Sérieux et Capgras : Des formes cliniques proches des théories du complot

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Un phénomène historique Les théories du complot ne sont pas l’apanage des temps modernes

elles existent depuis plusieurs siècles. On peut retrouver des traces de discours « proto-conspirationnistes » lors de la grande répression de la sorcellerie aux XVIe et XVIIe siècle durant laquelle on voit surgir l’idée qu’un pouvoir occulte et organisé menacerait la société pour pervertir les croyants. Cette vision restait alors encore inscrite dans une conception religieuse du monde. Ensuite, au XVIIIe siècle, le premier ordre secret accusé est celui des Illuminati, de type maçonnique. Cette diabolisation est principalement due à l’Abbé Augustin Barruel qui a rédigé ses « Mémoires pour servir l’histoire du jacobinisme » (1779), reconstruisant l’histoire comme un mythe en exagérant leur importance et leur puissance. On peut ainsi retrouver plusieurs pamphlets sur le thème du complot maçonnique ou illuminatiste en fond de trame des conflits de la Révolution Française. Après la Révolution, la nature du conspirationnisme prérévolutionnaire se trouve remise en cause : la société, laïcisée, rationalisée, ne croit plus au Diable et vit dans l’incertitude. Le conspirationnisme va ensuite devenir une composante de la culture populaire américaine de l’après-seconde guerre mondiale. Les années 1950 sont marquées par une inquisition profonde de l’institution politique américaine et de propagande anti-communiste dans le contexte de la guerre froide, connue sous le nom de Maccarthysme. On se rend bien compte de la puissance historique de ces théories du complot, par exemple, en mesurant les conséquences de l’interprétation du texte tristement célèbre « Les protocoles des Sages de Sion » sur lequel s’est beaucoup appuyée l’idéologie antisémite depuis le début du XXème siècle (François 2012). b- Une tentative de définition complexe C’est le philosophe Karl Popper qui, le premier, dans les années 1940, dans un contexte de seconde guerre mondiale, introduira le terme de théorie du complot : « C’est l’opinion selon laquelle l’explication d’un phénomène social consiste en la découverte des hommes ou des groupes qui ont intérêt à ce qu’un phénomène se produise et qui ont planifié et conspiré pour qu’il se produise ». (Popper 1945) Conspiration vient du latin « conspiratio » : « un accord », « une entente » entre deux ou plusieurs personnes. Plus récemment désignées par des néologismes comme concept, les termes de conspirationnisme ou de théories conspirationnistes sont apparus dans le dictionnaire lors de cette dernière décennie. Le conspirationnisme apparaît aujourd’hui comme un phénomène très difficile à définir, à délimiter et à évaluer, ce qui peut être expliqué en premier lieu, par la très grande hétérogénéité des affirmations susceptibles d’entrer dans ce champ. Le conspirationnisme touche aujourd’hui aussi bien l’interprétation d’événements politiques, que la remise en cause du savoir scientifique, en passant également par des affirmations proches du registre surnaturel parfois même relevant de l’imaginaire de la science-fiction. Cette grande hétérogénéité rend complexe l’établissement de critères précis qui permettraient de délimiter le 7 D.E.S PSYCHIATRIE-Audrey Fardeau| Université de Nantes champ des affirmations conspirationnistes. A cela s’ajoute encore l’existence bien réelle de certains complots attestés par les historiens au fil des siècles, venant également parasiter la réflexion autour d’une définition consensuelle des théories du complot. On peut, de plus, pointer la grande diversité des comportements pouvant être regroupés sous le terme d’attitude conspirationniste. En effet, il faut s’attacher à distinguer comme des processus distincts, bien qu’ils puissent se recouper partiellement, la construction collective et spontanée de théories du complot, leur diffusion, et l’adhésion qu’elles peuvent susciter. Pour Brian L Keeley (1999), professeur en psychologie au Pitzer College en Californie, une théorie du complot est une explication proposée d’un événement (ou de plusieurs événements) historique(s), en termes d’action causale significative d’un groupe relativement petit de personnes, les conspirateurs, agissant en secret. Le Dr Mouchabac (2016) fait la synthèse des éléments spécifiques caractéristiques d’une théorie du complot : • Elle sous-entend une intention néfaste de la part des protagonistes participant au complot • Elle met en scène une volonté manifeste de cacher la vérité, il y a toujours une notion de complot « secret » • Elle contredit toujours la version dite « officielle » • Elle relie des évènements sans rapports apparents à partir de données aberrantes dites « mainstream » qui sont la base de la théorie • Les évènements que la théorie du complot cherche à expliquer sont toujours des évènements à fort impact émotionnel • L’explication de la théorie du complot est toujours plus simple que celle annoncée de manière « officielle » • Elle illustre une vision dichotomique du bien et du mal • Elle se développe soit autour de minorités (politiques, ethniques, religieuses, sociales etc.) ou bien au contraire autour de grands systèmes élargis (les politiques, les banquiers, les services secrets, l’état, le big pharma etc.) • Le standard de preuve nécessaire et recherché est assez bas, la construction de pensée est inductive et cloisonnée, peu sensible à la correction Le conspirationnisme est une forme de pensée, une vision du monde, une croyance offrant une grille d’interprétation mono causale de tous les évènements de l’Histoire de l’humanité. Il sous-tend une synergie de tous ces évènements présentés comme la résultante d’un complot, voire méga-complot, ourdie par une petite poignée d’individus associée à des sociétés secrètes ou des réseaux d’influence. C’est une vision unificatrice de l’Histoire (E.Sauteras 2017). 8 D.E.S PSYCHIATRIE-Audrey Fardeau| Université de Nantes Bien sûr, il existe plusieurs niveaux d’adhésion aux théories du complot. Michael Barkun a déterminé une échelle d’adhésion aux croyances complotistes (2013) allant de la croyance en un complot isolé pour un évènement de l’histoire jusqu’au concept de méga-complot selon lequel tous les complots existants sont ourdis par une seule et même entité ayant des attributs d’omniscience, d’éternité et de toute puissance. C’est une théorie négatrice du hasard, de la coïncidence, de l’aléa. « Tissé de paradoxes, le conspirationnisme est le fait d’hommes qui, d’une part, adhèrent à des vérités de foi, dogmatiques, et inaccessibles à la raison, mais qui d’autre part, ne cessent de vouloir rendre la réalité historique parfaitement transparente et les conduites humaines incomparablement logiques » (Rihoit 1990) Par ailleurs, il se trouve que le meilleur prédicteur d’adhésion à une théorie du complot, est l’adhésion à une autre théorie du complot, sans lien avec la première, ainsi certains parlent véritablement d’ « état d’esprit conspirationniste ». (Jan-Willem van Prooijen, Mark van Vugt 2018) c- Epidémiologie et associations En France, l’Ifop (Institut français d’étude d’opinion) a réalisé pour la Fondation Jean-Jaurès et Conspiracy Watch, une nouvelle enquête sur le complotisme en décembre 2018 qui met en lumière l’influence des représentations conspirationnistes dans la société française : 21 % des personnes interrogées se déclarent « d’accord » avec 5 énoncés complotistes parmi les 10 qui leur ont été soumis. (voir Figure 1 Figure 2 Figure 3 -IFOP 2019) De plus, Selon une autre étude Ifop, plus de 9 % des Français croient « possible que la Terre soit plate et non pas ronde comme on nous le dit depuis l’école ». (IFOP 2018)

