Rotation à long terme des corps célestes et application à Cérès et Vesta

Rotation à long terme des corps célestes et application à Cérès et Vesta

 Modèle séculaire hamiltonien

Dans la section 3.1.1, nous avons vu que Cérès était proche des résonances avec les fréquences séculaires 2g6−g5 et 2g6−g7. La présence d’une résonance séculaire orbitale peut induire des variations importantes des paramètres orbitaux, qui peuvent se répercuter sur le mouvement de rotation. De plus comme noté par Laskar et Robutel (1993), le caractère chaotique de l’orbite peut élargir les régions chaotiques de la rotation. Pour étudier la stabilité des mouvements orbitaux de Cérès et Vesta et les effets des résonances proches, nous allons ainsi réaliser un modèle séculaire reproduisant la solution La2011.

Construction du modèle séculaire

Laskar et Robutel (1995) ont considéré un problème à trois corps où deux planètes sont en orbite autour d’une étoile et ont développé le hamiltonien d’interaction entre les deux planètes en fonction du rapport de leurs demi-grands axes. Le hamiltonien peut alors s’exprimer comme une série polynomiale des variables canoniques rectangulaires de Poincaré. Pour un hamiltonien développé à un certain ordre en rapport des demi-grands axes, tronquer la série à un certain degré en excentricité et inclinaison permet d’obtenir une expression explicite du hamiltonien d’interaction. Pour calculer le hamiltonien résultant des perturbations planétaires, nous nous limitons ici aux effets gravitationnels de Jupiter et Saturne sur Cérès et Vesta. Par exemple dans le cas de Cérès, on considère d’abord le système à trois corps Soleil-Jupiter-Cérès pour obtenir le hamiltonien décrivant les perturbations de Jupiter puis le système Soleil-Saturne-Cérès afin d’avoir celui des perturbations de Saturne. La somme des deux hamiltoniens donne le hamiltonien total qui s’écrit (Laskar et Robutel, 47 δi ( ◦ ) t (Myr) -2 -1 0 1 2 −20 −15 −10 −5 0 b) δe -0.12 -0.06 0.00 0.06 0.12 a) Figure 3.5 – Différence pour Cérès entre l’excentricité (a) et l’inclinaison (b) du modèle séculaire et de la solution La2011 avec ajustement de fréquences en noir et sans en rouge. 1995) H = X 6 l=5 X k,k′ X N ΓN (Λ,Λl) XnXn ′ l X nX n ′ l Y mY m′ l Y m Y m′ l e i(kλ+k ′λl) (3.14) avec N = (n, n′ , n, n ′ , m, m′ , m, m′ ) et où ΓN (Λ,Λl) sont des coefficients dépendant seulement du rapport des demi-grand axes (Laskar et Robutel, 1995). Les variables rectangulaires canoniques de Poincaré (Λ, λ, x, −ix, y, −iy) sont définies par Λ = β √ µa, (3.15) x = r Λ  1 − p 1 − e 2  e i̟, (3.16) y = q Λ p 1 − e 2 (1 − cosi)e iΩ, (3.17) où β = mM⊙/(m + M⊙), µ = G(m + M⊙), m la masse du corps perturbé et M⊙ la masse du Soleil. On utilise les variables normalisées X = x p 2/Λ, Y = y/√ 2Λ de la même façon que Laskar et Robutel (1995). Le hamiltonien peut être développé à différents ordres en masse et à différents degrés en excentricité et inclinaison. Le hamiltonien de l’équation (3.14) est un hamiltonien total qui dépend des longitudes moyennes. Le hamiltonien séculaire peut être obtenu à partir de l’expression (3.14) en sélectionnant les termes vérifiant (k, k′ ) = (0, 0) (Laskar et Robutel, 1995). On suppose que Cérès et Vesta ne perturbent pas les planètes et présentent des masses nulles. Cérès et Vesta sont ainsi forcés par le mouvement des planètes et les variables Xi , Xi , Yi , Y i sont calculées à partir d’une solution orbitale séculaire de Jupiter et Saturne. On réalise ainsi une analyse en fréquence des variables Xi et Yi de Jupiter et Saturne pour la solution La2011 sur [−20 : 0] Myr et on extrait parmi les cent premiers termes de l’analyse en fréquence les termes séculaires de fréquence inférieure en valeur absolue à 300′′/yr pour obtenir des décompositions en fréquences séculaires. En injectant ces décompositions dans les variables de Jupiter et Saturne dans le hamiltonien séculaire, on obtient un 48 δi ( ◦ ) t (Myr) -3 -2 -1 0 1 2 3 −20 −15 −10 −5 0 b) δe -0.15 -0.10 -0.05 0.00 0.05 0.10 0.15 a) Figure 3.6 – Différence pour Vesta entre l’excentricité (a) et l’inclinaison (b) du modèle séculaire et de la solution La2011 avec ajustement de fréquences en noir et sans en rouge. hamiltonien dépendant uniquement des variables de l’astéroïde X, X, Y , Y et du temps. Les équations du mouvement sont données alors par dX dt = − 2i Λ ∂H ∂X (3.18) dY dt = − i 2Λ ∂H ∂Y . (3.19) 3.2.2 Ajustement du modèle séculaire Les équations (3.18) et (3.19) sont intégrées avec un pas de 100 yr avec un intégrateur Runge-Kutta 8(7) (Dormand et Prince, 1980) avec les mêmes conditions initiales que celles de la solution La2011. Le hamiltonian séculaire est d’abord calculé à l’ordre 1 en masse et degré 4 en excentricité et inclinaison. Un tel développement ne permet pas de retrouver la solution orbitale de Cérès et Vesta de La2011 comme on peut le voir sur les figures 3.5 et 3.6 pour respectivement Cérès et Vesta. Les amplitudes des oscillations de l’excentricité et de l’inclinaison correspondent mais on observe un déphasage progressif entre la solution donnée par le modèle séculaire et la solution La2011. L’analyse en fréquence permet de constater que les deux solutions présentent des fréquences séculaires g et s différentes pour Cérès et Vesta, d’où le déphasage observé. Pour augmenter la précision du modèle séculaire, on pourrait augmenter l’ordre du hamiltonien séculaire. On peut aussi augmenter la précision du modèle séculaire en ajustant ses fréquences propres de la même façon que cela a été réalisé par Laskar (1990). Les déphasages pour la longitude du périhélie et la longitude du nœud entre la solution La2011 et le modèle séculaire peuvent être modélisés respectivement par les fonctions affines du temps At + δ̟0 et Bt + δΩ0. Les paramètres A et B représentent les différences entre les fréquences propres entre les deux solutions. On peut ainsi ajuster les fréquences du modèle séculaire en ajoutant les termes suivants au hamiltonien H′ = H − AΛ 2 XX − 2BΛY Y . (3.20) 49 50 52 54 56 0 1 2 3 4 5 6 9 10 11 0.00 0.10 0.20 0.30 g C (′′/yr) A ( ′′/yr) c) i ( ◦ ) b) e a) Figure 3.7 – Excentricité (a), inclinaison (b), fréquence gC (c) en fonction de A pour Cérès. Pour l’excentricité (a) et l’inclinaison (b), les courbes rouges, noires et bleues correspondent respectivement aux valeurs maximales, moyennes et minimales. La ligne rouge verticale représente la valeur de A pour le modèle séculaire. Les conditions initiales de la longitude du périhélie et de la longitude du nœud sont aussi corrigées respectivement de δ̟0 et δΩ0. Les conditions initiales pour l’excentricité et l’inclinaison doivent aussi être corrigées. Les excentricités et les inclinaisons présentent en effet des termes à courtes périodes. Pour l’intégration des équations séculaires, il faut ainsi prendre des conditions initiales de l’excentricité et de l’inclinaison, où une moyenne a été réalisée sur les courtes périodes. On réalise cela en corrigeant les conditions initiales pour que les différences en excentricité et inclinaison présentent une moyenne nulle sur [−20 : 0] Myr. La procédure de correction des fréquences séculaires et des conditions initiales est itérée plusieurs fois jusqu’à ce que les moyennes des différences pour les variables e, i, ̟ et Ω soient nulles sur [−20 : 0] Myr, comme représentées sur les figures 3.5 et 3.6 pour respectivement Cérès et Vesta. L’ajustement des fréquences est alors de A ≈ 4.1 ′′/yr et B ≈ 0.20′′/yr pour Cérès et de A ≈ 0.51′′/yr et B ≈ −0.41′′/yr pour Vesta. L’ajustement des fréquences a ainsi permis de reproduire la solution La2011 en considérant uniquement les perturbations de Jupiter et Saturne. Ainsi la dynamique de Cérès et Vesta est dominée par les perturbations de Jupiter et Saturne et les perturbations des autres planètes sont beaucoup plus faibles, comme noté pour Cérès et Vesta par Skoglöv et al. (1996) et pour Cérès par Ermakov et al. (2017a). Pour Cérès, la correction sur la fréquence gC est particulièrement élevée. On peut construire pour Cérès un modèle d’ordre 2 et de degré 6. Pour ce modèle les corrections sur les fréquences gC et sC sont plus faibles avec A ≈ 1.8 ′′/yr et B ≈ −0.045′′/yr. Les contributions d’ordre supérieur sont ainsi plus importantes pour Cérès que pour Vesta mais nous conservons pour les deux le modèle d’ordre 1 et de degré 4. 50 -62 -60 -58 -56 −3 −2 −1 0 1 2 3 9 10 11 0.00 0.10 0.20 sC (′′/yr) B ( ′′/yr) c) i ( ◦ ) b) e a) Figure 3.8 – Excentricité (a), inclinaison (b), fréquence sC (c) en fonction de B pour Cérès. Pour l’excentricité (a) et l’inclinaison (b), les courbes rouges, noires et bleues correspondent respectivement aux valeurs maximales, moyennes et minimales. La ligne rouge verticale représente la valeur de B pour le modèle séculaire.

