditions [2+2] et [3+2]
4. 4) Couplages organométalliques
4. 4) 1. Réactions d’arylations
4. 4) 2. Couplage de Heck
4. 4) 3. Réactions de métathèse
4. 5) Réactions radicalaires
5. Post-condensations d’adduits de Ugi-Smiles
5. 1) Condensation
5. 2) Couplages organométalliques
Chapitre II : Couplage Ugi-Smiles avec la 6-mercaptopurine
1. Introduction
2. Rappel bibliographique
2. 1) Intérêt biologique
2. 2) Synthèse d’aminopurines
2. 3) Réarrangement de Smiles de systèmes hétérocycliques
2. 3) 1. Mécanisme et caractéristique
2. 3) 2. Exemples de réarrangement de Smiles de systèmes hétérocycliques
2. 4) Coulage de Ugi-Smiles
2. 4) 1. Généralités
2. 4) 2. Couplage de Ugi-Smiles avec des phénols hétérocycliques
2. 4) 3. Couplage de Ugi-Smiles avec des thiols hétérocycliques
3. Le couplage de Ugi-Smiles avec 6-mercaptopurine
3. 1) Optimisation de la réaction de couplage
3. 2) Etendue et limites de la réaction
4. Conclusion
Conclusion générale

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