Techniques de pouvoir et dispositifs de savoir les contrats de prestations dans le domaine de la recherche

Techniques de pouvoir et dispositifs de savoir les contrats de prestations dans le domaine de la recherche

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les Etats européens ont pris des mesures qui visent à soutenir la recherche publique dans le but à la fois de contribuer au prestige national, à la puissance militaire, au développement économique et à la constitution d’une élite scientifique (Strasser, Bürgi, 2005 ; Jacq, 2002). En Suisse, à partir des années 1990 et, surtout, 2000, la recherche (tout comme l’éducation supérieure) tient le haut du pavé de l’agenda politique : débat sur le montant des crédits alloués à la recherche, choix de pôles de recherche nationaux, réorganisation administrative, etc. Alors qu’elle était avant tout l’affaire des chercheurs et des universités qui hébergent leur laboratoire, la recherche est également devenue, depuis sa mise à l’agenda politique au 20e siècle, une affaire d’Etat (Benninghoff, Leresche, 2003). Mais, dire cela ne signifie encore rien sur la manière dont l’Etat essaye d’intervenir dans le domaine de la recherche et encore moins sur le pouvoir qu’il pourrait avoir (et qu’il prétend avoir) sur celle-ci46. La question des rapports entre autorités politiques et institutions scientifiques a été travaillée sous l’angle des agences de moyens, considérées comme des organisations intermédiaires entre les acteurs du champ politico-administratif et ceux du champ scientifique (Braun, 1998 ; Godin et al., 2000 ; Benninghoff, 2004). Dans le prolongement de ce questionnement, ce chapitre souhaite investiguer le rapport entre les réformes entreprises au sein de l’administration fédérale durant les années 1990 et les mesures prises dans le domaine de l’encouragement de la recherche. L’idée, développée ailleurs (Benninghoff, Ramuz, 2002), et que nous souhaitons approfondir dans ce chapitre, est la suivante : si l’on constate une différenciation des politiques menées par l’Etat en fonction de la spécificité des secteurs publics (santé, social, environnement, éducation, etc.), ces politiques pourraient toutefois être structurellement influencées par la manière dont l’organisation et les pratiques de l’Etat sont pensées dans leur globalité. Car, comme le suggèrent Knoepfel et Terribilini (1997 : 122), il y a «une nécessité structurelle d’unité de l’Etat afin de garantir la légitimité de sa vérité».

Réformes de l’Etat et instrumentation de l’action publique

En Suisse, à l’instar d’autres pays européens, le secteur public a connu, depuis le milieu des années 1990 une série de «réformes» qualifiées par certains de «néo-libérales» ou de «managériales». Ces réformes ont été initiées tant au niveau fédéral (Giauque, 2003 ; Varone, 2006) qu’au niveau cantonal (Pelizzari, 2001 ; Bühlemann, 2005). Durant cette période, le gouvernement fédéral a pris des mesures qui visent à «moderniser» l’administration publique en voulant notamment la rendre plus «efficace», plus «efficiente» et plus «flexible»50. Pour mettre en œuvre ce discours normatif au sein de l’appareil du secteur public, le gouvernement fédéral a discuté, élaboré et sélectionné une série d’instruments devant permettre d’atteindre ces objectifs : comptabilité analytique, révision du statut de fonctionnaire, contrat de prestations, enveloppe budgétaire, évaluation, controlling, reporting, etc. Ne pouvant aborder dans ce chapitre l’ensemble des instruments mis en place par les différents agents de l’Etat aux niveaux fédéral ou cantonal, l’étude portera sur un instrument particulier : le contrat de prestations. 

La contractualisation au sein de l’administration fédérale

Sous le sceau d’une «modernisation» de l’administration fédérale, le Conseil fédéral a repensé non seulement les rapports entre agents de l’Etat (gouvernement, parlement, administration), mais également leurs activités. Pour ce faire, il a chargé, en 1995, le Département fédéral des finances d’introduire, dans les domaines de l’administration fédérale qui s’y prêtent le mieux, une «nouvelle» gestion des affaires publiques. En quoi cette manière de gérer les affaires publiques est-elle nouvelle ? Dans un Message adressé au Parlement, le Conseil fédéral (1996) précise qu’il s’agit d’une gestion axée sur les prestations et les résultats. Cette «nouvelle gestion publique» prendra le nom de «Gestion par mandat de prestations et enveloppe budgétaire» (GMEB). Ces pratiques administratives allaient être d’autant plus légitimes qu’elles ont été reconnues dans la nouvelle loi fédérale sur l’organisation du gouvernement et de son administration (LOGA), entrée en vigueur en 1997. Le concept de «Gestion par mandat de prestations et enveloppe budgétaire» (GMEB) est présenté par l’administration fédérale de la manière suivante : «il vise à renforcer, par rapport au passé, l’orientation de l’action étatique sur des prestations et des résultats mesurables, à déléguer certaines tâches et responsabilités à des unités administratives inférieures, et à appliquer des instruments de pilotage utilisés avec succès par l’économie privée». Dans cette définition liminaire, l’enjeu n’est pas seulement les rapports entre agents de l’Etat, mais aussi la finalité même de leurs activités. Cette nouvelle conception de l’action publique (ou « vérité » d’Etat) repose à la fois sur une représentation productiviste et utilitariste (adéquation entre moyens et résultats) de l’Etat. Cet instrument représente également un dispositif de pouvoir dans la mesure où les activités doivent être mesurables pour que l’on puisse les contrôler. A noter également que l’utilisation de perspectives similaires dans le secteur de l’économie privée constitue une source de légitimation : ce qui est bon pour l’économie devrait aussi l’être pour l’administration publique51. On rejoint l’idée développée par Lascoumes et Le Galès (2004 : 13) lorsqu’ils affirment qu’ «un instrument d’action publique constitue un dispositif à la fois technique et social qui organise des rapports sociaux spécifiques entre la puissance publique et ses destinataires en fonction des représentations et des significations dont il est porteur». Ainsi, la «Gestion par mandat de prestations et enveloppe budgétaire» introduit une vision managériale ou entrepreneuriale de l’Etat.

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