Étude des résonances proches

L’intégration des équations issues du hamiltonien séculaire est environ 104 fois plus rapide qu’en utilisant l’intégrateur LaX. Ce modèle peut ainsi être utilisé pour étudier la dynamique à proximité de Cérès et Vesta en réalisant des intégrations pour de nombreuses valeurs différentes des paramètres A et B. Les effets des résonances avec les fréquences présentes dans le mouvement séculaire de Jupiter et Saturne peuvent alors être observés. Les équations (3.18) et (3.19) sont intégrées pour chaque valeur des paramètres A et B sur [−20 : 0] Myr. On détermine ensuite par analyse en fréquence les fréquences g et s. Pour Cérès, on fait varier A sur l’intervalle [0 : 6] ′′/yr. Les évolutions de l’excentricité, de l’inclinaison, de la fréquence gC sont sur la figure 3.7. Cérès entre en résonance avec la fréquence séculaire 2g6 − g5 ≈ 52.23′′/yr pour gC ∈ [51.32 : 53.16] ′′/yr. L’excentricité varie alors entre 0.0002 et 0.27 contre des variations entre 0.04 et 0.18 en dehors de la résonance. L’inclinaison maximale augmente alors de 10.6 à 11.1 ◦ . Cérès entre dans la résonance avec la fréquence 2g6 − g7 ≈ 53.40′′/yr pour gC ∈ [53.21 : 53.60] ′′/yr et l’excentricité maximale augmente alors de 0.17 à 0.19. Dans la section 3.1.1, on a estimé que la diffusion chaotique peut permettre à la fréquence séculaire gC de varier sur l’intervalle [54.225 : 54.261] ′′/yr sur [−250 : 250] Myr. Ainsi la diffusion chaotique de la fréquence gC est trop faible pour que Cérès puisse entrer en résonance avec les fréquences 2g6 − g5 et 2g6 − g7 sur [−250 : 250] Myr. La fréquence g7 + 2g6 − 2g5 ≈ 51.06′′/yr présente dans le mouvement de Jupiter et Saturne provoque une résonance pour gC ∈ [50.97 : 51.20] ′′/yr avec une augmentation de l’excentricité maximale inférieure aux deux résonances précédentes. Le mouvement de Jupiter et Saturne pourrait aussi créer une résonance avec la fréquence 3g6 − 2g5 + s6 − s7 ≈ 52.87′′/yr. Cependant on ne peut pas distinguer ici ses effets de ceux de la résonance 2g6 − g5.