Table des matières

I- Introduction
II- Généralités
a- Un phénomène historique
b- Une tentative de définition complexe
c- Epidémiologie et associations
d- Des conséquences
III- D’un point de vue neuropsychologique
a- Formation d’une croyance
b- Des modèles décisionnels neurocomputationnels:
 Un exemple de modèle computationnel : Le modèle Bayésien appliqué aux croyances
c- Les biais neurocognitifs :
d- Bénéfices de la pensée analytique
IV- D’un point de vue psychosociale
a- Fonction des théories du complot
b- Anxiété sociale et concept d’anomie
c- L’influence des stéréotypes sociaux
d- Cognitions sociales paranoïdes
e- Associations et attitudes socio-politiques
V- D’un point de vue rhétorique
a- Logique du discours complotiste
b- Scepticisme et théories du complot :
c- Discours critique et responsabilité
VI- D’un point de vue psychiatrique
a- Complotisme et traits de personnalité :
b- Complotisme et schizotypie :
c- Complotisme et « paranoïa » :
1- Sérieux et Capgras : Personnalité paranoïaque et délire secondaire
2- Sérieux et Capgras : Des formes cliniques proches des théories du complot
3- Similarité entre théories du complot et paranoïa
4- Points de divergence entre théorie du complot et paranoïa
d- Eléments de compréhension psychopathologiques :
1- Une réponse aux besoins pulsionnels
2- Une tentative de préservation narcissique
3- Un semblant de fonctionnement psychotique : déni et projection
4- Une sollicitation perverse :
5- Une fonction défensive face au traumatisme
6- L’échec d’un positionnement absurde
VII- Cas cliniques
Vignette n°1 : cas clinique de Mme L
Vignette n°2 : cas clinique de Mme T
Vignette n°3 : cas clinique de Mr B
VIII- Conclusion
IX- Bibliographie

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