Sacha GUITRY

Sacha GUITRY

Les hasards de la carrière de son père, Lucien Guitry, l’un des plus grands et plus célèbres comédiens français de la Belle Époque, un homme mordant, hautain et joyeux, de la race des grands seigneurs, l’ayant conduit en Russie, où il était alors engagé pour neuf saisons avec la troupe permanente du théâtre français de Saint-Pétersbourg, le fameux théâtre Michel, Sacha Guitry naquit à Saint-Pétersbourg, au numéro 12 de la perspective Nevski, le 21 février 1885. Il venait au monde après deux garçons, l’un né en 1883 et mort au berceau, l’autre, Jean, né en 1884. Leur mère, Renée Delmas de Pont-Jest, allait encore donner naissance en 1887 à un quatrième garçon, lui aussi mort au berceau. Il fut prénommé Alexandre en l’honneur de son parrain, le tsar Alexandre III, qui appréciait le talent de Lucien Guitry. Mais, comme celui-ci trouvait que le prénom était un peu long, la baronne Bredow proposa le diminutif Sacha. Le bébé était si laid que son père crut devoir consoler sa jeune femme : «C’est un monstre ! Mais ça ne fait rien, nous l’aimerons bien tout de même !» Cependant, en 1889, les époux se séparèrent. Renée Delmas rentra en France, et obtint la garde de ses deux enfants. Toutefois, un dimanche d’octobre, Lucien, profitant de son droit de visite, enleva Sacha et le ramena en Russie.

L’enfant avait pour son père, dont il entendait dire qu’il allait «jouer tous les soirs pour travailler», une admiration sans bornes. Élevé dans le culte du théâtre, il figura dans une pantomime en un acte que son père avait faite en collaboration avec le grand comédien russe Davidof, et qui fut créée au palais impérial, devant Alexandre III. Son père y jouait le rôle de Pierrot, tandis qu’il était Pierrot fils ; et comme, sur une photo célèbre, on les voit en habits de Pierrots, les manches de la chemise de Sacha pendent jusqu’à terre ! Au printemps 1890, ils revinrent en France, et Sacha retrouva sa mère et son frère, auquel il s’unit pour ne rien faire. De 1891 à 1900, il fut incapable de s’adapter à la vie scolaire, et établit une sorte de record du genre en se faisant renvoyer successivement de onze établissements publics ou privés, et en se révélant incapable de dépasser le niveau de la classe de sixième. En fait, ce fut d’abord en raison des déplacements de son père, car, à l’époque, on recommençait l’année si l’on changeait d’établissement, ce qui était périodiquement son cas. Mais il était aussi très dissipé, faisant les quatre cents coups avec son frère aîné. Il allait ironiser en considérant les écoles comme «des établissements où l’on enseigne à des enfants ce qu’il est indispensable de savoir pour devenir professeur». Après quelque hésitation entre le dessin et le théâtre, il choisit cette voie.

Il bénéficiait de l’immense influence sur lui de ce père qui l’éblouissait et que tout Paris admirait, qui avait dans sa conversation des répliques d’une drôlerie continue et s’en jouait à merveille. Et, comme son père recevait des personnages tels que Tristan Bernard, Alfred Capus, Alphonse Allais, Jules Renard, Octave Mirbeau, Claude Monet, Sarah Bernhardt, Georges Clemenceau, on ne pouvait rêver meilleur creuset d’intelligence et d’esprit. Il voulut, s’il avait un nom, se faire un prénom en écrivant des pièces de théâtre, prétendant : «Il suffit de se faire imprimer une carte de visite avec marqué dessus ‘’auteur dramatique’’ et après, mais après seulement, d’écrire». Il n’avait pas encore dix-sept ans, était encore un élève, qu’en 1901, il produisit sa première pièce. Recommandé par Francis de Crosset, il porta à la directrice du Théâtre des Mathurins, Marguerite Deval, ‘’Le page’’, opéra bouffe en un acte et en vers. Elle accepta de le monter à condition qu’il le modifie. Présentée le 15 avril 1902 au Théâtre des Mathurins, la pièce recueillit un succès honorable, avec trente-cinq représentations. Mais rien ne permettait alors de penser que ce fils à papa, mal dégrossi, paresseux et indolent, allait devenir bientôt le prince de l’esprit français. Il abandonna alors définitivement des études qu’il n’avait jamais réellement commencées. Le 4 juillet 1902, Renée Delmas mourut, à l’âge de 42 ans. Sacha Guitry fit jouer ‘’Yves le fou’’, pastorale tragique en un acte qui n’eut qu’une représentation, le 23 août 1902, à l’Hôtel Julia de Pont-Aven.

En 1904, dans les coulisses du Théâtre de la Renaissance, dont son père était le directeur, il rencontra l’actrice Charlotte Lysès, qui avait vingt-six ans, de l’assurance et du charme malgré une myopie qu’elle corrigeait en jouant avec un face-à-main. S’estimant douée pour le théâtre, elle était, durant l’hiver 1902-1903, venue voir Lucien Guitry, qui avait près de quarante-cinq ans, un physique qui plaît aux dames, et passait, à juste titre, pour le plus grand acteur de son temps. Comme les autres comédiennes qui demandaient son aide pour jouer dans une pièce, elle eut droit à une rencontre très intime avec le maître, qui était très porté sur la bagatelle. Résultat : elle obtint un petit rôle (deux ou trois phrases !) dans la distribution d’une pièce, et devint sa maîtresse. Souhaitant se venger d’une si maigre récompense, elle se réjouit de rencontrer un soir, au théâtre, un jeune homme de sept ans son cadet au regard pétillant d’intelligence : Sacha Guitry ! Quand il découvrit cette idylle naissante, Lucien, fou furieux, la chassa de son théâtre, et tenta d’éloigner d’elle son fils, l’emmenant même aux Pays-Bas où il le confia à Eugène Demolder, chez qui d’ailleurs le jeune homme fit la connaissance d’Alfred Jarry. Revenu à Paris, il plaça des caricatures dans quelques hebdomadaires. Mais elles ne lui suffisaient pas pour vivre.

Placé par son père, qui exigea qu’il prenne le pseudonyme de Lorsey (car il ne voulait pas que son fils use de son prestigieux patronyme !), il eut son premier rôle au théâtre, dans la pièce de Maurice Donnay, ‘’L’escalier’’, où il joua avec Charlotte. Allaient suivre quelques petits rôles au théâtre, toujours sous la direction de Lucien Guitry. En janvier 1905, il joua le rôle du beau Pâris dans ‘’La bonne Hélène’’, un petit acte de Jules Lemaitre. Comme il arriva en retard au théâtre, et rata son entrée en scène car il avait oublié sa perruque, son père le mit à l’amende. Il n’accepta pas la sanction, quitta le théâtre, et ce fut le début d’une brouille entre père et fils, en réalité provoquée par leur rivalité amoureuse, et qui allait durer treize ans, dont Sacha souffrit affreusement. Ils allaient le regretter ensuite, mais aucun des deux n’aurait accepté de faire le premier pas. Il vécut alors quelque temps chez Alphonse Allais, avant de s’installer à l’hôtel Canada avec Charlotte Lysès qui, le poussant devant sa table de travail, le dégageant de toute contingence administrative, étant en quelque sorte son agent artistique, exerça sur lui une influence bénéfique.

 

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