Table des matières

Introduction
I Étude de la rotation à long terme de Cérès et Vesta
1 Introduction
1.1 Cérès et Vesta
1.2 Méthodes pour le calcul à long terme de la rotation
1.3 Plan
2 Intégration de la rotation à long terme
2.1 Hamiltonien total
2.1.1 Équations générales
2.1.2 Intégration symplectique du hamiltonien total .
2.2 Hamiltonien obtenu par une moyenne de la rotation propre
2.2.1 Les variables action-angle d’Andoyer
2.2.2 Moyenne sur les angles rapides
2.2.3 Intégration du hamiltonien d’interaction
2.2.4 Intégration du moment cinétique forcé
2.2.5 Effet de marées sur la Terre
2.3 Hamiltonien séculaire
2.3.1 Relation entre le moment cinétique et l’axe de rotation
2.3.2 Moyenne sur le mouvement orbital
2.3.3 Constante de précession
2.3.4 Fréquence de précession et résonances séculaires
2.3.5 Hamiltonien séculaire en variables d’Andoyer
3 Mouvements orbitaux de Cérès et Vesta
3.1 Solution orbitale La20
3.1.1 Cérès
3.1.2 Vesta
3.2 Modèle séculaire hamiltonien
3.2.1 Construction du modèle séculaire
3.2.2 Ajustement du modèle séculaire
3.2.3 Étude des résonances proches
3.3 Construction d’une solution orbitale séculaire
4 Caractéristiques physiques et de rotation de Cérès et Vesta
4.1 Cérès
4.1.1 Caractéristiques physiques
4.1.2 Moment d’inertie polaire
4.1.3 Angle d’Andoyer J
4.1.4 Constante de précession
4.1.5 Cérès primitif
4.2 Vesta
4.2.1 Caractéristiques physiques
4.2.2 Moment d’inertie polaire
4.2.3 Angle d’Andoyer J
4.2.4 Constante de précession
4.2.5 Vesta primitif
4.3 Conditions initiales de l’axe de rotation
5 Mouvements de rotation de Cérès et Vesta
5.1 Perturbations du mouvement de rotation
5.1.1 Satellites
5.1.2 Dissipation de marées
5.1.3 Rencontres proches
5.2 Calcul de la solution pour la rotation
5.2.1 Comparaison avec la solution La20
5.2.2 Estimation des effets du chaos orbital
5.2.3 Estimation des effets du chaos du mouvement de rotation
5.2.4 Estimation des autres effets
5.3 Solution Ceres20 pour la rotation de Cérès et Vesta
5.3.1 Cérès
5.3.2 Vesta
5.3.3 Intégrations pour différents moments d’inertie
5.4 Étude de la stabilité de l’axe de rotation
5.4.1 Solution séculaire pour l’obliquité
5.4.2 Étude des résonances proches
5.4.3 Cartes de stabilité de l’axe de rotation
6 Évolution de l’insolation et contraintes sur la distribution de glace de Cérès
6.1 Calcul de l’insolation
6.1.1 Insolation instantanée à une latitude donnée
6.1.2 Insolation journalière à une latitude donnée
6.1.3 Insolation annuelle à une latitude donnée
6.1.4 Insolation journalière moyenne
6.1.5 Insolation annuelle moyenne
6.2 Calcul de la température
6.2.1 Détermination de la température à la surface
6.2.2 Modèles simplifiés
6.3 Stabilité de la glace sous la surface de Cérès
6.3.1 Conditions de stabilité de la glace à la surface
6.3.2 Conditions de stabilité de la glace sous la surface
6.4 Étude de la stabilité de la glace sous la surface de Cérès
6.5 Comparaison avec les études précédentes
II Intégrateurs symplectiques pour le corps solide libre
7 Introduction
7.1 Intégration du corps solide libre
7.2 Intégrateurs symplectiques
7.3 Intégrateurs symplectiques pour le corps solide libre
7.4 Plan
8 Étude de l’algèbre de Lie du moment cinétique
8.1 Résidus pour les premiers ordres
8.1.1 Ordre 1
8.1.2 Ordre 2
8.1.3 Ordre 3
8.1.4 Ordre 4
8.1.5 Ordre 5
8.2 Bilan
8.3 Résidus à tout ordre
8.3.1 Théorème 1
8.3.2 Démonstration
8.4 Formule de réduction
8.4.1 Théorème 2
8.4.2 Démonstration
9 Obtention d’intégrateurs symplectiques spécifiques au corps solide libre
9.1 Construction d’intégrateurs symétriques d’ordre 4
9.1.1 Décomposition ABC : intégrateurs N
9.1.2 Décomposition RS
9.1.3 Estimation des résidus d’ordre 5
9.2 Ajout d’une étape supplémentaire
9.2.1 Décomposition ABC : intégrateurs P
9.2.2 Décomposition RS : intégrateur R
9.3 Coût des intégrateurs du type RS
9.4 Nombre d’étapes des intégrateurs spécifiques
9.4.1 Nombre de coefficients
9.4.2 Nombre de relations entre les coefficients
9.4.3 Nombre d’équations
9.4.4 Nombre d’étapes
Tests numériques
.1 Méthode
.1.1 Principe
.1.2 Intégrateurs de référence
.1.3 Coût des intégrateurs
.2 Toupie sphérique
.3 Molécule d’eau
.3.1 Intégrateurs N
.3.2 Intégrateurs P et R
.4 Corps quelconque
.4.1 Ensemble des moments d’inertie
.4.2 Intégrateurs N
.4.3 Intégrateurs P
.5 Comparaison avec l’algorithme de Moser-Veselov
Utilisation de correcteurs pour le corps solide libre
.1 Correcteur d’ordre 4
.2 Correcteur d’ordre 6
.3 Correcteurs d’ordre supérieur
Conclusion
A Variables canoniques en mécanique céleste
A.1 Variables canoniques barycentriques
A.2 Variables canoniques héliocentriques
A.3 Éléments elliptiques
A.4 Variables canoniques rectangulaires de Poincaré
B Analyse en fréquence
B.1 Principe
B.2 Précision
C Termes supplémentaires utilisés pour la solution séculaire de Cérès et Vesta
C.1 Cérès
C.2 Vesta
D Équations des coefficients des intégrateurs spécifiques N
E Solution du corps solide libre 209
E.1 Solution pour le moment cinétique

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